AH – 431/F

ARBITRAGE D'UN GRIEF

ENTRE :

CANADIEN PACIFIQUE EXPRESS LIMITÉE

(la « Compagnie »)

ET

SYNDICAT INTERNATIONAL DES TRANSPORTS – COMMUNICATION

(le « Syndicat »)

 

CONCERNANT : DE M. DANIEL CHAMPAGNE

 

ARBITRE:                                                         Me Michel G. Picher

REPRÉSENTAIENT LA COMPAGNIE :

R. M. Skelly                              – Procureur patronal

L. Béchamp                              – Procureure patronale

B. F. Weinert                             – Directeur, relations syndicales

C. McSween                              – Directeur régional, Québec et les Maritimes

REPRÉSENTAIENT LE SYNDICAT :

G. Marceau                               – Procureur patronal

K. Cahill                                    – Procureure patronale

J. J. Boyce                               – Président général

M. Gauthier                               – Vice-Président général

G. Lemire                                  – Président local

REPRÉSENTAIENT D'AUTRES PLAIGNANTS:

R. Mercier                                 – Procureur

F. Poirier                                   – Procureur

 

Audition de l'arbitrage à Montréal, le 27, 28, 29 et 30 mars 1990 et le 11 juin 1990. (Décision verbale rendue le 24 juillet 1990.)


SENTENCE ARBITRALE

Il s'agit d'un grief contre le congédiement pour la vente de stupéfiants sur les lieux de l'employeur. L'exposé conjoint du litige et la déclaration commune des parties, déposé lors de l'audition se lit comme suit:

LITIGE :

Après avoir été arrêté le 17 août 1989 par les agents de sécurité du Canadien Pacifique, monsieur Daniel Champagne a été suspendu de ses fonctions le 18 août 1989, et subséquemment congédié le 28 août 1989

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Suite à une enquête tenue le 25 août 1989, le plaignant a été congédié pour avoir:

a)            Le 9 août 1989, fumé un stupéfiant avec un agent de sécurité de la compagnie;

b)            Le 10 août 1989, vendu une petite quantité de stupéfiants à un agent de sécurité de la compagnie;

c)             Le 10 août 1989, fumé un stupéfiant avec un agent de sécurité de la compagnie.

Le Syndicat conteste le congédiement pour les motifs suivants:

a)            Le plaignant a été discipliné six (6) jours avant l'enquête conduisant à son renvoi;

b)            L'enquêteur n'a pas agi de bonne foi;

c)             Le plaignant a toujours admis les faits reprochés mais, précise que l'agent de sécurité a exercé à son égard des pressions indues pour qu'il lui procure des stupéfiants;

d)            La Société n'a pas respecté l'article 8.2 de la convention collective;

e)             Le congédiement du plaignant est illégal, injuste et trop sévère compte tenu de toutes ces circonstances.

Le Syndicat demande à ce que le congédiement du plaignant soit substitué à une mesure disciplinaire moindre et que monsieur Champagne soit réintégré sans perte d'ancienneté, de rémunération ou de bénéfice auxquels il a droit en vertu de la convention collective.

La Société rejette les énoncés du Syndicat et a rejeté le grief à toutes les étapes de la procédure des griefs.

La prétention de la Société quant à la vente de stupéfiants par M. Champagne sur les lieux de travail le 10 août 1989 est bien établie par la preuve devant l'Arbitre. D'ailleurs, le plaignant lui-même ne nie pas avoir vendu des quantités de 3 grammes et 2 grammes de haschisch, respectivement, à deux policiers de la compagnie Canadien Pacifique, qui avaient travaillé en fonction secrète dans l'entrepôt de la Société à Lachine pendant plusieurs semaines.

Le congédiement de M. Champagne était le résultat d'une enquête policière secrète menée par la police de Canadien Pacifique, sans la connaissance précise des gestionnaires et superviseurs de la Société. La seule connaissance générale de l'employeur était celle de M. Scott, Directeur du terminus de Lachine. En juin 1989, il était avisé que, suite à divers rapports d'activités illégales dans l'entrepôt, la police de Canadien Pacifique voulait mener une enquête secrète sur les lieux. M. Scott permettait donc l'embauche de trois policiers enquêteurs dans l'entrepôt. Ceux-ci étaient, de toute apparence, des employés comme les autres.

La preuve établit que les enquêteurs ne fournissaient aucun renseignement aux cadres de la Société, relativement au déroulement de l'enquête et aux activités surveillées. Ce n'est que le 18 août, suite à une descente massive d'agents de police du Canadien Pacifique, et à l'arrestation d'une quinzaine d'employés la nuit du 17 août, que les superviseurs de la Société prenaient connaissance de l'identité des employés arrêtés et des accusations portées contre eux. Le 23 août 1989, M. Carl McSween, Directeur régional de la Société et Gérant en chef de l'entrepôt de Lachine, recevait du surintendant de police un rapport d'événements (Occurrence Report) qui divulguait d'une façon précise les incidents qui avaient déclenché les arrestations du 17 août. Il faut préciser qu'à la lumière de sa connaissance générale à l'effet qu'il s'agissait d'accusations de vol, de consommation de drogues et de vente de stupéfiants interdits, le 18 août, M. McSween avait suspendu les employés impliqués, en attendant sa propre enquête disciplinaire.

