CAUSE D’ARBITRAGE

OPPOSANT

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX
DU CANADA

(la «Compagnie»)

et

LE CONSEIL CANADIEN DES SYNDICATS OPÉRATIONNELS
DE CHEMINS DE FER (TUT)

(le «Syndicat»)

GRIEF PORTANT SUR LA RÉDUCTION DES ÉQUIPES
AFFECTÉES AU RÉSEAU GO

ARBITRE :                                                                           Michel G. Picher

REPRÉSENTAIENT LA COMPAGNIE :

K. Peel                                                  Avocat général, Toronto

A.E. Heft                                             Directeur – Relations de travail, Toronto

P.E. Marquis                                       Agente – Relations de travail, Toronto

D. Nunns                                             Surintendant – Service de banlieue – GO, Toronto

D. Coughlin                                         Premier directeur – Relations de travail – CN Est, Montréal

M. Stock                                              Adjoint – Relations de travail,

T. Ovell                                                Directeur principal – Pratiques d’exploitation, Toronto

L. Veit                                                  Superviseur technique, Willowbrook              

Mike Baerthel                                    Conseiller principal, SHL, Toronto  

Paul Johannsson                                Directeur – Services ferroviaires – Réseau GO

B. Butterworth                                   Observateur, Toronto

REPRÉSENTAIENT LE SYNDICAT :

Michael A. Church                            Avocat

Martin P. Gregotski                           Président général, Lignes CN–VIA (Centre)

Rex Beatty                                         Vice–président général

Gerry Binsfeld                                    Secrétaire

M. Hayes                                            Président de la section locale 483, Toronto

S. Polley                                               Président local, section locale 483, Toronto

J. Michael Hone                                 Vice–président et directeur de la recherche, Ottawa

Donald A. Warren                             Président général, Lignes CP – Est, Toronto

John W. Armstrong                           Président général, CN–VIA – Ouest, Edmonton

Guy Scarrow                                       Président général, Sarnia

 

Cette cause a été entendue à Toronto le 29 février, le 26 mars, et les 4 et 16 avril 1996.


SENTENCE ARBITRALE

La présente sentence porte sur l’intention de la Compagnie de réduire les équipes composées de chefs de train et de chefs de train adjoints affectées au Réseau Go desservant Toronto et les environs.  La Compagnie veut faire passer de deux à une personne les équipes en question, pour tous les trains GO, en supprimant le poste de chef de train adjoint.

La convention collective liant les parties comprend l’annexe 63, datée du 27 août 1982, qui portait initialement sur la réduction des équipes affectées au service voyageurs entrant en vigueur le 31 octobre 1982.  L’article 6 de l’annexe en cause, qui a été reconduit jusqu’à présent, traite des dispositions à prendre si la Compagnie souhaite réduire davantage les équipes du service voyageurs, y compris la façon de procéder en cas de différend sur la réduction des équipes exigeant l’intervention d’un arbitre.  L’article 6 prévoit notamment que :

6.             Les dispositions ci-dessous s'appliqueront au cas où d'autres réductions des équipes du service voyageurs se révéleraient nécessaires, à moins que lesdites réductions ne résultent de l'application de l'Accord spécial avec VIA en date du 7 juillet 1978 :

a)            La Compagnie avisera, par écrit, le président général et le président local du Syndicat de son désir de les rencontrer afin de s'entendre sur la réduction des équipes dont la composition est prévue à l'article 7 pour les équipes régies par cet article.

b)            Toute réduction d'équipe(s) est assujettie aux deux conditions suivantes :

i)             Qu'il soit possible de maintenir une sécurité suffisante avec l'équipe réduite qui est proposée.

ii)            Que ladite réduction n'impose pas une trop lourde charge de travail à l'équipe réduite.

c)             On convient du moment et du lieu de réunion des représentants de la Compagnie et du Syndicat dans un délai de 15 jours civils à compter de la date de l'avis dont il est question au paragraphe 6 a), et les parties se rencontrent dans un délai de 21 jours civils après la date d'un tel avis.  Les délais stipulés dans le présent alinéa peuvent être prolongés d'un commun accord.

d)            La réunion doit se limiter à déterminer si les deux conditions prévues à l'alinéa 6 b) peuvent être réalisées avec l'équipe réduite qui est proposée.  Si les parties ne s'entendent pas ou si la réunion n'a pas lieu, la Compagnie peut, après en avoir fait part par écrit au président général et au président local, entreprendre une enquête d'une semaine civile sur les opérations en question, période pendant laquelle les représentants du Syndicat peuvent eux-mêmes observer lesdites opérations.  La période d'enquête commence au moins 10 jours et au plus 20 jours civils après la date de l'avis de la Compagnie visant la période d'enquête.

e)             Si, une fois la période d'enquête terminée, le Syndicat estime qu'il n'est pas possible que les deux conditions prescrites à l'alinéa 6 b) puissent se réaliser avec l'équipe réduite proposée, il doit formuler par écrit dans un délai de 60 jours civils les raisons précises pour lesquelles, à son avis, de telles conditions sont irréalisables.  La Compagnie peut alors confier le différend, en tout ou en partie, à l'arbitrage après en avoir notifié par écrit le président général.

