CASE-NO : AH353

DATE : 06/02/95

PARTIES : CN CCROU

COMMENTS: French version only.

CASES# :

TEXT :

 

 

CAUSE D’ARBITRAGE

OPPOSANT:

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

(la Compagnie)

 

et

LE CONSEIL CANADIEN DES SYNDICATS OPÉRATIONNELS

DE CHEMINS DE FER - (TUT et FIL)

(le Syndicat)

 

 

 

GRIEF PORTANT sur le changement important représenté par la Mise en Service de la Loco-Commande pour les manoeuvres dans les triages en palier à Edmonton, Winnipeg, Sarnia, Hamilton, Toronto et Montréal.

 

 

 

ARBITRE

Michel G. Picher

 

REPRÉSENTAIENT LA COMPAGNIE

 

John A. Coleman - Avocat

Myron Becker - Directeur, Planification des RH, Edmonton

Bryne Bowness - Adjoint principal, Transport, Sarnia

Doug Taylor - Coordonnateur de trains, Hamilton

M.C. Darby - V.P. adj, Sécurité et Affaires réglementaires, Montréal

J.C. Johnstone - Directeur, Programme d’automatisation des triages, Edmonton

D. Dwarika - Ingénieur principal, Transport, Montréal

Jim Vena - Directeur de comptes, Potasse, Saskatoon

Dennis Coughlin - Directeur, Relations de travail, Montréal

Brian Kolin - Agent (réseau), Transport

Perry Marquis - Surintendant intérimaire, Transport, district Manitoba, Winnipeg

Daniel Guitard - Coordonnatuer de trains, LCS, triage Macmillan, Toronto

Patrice Dery - Coordonnateur de trains, LCS, triage Taschereau

 

 

REPRÉSENTAIENT LE SYNDICAT (FIL)

 

Jim Shields - Avocat

Wayne A. Wright - Président Général

Cliff Hamilton - Président Général

Bill Keppen - Vice-président

Gilles Hallé - Vice-président

George Hucker - Vice-président

Bob McKenna - Président Général

Dennis Curtis - Président Général

Mike Simpson - Vice-président général

B.E. Wood - Président

 

 

REPRÉSENTAIENT LE SYNDICAT (TUT)

 

Harold Caley - Avocat

L.H. Olson - Vice-président

J.M. Hone - Vice-président

W.G. Scarrow - Vice-président général

M.P. Armstrong - Vice-président général

R. Lebel - Vice-président général

R. Michaud - Président des Services législatifs provinciaux du Québec

 

 

 

Cause entendue à Montréal, le 6 février 1995.

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

La présente cause d’arbitrage concerne un litige opposant les parties à propos de la façon d’atténuer les effets défavorables entraînés par les changements importants amenés dans les conditions de travail par l’introduction de la télécommande des locomotives pour les manoeuvres dans les triages d’Edmonton, de Winnipeg, de Sarnia, de Hamilton, de Toronto et de Montréal. Quelques 51 postes de mécaniciens de locomotives se trouvent ainsi supprimés, ce qui repésente un total de quelque 65 postes si l’on tient compte des postes affichés aux tableaux de remplacement.

La mise en usage du pupitre de conduite portable, ou "Loco-commande", et la télécommande des locomotives permettent à la Compagnie d’employer des équipes de manoeuvre de deux personnes, là où il en fallait trois, dont un mécanicien ou une mécanicienne de locomotive, pour les manoeuvres dans les triages en palier. Ma compétence en ce qui concerne cet arbitrage m’est conférée par les dispositions de l’article 139 de la convention 4.3, de l’article 79 de la convention 4.16 ainsi que des articles 89 et 78 des conventions 1.2 et 1.1, respectivement. D’une façon générale, selon ces articles, la Compagnie ne peut pas introduire de changements dans les conditions de travail entraînant de sérieux effets défavorables pour le personnel sans respecter les étapes suivantes: envoi de l’avis approprié, négociation et, s’il y lieu, arbitrage, en vue de déterminer les mesures pouvant réduire les effets défavorables. Certains des points ainsi négociables sont désignés comme suit au paragraphe 139.1 de la convention 4.3, pour prendre un exemple:

 