Le 25 août, M. McSween interrogeait individuellement chacun des employés identifiés dans le rapport policier, en la présence d'un représentant syndical. Cette enquête disciplinaire et les conclusions tirées par M. McSween amenaient le congédiement de douze employés, y compris M. Champagne, le 25 août 1989.

Me. Marceau, qui représente le plaignant et huit autres employés membres du Syndicat et Me. Mercier, qui est le procureur de trois des employés congédiés, M. Daniel Mongeon, M. Yvon Gagné et M. Wilbrod Paquette, plaident une objection préliminaire au congédiement des employés. Tel qu'énoncé dans la déclaration commune, ils prétendent que le traitement disciplinaire de tous les employés congédiés n'était pas conforme aux procédures mandataires de la convention collective au sujet des enquêtes disciplinaires. Selon leur position, l'enquête policière, et en particulier l'interrogation des employés dans les bureaux de la force policière du Canadien Pacifique @E la gare Windsor la nuit du 17 août au 18 août, constituaient une enquête disciplinaire de la Société, pour les fins de la convention collective. Selon les procureurs syndicaux, cette procédure et la discipline qui en relèvent sont nulles en autant qu'il n'y avait pas de représentant syndical présent et qu'on n'a pas respecté les délais prévus dans la convention collective.

Le premier volet de l'argument de ces procureurs est que la police du Canadien Pacifique et la Société partagent une identité juridique indivisible pour les fins de la convention collective. En d'autres mots, prétendent-ils, les actes et les connaissances de la force policière sont les actes et les connaissances de la Société. Deuxièmement, ils soutiennent que si les enquêteurs policiers et la Société ne sont pas une seule entité juridique, il existait entre eux une relation si proche que pour toute fin pratique les policiers devenaient les agents de l'employeur. Selon cette deuxième thèse, les policiers du Canadien Pacifique agissaient en tant que bras droits de la Société, et celle-ci doit être tenue responsable de leurs gestes ainsi que de leurs connaissances à l'occasion des arrestations et des entrevues policières du 17 et 18 août 1989. En appui de cette position, le procureur du syndicat évoque la jurisprudence arbitrale, et en particulier Re Motor Transport Industrial Relations Bureau of Ontario and General Truck Drivers' Union, Local 938 (1973), 4 L.A.C. (2d) 362 (Brown). Dans cette sentence, le tribunal d'arbitrage en venait à la conclusion que la connaissance d'un enquêteur secret engagé par la compagnie devenait, par agence, la connaissance de l'employeur pour les fins des procédures disciplinaires contenues dans la convention collective.

Les procureurs soutiennent que la preuve justifie la conclusion que l'employeur et la police ferroviaire agissaient de concert, ou tout au moins dans une relation d'agent et client. À cet effet, il soulignent la preuve de M. John Donovan, le sergent-détective de la Police C.P. qui était en charge de l'enquête dans l'entrepôt de Lachine. D'après M. Donovan, en tant qu'enquêteur, il avait accès libre à la documentation et aux dossiers de C.P. Express et Transport sans, semble t-il, en avoir demandé la permission à qui que ce soit. De plus, il exerçait la discrétion d'ordonner à M. Réjean Morin, un des employés arrêtés, de retourner au travail le lendemain du 17 août, sans aucune conséquence disciplinaire. La preuve établit que M. Donovan s'attendait à la coopération de M. Morin, et que le rapport fait à M. McSween par M. Donovan disculpait M. Morin, sans explication.

Selon les procureurs des employés, la relation entre le sergent-détective Donovan et les superviseurs de la Compagnie dépasse les normes d'une relation entre une force policière publique indépendante et une entreprise privée. À leur avis, l'accès de M. Donovan aux dossiers de l'employeur et le pouvoir qu'il exerçait à l'égard de M. Morin vis-à-vis M. McSween démontrent que la force policière et l'employeur étaient soit indivisibles pour les fins de la convention collective, ou tout aux moins dans un relation d'agence au sens de la décision Motor Transport.

L'Arbitre ne peut accueillir ces arguments. Il est vrai que la relation entre l'employeur et la force policière du Canadien Pacifique n'est pas tout à fait conforme à la relation qui existerait entre une force policière provinciale ou municipale et une entreprise privée. Cependant, la distinction qui se révèle se comprend à la lumière de la loi particulière qui accorde aux chemins de fer le droit extraordinaire d'établir leurs propres forces policières. D'après la Loi sur les chemins de fer, les agents policiers du Canadien Pacifique exercent tous les pouvoirs d'un officier de la paix sur la propriété de l'entreprise. Comme l'indique la preuve en l'espèce, les dirigeants de la police, ainsi que les enquêteurs dans le champ, travaillent indépendamment de la compagnie et de ses superviseurs, qui pourraient eux-mêmes faire l'objet de leur enquête. Les superviseurs, comme M. McSween dans le cas présent, possèdent seulement la connaissance de l'enquête que les agents policiers jugent bon de leur révéler.