[caractères gras en sus]

Le présent tribunal est habilité à décider si la proposition de la Compagnie est conforme aux alinéas 6 b) i) et ii).  Il reste donc à déterminer si le service GO de la Compagnie peut être exploité avec une équipe réduite au chef de train tout en maintenant une sécurité suffisante et sans que cela n’entraîne une charge de travail trop lourde pour les membres du personnel visés.

Le 14 septembre 1995, la Compagnie a avisé le Syndicat de son intention de supprimer les équipes de deux personnes et d’implanter sur les trains GO les équipes réduites au chef de train.  Conformément aux dispositions de l’annexe 63, le Syndicat a demandé la tenue d’une enquête, qui a pris fin le 3 novembre 1995.  Le Syndicat allègue que la Compagnie n’a pas satisfait aux exigences du paragraphe 6 b) de l’annexe 63.  Il prétend qu’en implantant le système de l’équipe réduite au chef de train, elle ne pourra maintenir le niveau de sécurité requis, et que la réduction proposée imposera une trop lourde charge de travail aux membres des équipes réduites.  La Compagnie allègue que, compte tenu des résultats de l’enquête et d’expériences d’exploitation de services de trains de banlieue par des équipes réduites au chef de train conduites ailleurs au Canada et aux États‑Unis, qu’elle juge comparables, les normes prévues dans l’annexe ont été respectées.

Le service des trains GO fait partie du Réseau GO, un système de transport public régional, comprenant des autobus et des trains exploités par la Province de l’Ontario dans l’agglomération torontoise et cinq régions avoisinantes.  Il dessert une population de 4,5 millions de personnes sur quelque 3 000 milles carrés.

Le service des trains GO comprend six itinéraires différents.  Cinq d’entre eux comptent pour 96 % du service voyageurs et sont exploités par le CN en vertu d’un contrat intervenu avec le Réseau GO.  Le CN exploite le couloir Lakeshore, entre Hamilton et Oshawa, ainsi que des couloirs distincts vers Georgetown, Bradford, Richmond Hill et Stouffville.  Le sixième couloir, où circulent les trains de banlieue à destination de Milton, est exploité par le CP pour le compte du Réseau GO et ne fait pas partie du présent litige.

Le Réseau GO est l’un des services de trains de banlieue les plus importants d’Amérique du Nord.  Le CN exploite chaque jour quelque 135 trains pour le compte du Réseau GO et transporte environ 78 500 personnes.  Les trains peuvent être manoeuvrés dans les deux sens, les locomotives poussant ou tirant le train, selon sa destination.  Les trains comprennent généralement de six à dix voitures, et parfois 12 à certaines heures de pointe dans le couloir Lakeshore.

À l’origine, les trains GO comprenaient des voitures à un étage exploitées par une équipe de trois personnes, outre les deux mécaniciens ou mécaniciennes de locomotive.  En 1972, l’équipe réduite au chef de train et au chef de train adjoint a été implantée, à la suite de la sentence BACFC 344 rendue par le juge Weatherill.  Cette réduction semble avoir visé le service entre Pickering et Hamilton, tronçon qui fait maintenant partie du couloir Lakeshore, et la décision a été prise conformément au paragraphe 73 a) de la convention collective en vigueur à ce moment, qui prévoyait les mêmes exigences en matière de sécurité et de charge de travail.  L’arbitre Weatherill, a présenté les arguments suivants pour expliquer sa décision :

Dans le cas présent, la Compagnie veut réduire à un chef de train et un serre‑frein l’équipe des trains de banlieue GO remorqués par une locomotive.  Notons que cette sorte d’équipe est déjà implantées sur les rames automotrices du même service.  Les trains remorqués par une locomotive, qui comprennent jusqu’à dix voitures, sont utilisés durant les heures de pointe et transportent un nombre de passagers sensiblement plus important.