B) Bien qu’elles ne soient pas nécessairement les seules, les mesures qui sont de nature à atténuer les effets défavorables d’un changement et qui sont considérés comme négociables en vertu de l’alinéa a) du présent paragraphe sont les suivantes:

1- Choix du moment approprié

2- Instauration graduelle appropriée

3- Heures de travail

4- Péréquation du millage

5- Répartition du travail

6- Logement adéquat

7- Affichage

8- Ententes relatives à l’ancienneté

9- Familiarisation avec le parcours

10- Repas en cours de route

11- Travail en cours de route

12- Indemnité de mise à pied

13- Indemnité de cessation d’emploi

14- Maintien des taux de base

15- Millage virtuel

16- Déplacement haut-le-pied

 

L’établissement de la liste qui précède ne tend

pas à laisser sous-entendre que l’un quelconque

des articles qu’elle contient doit nécessairement

être inséré dans toute entente qui pourrait être

négociée relativement à un changement important

des conditions de travail. (traduction libre)

 

 

De même, en ce qui concerne les conventions collectives régissant les mécaniciens de locomotive, le paragraphe 89.1 de la convention 1.2 précise ce qui suit:

 

1) Choix du moment approprié

2) Instauration graduelle appropriée

3) Heures de travail

4) Péréquation de millage

5) Répartition du travail

6) Logement adéquat

7) Affichage

8) Ententes relatives à l’ancienneté

9) Familiarisation avec le parcours

10) Recours à l’attrition (traduction libre)

 

 

Ma compétence en matière d’arbitrage de ce litige est définie à l’alinéa f) des paragraphes 139.1 et 79.1, respectivement, des conventions 4.3 et 4.16:

139.1/79.1

f) La décision de l’arbitre se limite à la ou aux

questions dont il est saisi, lesquelles n’ont trait

qu’aux mesures destinées à atténuer les effets

défavorables du changement important pour les

employés qui sont touchés et à élargir au besoin

les dispositions de la convention pour la mise en

oeuvre d’un changement important. Cette déci-

sion est définitive et éxécutoire pour chacune des

parties en cause.

 

De même, les conventions collectives 1.2 et 1.1 qui régissent les mécaniciens de locomotive précisent ce qui suit à l’alinéa g) des paragraphes 89.4 et 78.4, respectivement:

 

89.4/78.4

g) La décision de l’arbitre se limite à la question

ou aux questions dont il est saisi ainsi qu’aux mesures

à prendre pour atténuer les effets nettement défavo-

rables du changement proposé sur les ingénieurs de

locomotive.

 

Les faits pertinents au litige ne font pas l’objet d’une réelle contestation. La technologie de la Loco-commande et la télécommande des locomotives ont d’abord été utilisées par la Compagnie dans les triages à butte, et pour commencer au triage de Symington à Winnipeg. Les conditions entourant l’utilisation de la Loco-commande et la technologie de la télécommande des locomotives ont été examinées en détail à l’occasion d’une sentence précédente portant sur la compétance sur les tâches des mécaniciens de locomotive (voir cause BACFC no.2191).

Les changements qui sont au centre du litige représentent toutefois les premiers stades d’un changement important des conditions de travail qui, selon toute vraisemblance, finira par révolutionner les opérations de manoeuvre. L’introduction de la Loco-commande et de la télécommande des locomotives dans les triages à butte n’a eu d’incidence que dans deux des cinq endroits susceptibles d’être touchés, et que sur un nombre réduits d’employés. Mais les changements importants qui sont à l’origine de la présente cause ont été qualifiés, à juste titre, par la Compagnie, comme étant comparables à l’introduction de la locomotive diesel. On peut s’attendre à ce que l’adoption de locomotives de manoeuvre télécommandées ait des répercussions importantes puisque de plus en plus d’équipes affectées aux manoeuvres ne comporteront que deux personnes au lieu de trois. Même si, pour le moment, les changements introduits dans les différents triages en question n’ont de conséquences que sur un nombre de manoeuvres relativement restreint par rapport au nombre total de manoeuvres exécutées dans les triages, on peut selon toute vraisemblance s’attendre à ce que les préoccupations qui sont à l’origine de la présente cause se généralisent à mesure que la télécommande des manoeuvres se répandra dans les triages. Il est évident que ma compétence d’arbitre se limite à l’évaluation des faits et des circonstances entourant les changements importants intervenus dans les triages qui font l’objet du litige. Toutefois, une analyse des réalités présidant aux relations de travail laisse entrevoir que les changements importants qui sont à l’origine de la présente cause auront des répercussions beaucoup plus considérables à l’avenir. Le document soumis par la Compagnie reconnaît le fait que la cause présente n’est que la pointe d’un gros iceberg. Dans le préambule à l’accord qu’elle propose, elle a tout de suite utilisé une formulation permettant à cet accord de s’appliquer à tous les membres du personnel défavorablement touchés, dès à présent ou à l’avenir, par l’adoption de la technologie de la Loco-commande. Pour les besoins du présent arbitrage, elle est quelque peu revenue sur ses positions, limitant sa requête à "tous autres avis qui seront émis au cours de l’année 1995."

Je ne vois aucune raison d’accéder à cette requête de la Compagnie. Comme le fait remarquer l’avocat du Syndicat, les effets défavorables entraînés sur un groupe précis d’employés touchés par un changement important des conditions de travail peuvent varier beaucoup, selon les circonstances de temps et de lieu, et selon un certain nombre de facteurs. Cela étant, et étant donné l’absence d’un accord entre les parties relativement à une question aussi importante, un bureau d’arbitrage peut éprouver de la réticence à élaborer les dispositions d’un accord qui s’appliquerait dans le futur, envertu de circonstances indéterminées, à des employés et en des lieux indéterminés.

Le deuxième point du litige est de savoir si, comme le propose la Compagnie, l’application de l’accord se limiterait aux employés comptant au moins deux années de service rémunéré cumulatif, proposition que conteste le Syndicat. Il est incontestable que cette restriction est en vigeur, et ce depuis des décennies, dans le secteur ferroviaire pour ce qui est des ententes sur la sécurité d’emploi et sur la garantie d’emploi. Elle fait même partie de certaines sentences arbitrales, y compris celles qui ont été prononcées en 1989 et en 1990 à propos de l’introduction de la Loco-commande dans les traiges à butte. Donc, à mon avis, la position de la Compagnie à cet égard est raisonnable, et il faut y souscrire.

Le point suivant concerne les indemnités de départ et les possibilités de départ à la retraite. La clause 5 du préambule proposé par la Compagnie dit ceci:

 

"Le programme de cessation d’emploi et d’indemnités

tel qu’il est exposé aux articles I et IV des présentes

sera offert aux membres du personnel ayant travaillé à

un endroit pendant au moins deux ans et où, de l’avis

de la Compagnie, il existe de façon permanente un

excédent de personnel itinérant." (traduction libre)

La Compagnie s’oppose aux contre-propositions du Syndicat selon lesquelles les possibilités de départ à la retaite et de versement d’indemnités de départ seraient offertes même dans les cas où il n’y aurait pas de personnel excédentaire. La Compagnie les rejette, soulignant qu’à son avis, les changements importants qui sont à l’origine de la présente cause ne créeront pas de postes excédentaires, du moins pour ce qui est de l’été à venir. L’avocat de la Compagnie estime que l’employeur ne doit pas être mis dans la situation d’offrir des possibilités de départ à la retraite, stimulants pécuniaires à l’appui, tout en étant obligé d’engager de nouvelles recrues. À cet égard, cela confirme la conclusion, exprimée par l’arbitre à l’occasion de la cause BACFC 2514 à propos du principe de l’attrition comme moyen approprié de réduction du personnel excédentaire.

Je suis d’accord avec ce point de vue général énoncé par la Compagnie. Il est tout à fait défendable de dire que ce serait dépasser l’objectif d’atténuation des effets défavorables que d’offrir des possibilités de départ à la retraite dans les endroits où il n’y a pas de personnel excédentaire. Là, j’estime que le point de vue de la Compagnie est justifié. Ce qui me préoccupe davantage, toutefois, ce sont les effets défavorables secondaires amenés par le changement important dans les conditions de travailassocié à la télécommande des locomotives en service de manoeuvre. Les employés ne devraient être privés de protection du simple fait que le changement important intervient à une époque de grande activité, si bien que le problème posé par l’excédent de personnel est repoussé à une date ultérieure. En fait, si la création de postes excédentaires est repoussée à une date raisonnable, il me semble qu’il serait approprié de permettre à des employés travaillant dans un lieu donné de se prévaloir de possibilités de départ à la retraite, à condition que leur nombre corresponde à celui des postes identifiés comme étant devenus réellement excédentaires à cause de l’introduction de la Loco-commande et de l’élimination de postes de mécaniciens de locomotive pour le service de manoeuvre. Je confie donc aux parties le soin de discuter de ce point et d’en arriver, si possible, à un accord sur l’établissement d’une formule appropriée, applicable durant une période de temps jugée raisonnable. Je demeure saisi de la question pour le cas où les parties seraient incapables de s’entendre sur une telle formule.