Actuellement, l’équipe d’un train GO remorqué par une locomotive se répartit ainsi : un membre de l’équipe se trouve dans le premier véhicule, un autre, dans le dernier et le troisième, à peu près au milieu du train.  Si les équipes de train étaient réduites, la Compagnie propose qu’une personne soit affectée au dernier véhicule et l’autre, au milieu du train.  Les questions à résoudre concernent le maintien de la sécurité et la possibilité que les membres restants de l’équipe aient une charge de travail trop lourde.  Je réglerai tout d’abord brièvement la deuxième question.  Le fait d’éliminer le poste de la personne qui se trouve dans le premier véhicule ne semble avoir aucune incidence sur les tâches qu’accomplissent les personnes se trouvant dans les autres voitures.  Soulignons que les fonctions de l’équipe de train ne comprennent aucune tâche relative à la vente de billets ou à la perception, que les portes du train sont actionnées par une commande centralisée et qu’il n’est pas nécessaire de relever ou d’abaisser les plates‑formes pour permettre aux passagers de monter dans le train ou d’en descendre.

Le point le plus important que soulève le Syndicat concerne la sécurité.  À cet égard, il faut remarquer que de grands nombres de passagers voyagent dans ces trains, qui sont des trains de banlieue.  Le Syndicat affirme, certainement à juste titre, qu’à certaines gares, il y a foule, que les gens sont pressés et qu’il y a des bousculades lorsqu’ils se dépêchent pour monter dans le train ou en descendre.  À l’exception du contrôle des portes, qui ne relève que d’une seule personne, le rôle de l’équipe de train se borne à surveiller.  Compte tenu du grand nombre de voyageurs, du fait que l’équipe est très réduite et de l’ensemble des activités en cause, je crois que les facteurs déterminants, en ce qui concerne la sécurité des passagers, sont liés à ce qu’on pourrait appeler la «conception».  De ce point de vue, la commande centralisée des portes, le fait qu’il ne soit pas nécessaire de mettre en place des marchepieds pour avoir accès à la plate‑forme, le système de verrouillage automatique lors de la mise en marche du train, ainsi que le contrôle automatique du chauffage et de la climatisation réduisent fortement l’utilité d’une équipe de train.  Le fait qu’il y ait affluence sur la plate‑forme n’est pas, à mon avis, un phénomène sur lequel la réduction de l’équipe de train de trois à deux personnes aurait un effet observable.

Je conclus donc que l’équipe peut être réduite sans compromettre la sécurité.  En conséquence, j’accueille la demande de la Compagnie.

[traduction libre]

La Compagnie allègue que les changements apportés au matériel justifient maintenant que les trains GO soient exploités par des équipes réduites au chef de train.  Toutes les voitures ont désormais deux étages, et non plus un seul comme c’était le cas dans les années 70.  La Compagnie cite un certain nombre d’éléments qui font partie intégrante de la conception de toutes les voitures à deux étages et qui améliorent la sécurité des passagers et de l’équipe : des poignées de déverrouillage extérieures et intérieures pour les portes de secours, une bande signal d’alarme, des fenêtres de secours pourvues de poignées de déverrouillage, des extincteurs, des trousses de secours, des détecteurs de fumée et des détecteurs thermiques, notamment.

Selon la Compagnie, le changement principal qui justifie l’exploitation par une équipe réduite au chef de train est le déplacement des dispositifs de commande des portes des voitures accessibles aux personnes handicapées.  La cinquième voiture de chaque train est aménagée pour les personnes en fauteuil roulant ou utilisant d’autres véhicules leur permettant de se déplacer de façon autonome.  Le membre du personnel composant l’équipe réduite au chef de train mettrait en place, aux gares équipées d’une rampe ou d’une plate‑forme d’accès pour personnes handicapées, un pont de liaison de 26 lb en aluminium.  Cela permettrait à ces personnes de monter dans le train et d’en descendre sans avoir besoin de l’aide du chef de train.  Il est entendu que si la personne a besoin d’aide, il lui revient de se la procurer.  En d’autres mots, compte tenu de la politique du Réseau GO, qui est d’exploiter un «service de transport libre‑service», les membres des équipes de train ne fournissent pas d’aide directe aux clients ou clientes handicapées, à part la mise en place du pont de liaison.  Quelque 23 quais de gare sont censés être pourvus de rampes d’accès pour personnes handicapées.

Auparavant, les dispositifs de commande des portes se trouvaient uniquement à l’extrémité A de l’étage supérieur des voitures à deux étages.  Un nouveau dispositif de commande des portes a été installé récemment à l’étage inférieur, de chaque côté de la voiture accessible aux personnes handicapées, de manière à permettre l’exploitation par une équipe réduite au chef de train.  Étant donné que ce dispositif se situe à l’extrémité A de la cinquième voiture, on dit généralement qu’il se trouve à l’emplacement 5A.