Le point suivant concerne l’accessibilité des employés quittant la Compagnie à des régimes d’assurance-maladie complémentaire et de soins dentaires. Selon la proposition faite par la Compagnie, les employés quittant la Compagnie pourraient maintenir leur assurance-vie collecitve, payée par la Compagnie, jusqu’à leur 65e anniversaire. À 65 ans, ils auraient droit à une assurance entièrement libérée, payée par la Compagnie.

Le Syndicat cherche à obtenir un éventail plus vaste d’avantages sociaux pour ses employés. Il demande à l’arbitre d’ordonner qu’un régime d’assurance-maladie complémentaire soit offert à tout membre du personnel acceptant de prendre une retraite anticipée. Le Syndicat cite à titre de précédent la sentence rendue le 19 juin 1990 concernant la composition des équipes marchandises. Il soutient que la comparaison est juste parce que les changements qui sont au centre du présent litige font partie de mesures s’appliquant à l’échelle du réseau, comme ce fut le cas pour les ententes sur la compostion des équipes et sur les équipes réduites à un chef de train, et qu’il ne s’agit pas de changements survenant à titre isolé et local.

À mon avis, le point de vue exprimé par le Syndicat à cet égard est raisonnable. Il est, évidemment, loisible à la Compagnie de rationaliser son exploitation, d’améliorer son efficacité et d’augmenter sa productivité et ses profits en introduisant dans tout le Canada l’usage des locomotives télécommandées pour les manoeuvres effectuées dans les triages en palier, ce qui lui permettra de réduire d’un tiers ses besoins en main d’oeuvre affectée aux manoeuvres dans les triages. La sentence arbitrale sur la composition des équipes reconnaissait, tout comme le reconnaissait d’ailleurs la Compagnie, que le personnel a le droit, jusqu’à un certain point, de partager le bénéfice apporté par les gains de productivité réalisables grâce à de tels changements. Sur quelles bases un arbitre peut-il faire la distinction entre le raisonnement qui a mené à la sentence sur la composition des équipes et celui à adopter dans la présente cause? Dans le cas de la réduction des équipes, comme dans la cause présente, les équipes itinérantes sont réduites d’un membre, et cela probablement pour toujours, ce qui donne lieu à un excédant de personnel. Je trouve difficile de concevoir pourquoi un employé, optant pour une retraite anticipée afin de faciliter l’adoption de la technologie de la Loco-commande, devrait être moins protégé qu’un autre qui aurait opté pour une retraite anticipée à cause de la suppression d’un poste de serre-frein, devenu non essentiel, laquelle est à l’origine de la sentence sur la composition des équipes. C’est pourquoi j’ordonne que la même protection en matière d’avantages sociaux (dont:assurance-vie, maintien de l’assurance-maladie complémentaire et du régime de soins dentaires) soit offerte aux employés qui prendront une retraite anticipée conformément à la présente sentence, et selon les mêmes dispositions générales que celles qui figurent à l’article 5 de l’entente sur la composition des équipes.