Le nouvel emplacement du dispositif de commande des portes permet au chef de train de contrôler les portes à partir de l’étage inférieur du train, où il ou elle peut également mettre en place le pont de liaison pour les fauteuils roulants. L’emplacement en question est muni d’un haut‑parleur, composé d’un téléphone pourvu d’un cordon prolongateur, qui permet au chef de train de descendre sur la plate‑forme en tenant le téléphone et de s’assurer que tous les voyageurs sont bien montés dans le train et que toutes les portes sont dégagées avant de remonter et de fermer les portes.  Ces innovations permettent au chef de train de se servir du système de sonorisation et d’exercer une surveillance pendant qu’il ouvre et ferme les portes ou qu’il déplie ou replie le pont de liaison.  L’emplacement 5A est également pourvu d’un interphone qui permet aux personnes qui se trouvent dans la locomotive d’avoir des conversations privées avec le chef de train ou l’équipe de train.  De plus, les postes de contrôle sont équipés d’un ronfleur qui permet à l’équipe de train de transmettre des signaux à l’équipe de locomotive.  Finalement, on est en train d’installer des téléphones cellulaires dans la voiture à cabine de conduite, la plus éloignée de la locomotive, qui devient la première voiture lorsque le train est poussé par la locomotive, ainsi que dans la voiture accessible aux personnes handicapées.

Actuellement, soit avant l’implantation d’équipes réduites au chef de train, les équipes comprennent un chef de train, un chef de train adjoint et deux mécaniciens de locomotive.  Lorsque la locomotive est menante, les deux mécaniciens de locomotive sont dans la cabine de conduite.  Lorsque le train circule en direction inverse et que la locomotive le pousse, un seul mécanicien contrôle le mouvement à partir de la voiture à cabine de conduite et le deuxième reste dans la locomotive menée.  Le chef de train et le chef de train adjoint travaillent à bord du train, la personne responsable de la commande des portes se trouvant à l’étage supérieur, généralement à l’arrière du train.  Habituellement, cette personne fait toutes les annonces et est responsable de l’ouverture et de la fermeture des portes.  Le deuxième membre du personnel se trouve normalement à l’emplacement 5A d’où il déplie le pont de liaison dans les gares pourvues d’une rampe d’accès.  Généralement, lorsque le train s’arrête dans une gare, la deuxième personne descend sur la plate‑forme et surveille les passagers qui montent dans le train et en descendent.  Elle utilise une signalisation par gestes pour indiquer à la personne qui commande les portes que celles-ci sont dégagées.  La deuxième personne circule également dans le train entre les gares.

Le chef de train et le chef de train adjoint ne doivent jamais effectuer de perception ni vérifier les billets.  L’exploitation des trains GO est fondée sur l’honnêteté de la clientèle, selon le système de la preuve de paiement.  Ce sont les agents de surveillance du Réseau GO, qui ne font pas partie du personnel du CN, qui vérifient de temps en temps et au hasard que les voyageurs ont bien payé leur place.  Selon les résultats d’une enquête de deux semaines effectuée récemment, la Compagnie estime que les agents en question circulent dans 42 % des trains.  Il est établi toutefois qu’ils ne circulent parfois dans un train donné que sur une distance relativement courte.  La Compagnie ne conteste pas la suggestion du Syndicat, à savoir que cette vérification au hasard ne touche pas plus de 5 % des clients.

En ce qui concerne les questions de la sécurité et de la charge de travail, le litige porte en grande partie sur la capacité du seul membre d’une équipe réduite au chef de train de remplir de façon satisfaisante ses fonctions de surveillance.  La Compagnie insiste sur le fait que la surveillance revient en bonne partie aux agents du Réseau GO et que le membre d’une équipe réduite au chef de train sera encore en mesure d’exercer une certaine surveillance dans d’autres voitures en quittant l’emplacement 5A et en y revenant pendant que le train circule entre les gares.  La Compagnie souligne que le nombre d’incidents qui ont donné lieu à des alarmes durant l’année civile 1995 indique que la charge de travail liée à la surveillance et à l’aide aux voyageurs est assez limitée.  Au cours de cette période, pour 20 millions de voyageurs, il est arrivé 234 fois qu’un passager déclenche l’alarme.  Vingt‑huit incidents ont exigé une aide médicale et 11 d’entre eux une autre forme d’aide.  Quatre‑vingt‑cinq incidents étaient de fausses alertes attribuées aux passagers et 56 d’entre eux étaient attribuables à des problèmes d’électricité ou à des pannes mécaniques.  La Compagnie allègue que la surveillance qui doit être exercée dans le train et l’aide qui doit être apportée aux passagers en cas d’alarme sont compatibles avec une exploitation par une équipe réduite au chef de train.

La position du Syndicat est sensiblement différente en ce qui a trait à la sécurité et à la charge de travail.  Premièrement, il remet globalement en question l’assertion de la Compagnie, qui affirme que le membre du personnel en question n’aura à fournir aucune aide aux voyageuses et voyageurs handicapés.  Bien que le Syndicat ne conteste pas le droit qu’a la Compagnie d’établir une sorte d’exploitation «libre‑service» pour les personnes handicapées, il fait valoir qu’en certaines circonstances les membres du personnel en cause devront inévitablement, pour des raisons pratiques ou simplement par compassion, aider des personnes handicapées à monter ou à descendre du train.  Il allègue également qu’il est peu réaliste d’imaginer qu’un chef de train puisse ne prêter à peu près aucune attention aux voyageurs handicapés qui tentent de monter ou de descendre du train, parfois dans la mêlée qui existe à certaines gares très achalandées, comme à la gare Union aux heures de pointe.  Le Syndicat s’interroge en outre sur la capacité du membre d’une équipe réduite au chef de train de répondre aux alarmes déclenchées par des passagers qui se trouvent loin de l’emplacement 5A, particulièrement si l’alarme est donnée immédiatement avant ou après un arrêt.

Le Syndicat s’interroge également sérieusement sur la sécurité des passagers et de l’équipe, ainsi que sur la charge de travail qui reviendra aux équipes réduites au chef de train.  Il souligne que le service des trains GO peut être très bousculé aux heures de pointe, moment où chaque train transporte plus de 2 000 passagers, de même qu’à l’occasion d’événements spéciaux, comme des concerts rock ou des épreuves sportives, lorsque les trains de la ligne Lakeshore transportent, selon ses calculs, jusqu’à 4 000 passagers qui doivent voyager debout.  Le Syndicat souligne par ailleurs que la comparaison entre les conditions actuelles et celles qui prévalaient au moment où la sentence antérieure, autorisant la réduction des équipes de trois à deux personnes, a été rendue, montre que l’exploitation des trains GO s’est fortement accrue et qu’il y a actuellement plus d’itinéraires, plus de trains, plus de voyageurs par train, plus d’arrêts et, surtout, beaucoup plus d’affluence.

De nombreux éléments de preuve m’ont été présentés au cours de l’audience, qui a duré plusieurs jours.  Il s’agit notamment de ceux qui ont été réunis par les parties pendant l’enquête qui s’est tenue du 23 octobre au 3 novembre 1995.  De plus, on m’a fourni de nombreux renseignements sur la composition des équipes des trains de banlieue dans d’autres grandes agglomérations du Canada et des États‑Unis.  La Compagnie m’a d’abord soumis des comparaisons avec le service de trains de banlieue MonTrain que le CN exploite à Montréal et dont l’équipe se réduit à un mécanicien de locomotive et un chef de train, ainsi qu’avec le service de trains de banlieue que le CP exploite à Vancouver, dont le matériel est identique à celui utilisé par le Réseau GO, et dont l’équipe est également réduite à un mécanicien de locomotive et à un chef de train.  On a également porté à mon attention l’existence, à San Diego et à Los Angeles, de services de trains à deux étages, identiques à ceux du Réseau GO, qui sont exploités par des équipes réduites au chef de train.  D’autres éléments de preuve ont été présentés, par les deux parties, relativement aux services de trains de banlieue de plusieurs grandes agglomérations ou états, comme Boston, New York (Long Island, Metro North et New Jersey), Philadelphie, Washington (D.C.) - Virginie, le Maryland, Miami, Chicago, San Jose et San Francisco.

J’ai encouragé les parties à me fournir de l’information sur l’exploitation de trains de banlieue comparables, dans la mesure où les données recueillies pouvaient me permettre de mieux connaître les normes générales de l’industrie et celles qui régissent la composition des équipes compte tenu des facteurs liés à la sécurité et à la charge de travail.  Par ailleurs, conscient du grand nombre de voyageurs dont les trains GO assurent le transport, j’ai jugé particulièrement utile d’être le mieux renseigné possible sur l’exploitation de ce type de service dans les agglomérations comparables à la communauté urbaine de Toronto.

J’ai examiné attentivement toutes ces comparaisons.  Il est important de signaler que, compte tenu du nombre de variables qui entrent en jeu, il est difficile de comparer deux services de trains de banlieue.  La nature du matériel est une variable importante.  Certains réseaux utilisent des voitures à un étage tandis que d’autres, comme le Réseau GO, ont des voitures à deux étages.  Sur certains réseaux, les membres de l’équipe doivent mettre en place un marchepied ou des accessoires similaires permettant la descente au arrêts, tâche inexistante sur les trains GO qui sont pourvus d’une commande d’ouverture des portes centralisée. Le nombre de voyageurs, ainsi que le nombre de passagers par voiture et le nombre de voitures par train, constitue une autre variable importante.  Les distances parcourues et la fréquence des arrêts en gare sont également des facteurs qui varient selon le réseau.  L’une des différences les plus importantes concerne la participation des membres de l’équipe à la vente ou à la vérification des billets et des laissez-passer.  Lorsque les fonctions du chef de train ou du chef de train adjoint comprennent la perception, les équipes de deux ou trois personnes sont plus fréquentes, bien que cela ne soit pas toujours le cas.  Par exemple, en ce qui concerne le réseau Metro North, les équipes qui travaillent sur les trains de banlieue de New York et du Connecticut peuvent comprendre une à trois personnes, selon l’heure et l’emplacement du train.