Le point suivant de désaccord entre les parties concerne l’accumulation des crédits donnant droit à une retraite anticipée. Une autre question, déjà abordée ci-dessus, se greffe sur celle-ci: la détermination du total de crédits exigibles. Comme je l’ai dit, la possibilité d’un départ à la retraite, d’une façon générale, ne devrait être offerte qu’aux employés qui sont réellement défavorablement touchés par l’initiative prise par la Compagnie, c’est-à-dire lorsque l’introduction de la technologie de la Loco-commande dans les triages donne lieu à un excédent de personnel. Je ne suis pas porté à accepter la suggestion du Syndicat selon laquelle le nombre de départs à la retraite anticipée offerts devrait être égal au nombre de postes de mécaniciens de locomotive supprimés. Ce ne serait ni juste ni conforme au but d’atténuation des effets défavorables que d’appliquer une telle formule dans les cas où, par exemple, aucun employé ne perd son emploi ou n’est déclaré excédentaire parce qu’il existe d’autres postes disponibles. Ce n’est que lorsqu’un excédent de personnel est réellement créé par l’introduction de la nouvelle technologie que des possibilités de retraite anticipée devraient être offertes. Comme je l’ai dit, il faudra peut-être élaborer une formule précisant les modalités applicables à ces offres. Je ne vois aucune objection à la mise en réserve de ces crédits, dans la mesure où ce faisant, ils seront mis à la disposition des employés lorsqu’il y aura création de personnel excédentaire, cette accumulation devant se poursuivre pendant une période donnée, qui reste à déterminer.

Certaines des préoccupations du Syndicat ne sont pas fondement. Il est évident que la question de savoir s’il y a excédent de personnel peut être débattue. Je penche donc pour l’établissement d’une formule qui permettra de déterminer, selon une base objective plutôt que selon l’opinion de la Compagnie, s’il y a, ou non, des empoyés excédentaires. Lorsqu’il y aura réellement excédent de personnel conformément à la formule établie, l’option de retraite anticipée, une fois choisie, sera irrévocable. Encore une fois, et compte tenu de ce que je viens de dire, il me semble préférable que les parties abordent ensemble cette question et établissent ensemble une définition, faute de quoi je demeurerai saisi de ce point de litige.

La question de la mise en réserve de crédits de retraite est donc renvoyée devant les parties, qui, il faut l’espérer, pourront la résoudre en adoptant une formule qui fournira, pendant une période de temps raisonnable (le Syndicat suggère une période de six ans) l’accessibilité à une retraite anticipée pour les employés admissibles quittant le service pour cause de personnel devenu excédentaire.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu, dans les circonstances actuelles, de la pertinence de la demande du Syndicat concernant l’option d’une cessation d’emploi différée ou d’un poste de transition, que les employés aient 48 ans ou 50 ans. Comme le souligne la Compagnie, c’est une condition coûteuse, d’un genre qui n’a encore jamais été négocié pour aucune des conventions collectives touchant le personnel itinérant de la Compagnie depuis 1990. Comme je l’ai déjà dit, je suis d’avis que les employés bénéficient d’une protection et de mesures d’atténuation suffisantes si une possibilité de retraite anticipée leur est offerte et est mise en réserve pendantune période de temps appropriée dans le but de ne servir que dans les cas où l’introduction de la Loco-commande donne réellement lieu à un excédent de personnel. En outre, l’existence d’un tableau de personnel en surplus est un facteur qui réduit la nécessité d’offrir des postes de transition.

En ce qui concerne la question de la garantie de salaire, il me semble que, sous réserves de certaines qualifications, la formule offerte par la Compagnie, qui prolonge cette protection durant une période de cinq ans, est acceptable comme mesure d’atténuation des effets défavorables entraînés par un changement important. Elle est conforme à celle que préconise l’arbitre dans les sentences des causes AH 321 et 337, prononcées relativement à l’introduction de la technologie de la Loco-commande dans les triages à butte. Comme il est dit à la page 11 de la sentence du 22 juin 1993 sur le triage à butte MacMillan, la formule en question ne limite pas la garantie de salaire aux membres du personnel dont le poste a été aboli, mais s’applique aussi à ceux qui ont été atteints par l’effet d’entraînement. En conséquence, tout membre du personnel supplanté du fait de la mise en application du changement important peut être protégé par la formule de garantie de salaire. Toutefois je n’accepte pas le principe selon lequel la garantie de salaire s’applique seulement si l’employé change de classification. Au contraire, la garantie devrait protégé l’employé en situation de salaire réduit, sous réserve, naturellement, de disponibilité de celui-ci et de sa volonté d’accepter le travail le mieux rémunéré. J’accepte et je sanctionne la formule de calcul de la garantie proposée par la Compagnie.