Le Syndicat conteste vigoureusement la position de la Compagnie qui affirme que la sécurité ne serait pas mise en péril par l’implantation d’équipes réduites au chef de train à l’ensemble des services GO.  Il souligne que les équipes réduites au chef de train ne constituent pas la norme en ce qui a trait aux services voyageurs.  Il attire mon attention, à cet égard, sur la sentence rendue récemment par la Commission de médiation‑arbitrage présidée par M. le juge McKenzie dans une cause opposant VIA Rail et les membres de son personnel itinérant.  En vertu de cette sentence, VIA ne peut utiliser une équipe réduite au chef de train que si le train en question comprend trois voitures ou moins.  Si un train comporte quatre à six voitures, il faut un chef de train adjoint, un deuxième chef de train adjoint devant s’ajouter à l’équipe si le train de voyageurs comprend plus de six voitures.  Il fait également remarquer que, aux États‑Unis, la convention collective type d’Amtrack, qui régit nombre de services de trains de banlieue, exige également que les équipes de train comprennent plus d’une personne, selon la longueur du train en cause.  L’avocat du Syndicat allègue que les réseaux américains qui utilisent des équipes réduites au chef de train transportent généralement moins de voyageurs, comme celui de Miami, par exemple, où un seul chef de train adjoint se trouve dans la locomotive avec un seul mécanicien, ou celui de Los Angeles.  L’avocat du Syndicat insiste aussi sur le fait que, à sa connaissance, le service des trains GO, qui dessert l’agglomération torontoise, est l’un des cinq services de trains de banlieue les plus achalandés d’Amérique du Nord.  De ce point de vue, il n’est dépassé en importance que par les réseaux du New Jersey, de New York (Metro North et Long Island) et de Chicago.

Le Syndicat a fait comparaître des membres du personnel pour étayer sa preuve au titre des changements qui surviendraient en matière de sécurité et de charge de travail si le système des équipes réduites au chef de train était adopté.  Les témoins ont relaté leurs propres expériences, qui incluaient des cas de voies de fait commises par des voyageurs à l’endroit de chefs de train ou de chefs de train adjoints affectés au service GO ainsi que des cas où les membres de l’équipe de train ont dû intervenir parce que des passagers s’étaient fait attaquer ou interrompre une bataille entre voyageurs dans un train ou une gare.  Les expériences dont les membres du personnel m’ont fait part comprenaient aussi des collisions, des déraillements et des évacuations de passagers, notamment une collision avec un train GO vide, des accidents à des passages à niveau, des accidents impliquant des piétons ou des personnes qui tentaient de se suicider, ainsi que l’évacuation des trains et le transfert des passagers dans un autre train, entre deux gares.  Au cours des dépositions, des membres du personnel ont également parlé du stress que subissent les chefs de train et les chefs de train adjoints affectés à des trains spéciaux circulant sur la ligne Lakeshore lorsqu’il y a des concerts rock ou des épreuves sportives.  Les témoins disent très franchement que, en tant que chefs de train, ils n’envisagent pas avec plaisir d’être affectés à une voiture bondée d’amateurs de sport ou de rock surexcités sans avoir l’appui d’un chef de train adjoint.

L’avocat de la Compagnie souligne qu’aucun des cas d’urgence ou des circonstances exceptionnelles dont le Syndicat a fait état au cours de la présentation de la preuve ne s’est produit pendant l’enquête, qui portait sur quelque 705 trajets.  Il fait remarquer que, durant cette période, les membres des équipes n’ont jamais dû arrêter leur train et assurer la protection par signaleur, ni l’évacuer, et qu’il n’y a eu que 19 appels d’urgence faites au moyen de la bande signal d’alarme.  Il souligne en outre que ces appels n’ont nécessité aucune aide d’urgence et étaient dus à diverses causes, dont des défauts de fonctionnement, de fausses alertes et l’utilisation du système par des voyageurs qui s’étaient trompés de train ou avaient raté leur arrêt parce qu’ils s’étaient endormis.