À propos des dispositions régissant la réinstallation, j’accepte, dans son ensemble, les conditions d’admissibilité et les avantages exposés dans le projet d’offre d.pos. par la Compagnie. J’ai toutefois une objection dans la mesure où certains détails de l’offre de la Compagnie semblent assurer moins de garantie que ne le font les conventions collectives. J’entérine donc, à titre d’élément de la présente sentence, les dispositions de réinstallation préconisées par la Compagnie, mais sous réserve de modification de certains détails, selon les besoins, afin d’assurer des garanties qui soient au moins égales à celles que prévoient les conventions collectives. Par ailleurs, j’estime que l’indemnité de déplacement à destination et au départ du lieu de travail demandée par le Syndicat n’a pas lieu d’être accordée.

Le Syndicat demande en outre à l’arbitre d’ordonner à la Compagnie d’offrir une somme forfaitaire de 75000$ aux membres du personnel qui choisissent de quitter la Compagnie, mais qui ne sont pas admissibles à un départ à la retraite. La Compagnie offre une formule d’indemnisation pouvant permettre le versement d’une somme forfaitaire variant selon les années de service des employés optant pour la cessation d’emploi. Les personnes ayant accumulé 20 annéees de service rémunéré ou plus pourraient recevoir 60000$. Celles qui ont accumulé de 12 à 19 années de service recevraient 55000$, et celles ayant accumulé 8 à 11 années de service recevraient 50000$. Un autre versement forfaitaire de 15000$ serait offert aux personnes décidant de mettre fin à leur emploi dans les 90 jours suivant l’offre. Serait également prévu le maintien de l’assurance-vie et de l’assurance-maladie complémentaire, conformément à des conditions variant, là aussi, selon la durée du service.

À mon avis, l’offre de la Compagnie est raisonnable, compte tenu de l’ensemble des situations possibles, et ne devrait pas être modifiée. Toutefois, je conviens avec la Compagnie que les possibilités de cessation d’emploi ne devraient pas être offertes aux employés les moins anciens tant que les plus anciens, admissibles au départ à la retraite, ne se seront pas vu offrir une proposition équitable de départ à la retraite conformément aux dispositions prescrites par la présente sentence. Je pense qu’il est approprié de régler le problème des postes excédentaires au moyen de l’attrition, d’abord en incitant les employés les plus anciens à prendre leur retraite, en commençant par les mécaniciens de locomotive, plutôt qu’en recourant à la démission des employés moins anciens. Toutefois, dans un endroit où le changement important provoque un excédent de personnel mais où, soit il n’y a pas d’employés admissiblesà la retraite, soit ceux qui y sont admissibles ne veulent pas la prendre, l’indemnité de départ prévue à l’article 4 de la proposition de la Compagnie devrait être offerte, et encore une fois d’abord aux mécaniciens de locomotive. Bien sûr, il sera loisible à la Compagnie d’augmenter les forfaits incitatifs si elle le juge nécessaire ou recommendable pour obtenir le nombre désiré de démissions.

Le Syndicat, par le biais de la FIL, demande à l’arbitre de formuler un ordre limitant l’utilisation de la Loco-commande à certaines zones. La FIL déclare que les locomotives dont la conduite est télécommandée ne devraient pas circuler sur la voie principale, ni être utilisées pour les manoeuvres de transfert entre deux triages, sans mécanicien de locomotive à bord. Elle estime que des amendes devraient s’appliquer dans les cas où la Compagnie ne respecterait pas les zones de restriction. J’ai beaucoup de mal à me prononcer sur cette proposition. D’abord, les méthodes d’exploitation appropriées ne sont pas, à proprement parler, un sujet relevant de ma compétence d’arbitre pour ce qui est de l’atténuation des effets défavorables telle que l’envisagent les articles 89 et 78 des conventions collectives 1.2 et 1.1, respectivement. Ce sujet est du ressort de la Compagnie, sous réserve, naturellement, du respect de la Loi sur la sécurité ferroviaire et de la surveillance exercée par Transports Canada. Il ne s’agit pas d’une situation où, contrairement à d’autres circonstances, la convention collective prévoit un processus de surveillance, de négociations et d’arbitrage en ce qui concerne la réduction des équipes pour le service de manoeuvre. Comme le fait remarquer la Compagnie, il n’y a rien, dans la cause qui nous occupe, qui puisse soulever le genre de questions qui doivent être déterminées en vertu des articles 82 et 83 de la convention collective 4.3, et de l’article 40 de la convention 4.16, qui traitent de la question de réduire l’équipe de manoeuvre, formée d’un contremaître de triage et de deux aides de manoeuvre à une équipe composée d’un contremaître de triage et d’un seul aide de manoeuvre. Ce n’est pas là une question qu’il m’incombe de traiter, et c’est pourquoi je rejette la position de l’avocat.