Je vais maintenant examiner le bien‑fondé de la position de chaque partie.  Je pense qu’il est essentiel de préciser de prime abord que le service des trains de banlieue GO qui dessert l’agglomération torontoise est l’un des plus importants d’Amérique du Nord, du point de vue du nombre de trains et du nombre de voyageurs.  Selon les calculs de la Compagnie, qui ne tiennent compte que du trafic du lundi au vendredi, plus de 20 millions de passagers empruntent chaque année les couloirs du service GO qu'elle exploite.  En ce qui concerne la fréquence des trains et le nombre de voyageurs, je pense qu’il est important de faire une distinction entre la ligne Lakeshore, entre Hamilton et Oshawa, et les lignes moins achalandées qui partent de la gare Union à destination de Georgetown, Bradford, Richmond Hill et Stouffville.  Finalement, il est nécessaire, lorsqu’on effectue une comparaison de la composition des équipes de train avec celle d’autres services de trains de banlieue, qu’ils desservent des agglomérations comparables ou de moindre importance, de garder à l’esprit les autres facteurs en cause, comme le nombre de voitures par train, le type de matériel et la participation éventuelle des équipes à la perception.

À mon avis, la déposition de M. Paul Johannsson, directeur des Services ferroviaires du Réseau GO, donne une bonne idée de la façon dont fonctionne le réseau en question et de la manière dont il se compare à d’autres réseaux.  M. Johannsson explique que les agents de surveillance du Réseau GO, qui sont des agents de la paix assermentés, et sont munis de matraques et de radios, travaillent par équipes de deux, ont des tours de service de huit heures et patrouillent au hasard les trains du réseau GO.  Bien qu’il soit admis que la présence dans les trains des 36 agents en cause est aléatoire et épisodique, leur influence en matière de sécurité est néanmoins importante.  M. Johannsson rapporte un incident, qui s’est apparemment produit pendant le festival Caribana, au cours duquel un agent de surveillance du Réseau GO est venu immédiatement en aide à un membre de l’équipe de train qui avait été accosté par un voyageur.

M. Johannsson a eu l’occasion de voir comment fonctionnaient d’autres services de trains de banlieue.  Il souligne que le réseau de Vancouver, dont le matériel est identique à celui utilisé par le Réseau GO, se compare en tous points au service assuré par le Réseau GO sur les lignes de Georgetown, de Richmond Hill, de Stouffville et de Bradford.  Il précise, par exemple, que les trains qui assurent la liaison avec Stouffville et Bradford comprennent habituellement six voitures, tandis que ceux qui se rendent à Georgetown en comprennent sept ou huit et ceux qui effectuent le parcours jusqu’à Richmond Hill, six à neuf.  Il fait remarquer que, si l’on prend en compte le nombre de trains circulant le matin et le soir, ainsi que le nombre de personnes qui utilisent ces trains, la situation est à peu près semblable à celle de Vancouver, où les équipes sont réduites au chef de train.

M. Johannsson reconnaît d’emblée que ces lignes sont utilisées par 30 % des voyageurs du Réseau GO.  Selon ses calculs, 67 000 à 95 000 passagers qui utilisent le Réseau GO pendant les jours de semaine empruntent les itinéraires est et ouest de la ligne Lakeshore.  Il est établi que les trains du couloir Lakeshore sont plus longs et comprennent habituellement 10 à 12 voitures.  La Compagnie propose que les trains circulant dans le couloir Lakeshore soient formés de 10 voitures si les équipes sont réduites au chef de train.

J’accueille les observations de M. Johannsson en ce qui a trait aux comparaisons entre le service de Vancouver et celui des lignes du réseau GO situées au nord de Toronto.  La comparaison avec le réseau Metro Link de Los Angeles est également instructive.  Dans cette ville, comme à Toronto, on utilise le système de la preuve de paiement et un matériel à deux étages identique à celui du Réseau GO.  Le train comprend habituellement quatre à six voitures et est exploité par une équipe réduite au chef de train, conformément à une entente spéciale intervenue le 16 juillet 1991 entre Amtrack et les Travailleurs unis des transports.  À mon avis, l’examen du réseau Metro Link, renforcé jusqu’à un certain point par une comparaison avec le réseau Tri‑Rail de Miami, fondé également sur le système de la preuve de paiement et où des voitures usagées du Réseau GO sont utilisées pour former des trains de six voitures où ne circule qu’un seul membre du personnel, tend à confirmer la position de la Compagnie, du moins dans la mesure où il démontre que faire appel à une équipe réduite au chef de train ne compromet pas la sécurité et n’impose pas une charge trop lourde au membre du personnel en question sur les lignes du Réseau GO où les trains et les arrêts sont moins nombreux et où les trains comprennent moins de voitures.

En définitive, on ne peut cependant en dire autant de la ligne Lakeshore. Les tronçons est et ouest de cette ligne passent par un couloir où la circulation des marchandises est l’une des plus denses de la région.  Plus encore, la taille des trains, qui comprennent 10 voitures aux heures de pointe durant la semaine, et le nombre de voyageurs qui empruntent la ligne Lakeshore, me fait douter de la capacité de maintenir une sécurité suffisante si le système des équipes réduites au chef de train y était implanté.  La preuve établit par ailleurs que les trains spéciaux qui circulent à l’occasion de concerts rock ou d’événements sportifs, soit environ 120 trains par an, n’empruntent que la ligne Lakeshore.  J’estime, compte tenu de la preuve déposée devant moi, que ces trains comportent un risque particulier et une charge de travail plus lourde pour les équipes qui y sont affectées.

Tout bien considéré, compte tenu des normes de sécurité et de la charge de travail qui reviendrait à la personne constituant l’équipe réduite au chef de train, je suis réellement préoccupé par la faisabilité de l’exploitation dans les conditions proposées pour la ligne Lakeshore.  Des facteurs comme le nombre de trains circulant dans cette zone, y compris ceux qui ne transportent pas de voyageurs, le nombre d’arrêts en gare nécessaires, le nombre de passagers qui voyagent quotidiennement dans ces trains, jusqu’à 4 000 personnes dans les trains comprenant 10 voitures, me fait douter sérieusement de la possibilité d’exploiter de tels trains au moyen d’une équipe réduite au chef de train.  À mon sens, les observations faites en 1972 par l’arbitre Weatherill au sujet de la surveillance que doivent exercer les équipes de train du Réseau GO sont tout aussi justes aujourd’hui.  Le fait qu’il soit tout aussi important d’être en mesure de réagir d’une manière appropriée à des événements imprévus ou à des situations d’urgence est implicite dans ses remarques.  Du point de vue de la sécurité, la capacité d’un seul chef de train d’assumer la responsabilité du contrôle du mouvement lorsque la circulation est dense, de patrouiller les voitures et d’aider les voyageurs en cas d’urgence, en plus de devoir faire face, à l’occasion, à des incidents imprévisibles, comme des accidents ou des retards, qui exigent une protection par signaleur ou l’évacuation du train entre deux gares, ce qui suppose notamment qu’il aide les personnes handicapées, donne lieu à de sérieuses inquiétudes.  Je suis également préoccupé par la charge de travail que devrait assumer une personne travaillant seule dans un train bondé de voyageurs et subissant la pression d’autres éléments qui se font sentir dans le couloir Lakeshore.  Si, en fait et en droit, les fonctions d’un mécanicien du service voyageurs n’étaient guère plus importantes que celles de portier, la position de la Compagnie pourrait se défendre.  En réalité, cependant, les règlements fédéraux obligent le chef de train à veiller à ce que son train soit exploité en toute sécurité et est responsable des voyageurs et de l’équipe.  Il y a de bonnes raisons de se demander si, dans le contexte actuel de l’exploitation du couloir Lakeshore, partant de la gare Union à destination de Hamilton vers l’ouest et de Whitby et Oshawa vers l’est, des fonctions aussi importantes peuvent être assumées dans ces conditions en toute sécurité et sans que la charge de travail ne soit trop lourde.  Bien que, comme l’attestent des expériences faites ailleurs, il peut être possible d’exploiter un plus petit nombre de trains, comprenant moins de voitures, sur les lignes du Réseau GO situées au nord de Toronto, moins achalandées, sans atteinte sensible à la sécurité et sans que la charge de travail du membre du personnel en cause ne soit trop lourde, même dans des situations d’urgence éventuelle, je ne suis pas certain qu’on puisse dire la même chose du territoire tout à fait différent que constitue le couloir Lakeshore.

Pour les raisons exposées ci‑dessus, je fais droit en partie à la requête.  Je conclus que la proposition de la Compagnie respecte les normes de sécurité et évite une charge de travail trop lourde, conformément au paragraphe 6 b) de l’annexe 63 de la convention collective, en ce qui concerne, seulement, les trains de banlieue exploités par la Compagnie pour le compte du Réseau GO dans les couloirs de Georgetown, Bradford, Richmond Hill et Stouffville.  La requête doit toutefois être rejetée pour les couloirs Lakeshore ouest, jusqu’à Hamilton, et Lakeshore est, jusqu’à Whitby North et Oshawa.  En ce qui concerne les lignes situées au nord de Toronto, toutefois, il n’est fait droit à cette requête que si la Compagnie, comme elle s’y est engagée devant moi, règle les problèmes des plates‑formes des gares de Bradford et Milliken, causés par des obstacles au champ de visibilité.  Je n’accueille donc cette requête que parce qu’il est entendu que, à ces deux endroits, seules les portes 5A et celle de la sixième voiture seront ouvertes, de manière à permettre au chef de train de bien voir le seuil de toutes les portes ouvertes.

Je demeure saisi de la cause en cas de différend ultérieur entre les parties sur l’interprétation ou la mise en oeuvre de la présente sentence.

Toronto, le 22 juillet 1996

(signé) MICHEL G. PICHER

L’ARBITRE