Le point suivant concerne la question de savoir si, comme le déclarent la Compagnie et la FIL, les mécaniciens de locomotive devraient être habilités à exercer leurs droits d’ancienneté sur un tiers des postes associés à un triage à palier, dans une gare. Cela impliquerait un relâchement manifeste des exigences de la convention collective actuelle, selon laquelle les mécaniciens de locomotive seraient tenus d’exercer d’abord leur droits d’ancienneté sur un poste de leur propre catégorie. L’avocat des TUT juge qu’il n’est pas approprié de faire droit à des amendes provenant de représentants d’unité de négociation qui entraîneraient des effets sur aune autre unité de négociation, et conteste la compétence de l’arbitre en la matière.

Sans aborder cette question de compétence, je ne juge ni nécessaire ni approprié d’ordonner l’application de la formule proposée par la FIL. Compte tenu du fait que les mécaniciens de locomotive se verront offrir en premier la possibilité de prendre leur retraite ou de mettre volontairement fin à leur emploi, et qu’ils conservent pleinement leur capacité d’exercer leurs droits d’ancienneté au sein des TUT une fois épuisées leurs possibilités à titre de mécaniciens de locomotive, ils sont ainsi suffisamment protégés sans que soit ajoutée la formule de priorité 1/3, dont l’application popurrait avoir des effets contraires sur les membres des TUT, concernant la disponibilité de travail faisant appel à la Loco-commande. La proposition de la FIL est doc rejetée.

Les parties sont en désaccord pour ce qui concerne le taux de salaire approprié applicable aux préposés aux manoeuvres et aux aides de manoeuvre. Ces deux types d’employés seront équipés de la Loco-commande, si bien que la manoeuvre de la locomotive peut passer de l’un à l’autre par une opération dite de "pitch and catch" à mesure que la locomotive se déplace d’un endroit à un autre. À mon avis, les taux de salaire proposés par la Compagnie pour le poste de préposé aux manoeuvres sont raisonnables. Le taux horaire en question, qui est de 20,596$, est le taux payé aux préposés aux manoeuvres dans un triage à butte. Le taux proposé assure un rapport acceptable avec le degré relatif de responsabilité assumé par le préposé aux manoeuvres, si on compare cette responsabilité à celle des mécaniciens de locomotive et des personnes travaillant comme contremaîtres de manoeuvre. Toutefois, le taux de salaire initialement proposé par la Compagnie pour l’aide de manoeuvre équipé d’une Loco-commande pourrait être amélioré. Ce poste devrait commander un salaire se situant entre celui d’un mécanicien de manoeuvre et celui d’un contremaître de triage, compte tenu de la différence des degrés de responsabilité. Il doit donc être fixé à 18,22$ l’heure.

Le Syndicat souhaite obtenir, pour les membres du personnel non protégés, la garantie supplémentaire de revenu assurée par l’entente de Vancouver sur l’intermodal. Quand on examine cette entente, le bien-fondé d’un supplément d’indemnisation de mise à pied dans le cas qui nous occupe est loin d’être évident. Même si certaines mises à pied peuvent être inévitables, l’intention première des dispositions de la présente sentence arbitrale, compte tenu des possibilités de départ à la retraite et des indemnités de départ, est d’accélérer l’attrition, ce qui permet de protéger les employés moins anciens et réduire ainsi l’incidence des mises à pied. Il ne faut pas perdre de vue ces répercussions importantes. Dans ces conditions, la nécéssité d’ajouter des garanties supplémentaires pour les employés moins anciens qui sont pas protégés ne s’impose pas.

Le Syndicat fait une autre demande qui porte sur les effets des changements importants sur le personnel aux prises avec des difficultés physiques. D’après les réponses données à mes questions durant l’audience, il semble que le souci exprimé par le Syndicat concerne les employés qui peuvent trouver difficile de travailler en portant la Loco-commande. Comme l’affirme la documentation de la Compagnie, ce problème ne s’est pas encore présenté jusqu’à présent en ce qui concerne les préposés au service de manoeuvre travaillant dans les triages à butte. Et il n’est pas évident, d’après les preuves que je détiens, que le volume et le poids de la Loco-commande soient assez importants pour causer des problèmes d’ordre physique aux employés qui doivent travailler avec cette télécommande. Dans ces conditions, je juge à propos de d’ajourner sine die le traitement de cette question, étant bien entendu que j’en demeure saisi. Et si, au cours de la mise en oeuvre de ce changement important, il arrive qu’un employé ayant des difficultés physiques subisse ainsi des effets défavorables, la question pourra être traitée. Qu’un employé se trouvant dans cette situation doive, comme l’avance le Syndicat, s’inscrire au tableau du personnel en surplus est une chose sur lauqelle je ne ferai pas de commentaires, car il semble plus approprié de traiter chacun des cas individuellement, selon leur recevabilité, à mesure qu’ils surviennent - si jamais il en survient.

Je ne juge pas non plus pertinent de donner d’ordre ou de directives concernant la formation des employés qui seront désignés pour utiliser la technologie de la Loco-commande. Il est naturellement dans l’intérêt de la Compagnie, et de son devoir selon la Loi, de veiller à ce que son personnel soit adéquatement formé et à ce que son exploitation soit assurée en toute sécurité. Il y a peu de raisons de croire que cela ne se passera ainsi. De plus, il y a lieu de se demander si la formation est un élément qui doit figurer dans une sentence arbitrale dans un contexte d’atténuation d’effets défavorables découlant d’un changement important dans les conditions de travail régi par les conventions en cause: C’est une question qui, de toute façon, n’a pas besoin d’être réglée de façon décisive dans le cadre de la présente cause.

Une des questions mises de l’avant par les TUT est l’établissement par l’arbitre de zones auxquelles serait limité le recours à la Loco-commande ainsi que l’établissement de certaines restrictions concernant le champ de visibilité et le mode réversibilité, dans certaines circonstances. Les TUT demandent également que l’arbitre établisse une clause de pénalités sous formes de primes payables par la Compagnie dans les cas où celle-ci violerait ces dispositions. À cet égard, pour les raisons déjà évoquées, il ne me semble pas approprié de traiter les questions directement reliées à l’exploitation, parcequ’il s’agit là de quelque chose de très éloigné de l’atténuation des effets défavorables entraînés par des changements importants dans les conditions de travail. La décision relative aux endroits at aux méthodes associées à la télécommande des locomotives de manoeuvre appartient à la Compagnie, sous réserve, bien entendu, du respect des r`glements de sécurité du REF ainsi que des dispositions sur la sécurité du Code canadien du Canada. C’est pourquoi je rejette cet élément de la demande des TUT.

Les TUT soulèvent séparément certaines questions concernant la sécurité de l’exploitation, particulièrement en ce qui concerne les wagons en dérive, dans certaines circonstances, durant les opérations de manoeuvre. À mon avis, il n’est pas déraisonnable de procéder avec une prudence concertée dans ce domaine, et il serait sûrement justifié d’établir des comités conjoints à consulter en cas de problèmes liés à la sécurité d’exploitation dans chacun des triages. C’est pourquoi j’ordonne aux parties de se réunir afin de constituer dans chacun des endroits en cause des comités conjoints qui auront pour objectif d’étudier des méthodes permettant d’effectuer en toute sécurité des manoeuvres à l’aide de la Loco-commande, avec des équipes réduites à deux personnes. Le mandat, la fréquence des réunions et la durée de vie des comités sont des questions que, pour le moment, je soumets à la considération des participants, même si je demeure saisi de la question pour le cas où surgirait ultimement un désaccord. Pour être clair, le comité conjoint doit être consultatif et fournir au Conseil la pleine possibilité d’y contribuer. Au cas où surgirait un désaccord entre les membres d’un comité conjoint, toutefois, la Compagnie conservera le droit et le privilège d’utiliser la Loco-commande dans son exploitation.

 

 

Fait à Toronto, le 6 mars 1995.

 

Michel G. Picher - Arbitre