Dans la décision BACFC 1538, l'arbitre faisait le commentaire suivant à propos du rôle de la force policière vis-à-vis les procédures disciplinaires dans une convention collective:

La question principale ici est de savoir si la réunion du 12 mars était en soi une enquête à laquelle devaient s'appliquer les dispositions de fond et de procédure obligatoires de l'article 27 de la convention collective. Par contre, on ne soulève pas de litige quant aux renseignements recueillis par la Police du CP pendant une enquête judiciaire qui peuvent être utilisés (et l'ont été, effectivement, en de nombreuses occasions) comme preuve au cours d'une audition d'arbitrage parallèle afin que la Société puisse étayer sa décision de prendre des mesures disciplinaires.

Par conséquent, la Fraternité prétend que la réunion du 12 mars doit être considérée comme une enquête. D'après son avocat, l'aspect judiciaire et l'aspect disciplinaire s'y sont fusionnés et, dans ce cas, la Fraternité est d'avis que la Société devait respecter les droits que la procédure a pour mission de sauvegarder en vertu des paragraphes 27.1, 27.2 et 27.3 de la convention collective. Afin d'être parfaitement clair à ce sujet, je suis persuadé que la «déclaration» du plaignant à l'enquête policière du 12 mars a joué un rôle de première importance dans le déclenchement des enquêtes qui ont mené à son renvoi.

En dépit de ce qui précède, toutefois, je crois que l'enquête policière du 12 mars doit être considérée comme une enquête distincte dont le but premier était d'appréhender des individus soupçonnés de vol. Les policiers-enquêteurs ayant mandat dans de telles circonstances ont pleins pouvoirs d'agent de police aux termes de la Loi sur les chemins de fer et disposent de nombreux recours pour arrêter d'éventuels suspects. Ils doivent respecter la loi protégeant les droits des citoyens en général, mais n'ont pas à se conformer à la convention collective qu'un groupe d'employés a signée avec la Société.

En d'autres termes, comme l'indique la cause no. 669 du BACFC, une enquête judiciaire effectuée par la Police du CP est différente du type d'enquête dont il est question au paragraphe 27.1 de la convention collective. Dans le premier cas, l'objectif est de réprimer le crime et, dans le second, de sanctionner les actes d'inconduite au travail. Le fait que les renseignements amassés au cours d'une enquête judiciaire peuvent être utilisés (et sont admissibles) à une cause d'arbitrage parallèle ne change pas la nature fondamentale de l'enquête criminelle. Plus précisément, ces renseignements sont admissibles à titre de preuve en raison de leur pertinence, indépendamment de leur source.

Évidemment, cela n'autorise pas la Société à faire un mauvais usage de ses forces policières. Elle ne peut dissimuler une enquête policière aux fins de prise de mesures disciplinaires. La Société ne doit pas abuser du statut privilégié que lui a conféré le Parlement en employant sa force constabulaire à mauvais escient. C'est dans cet esprit que j'ai interprété la cause no. 280, où, comme la Police n'avait pas joué de rôle judiciaire auprès du plaignant, l'arbitre a décidé que la Société aurait dû respecter les droits que la procédure a pour mission de sauvegarder concernant les enquêtes, tel que prévu dans la convention collective.

(traduction)

À l'avis de l'Arbitre, ces principes, d'ailleurs bien établis, (voir BACFC 669, 1558 et 1737) s'appliquent en l'espèce. L'enquête de M. Donovan avait pour premier but la poursuite criminelle d'employés dont la conduite, sur les lieux de l'employeur, transgressait le Code criminel ou les lois sur la vente et la possession des stupéfiants. Ce but était réalisé en autant que M. Champagne se voyait imposer une peine pénale d'un an pour la vente de stupéfiants, et qu'un deuxième employé, M. Stéphane Vercaignie, recevait une condamnation à deux ans pour la même infraction.

La preuve établit que M. McSween n'avait aucune connaissance particulière de la conduite des employés arrêtés ni des accusations portés contre eux avant le 23 août 1989. Puisque ce n'est que lui qui a l'autorité d'agir pour la Compagnie en matière de discipline, je dois en venir à la conclusion que la procédure suivie par M. McSween, à savoir les interrogations des employés en la présence de leur représentant syndical le 25 août, ainsi que la réception des rapports policiers, était en pleine conformité aux exigences de la convention collective. Je ne vois, non plus, aucun abus de la force policière du Canadien Pacifique par l'employeur dans les faits de ce grief, au sens de la décision BACFC 280. Pour tous ces motifs la position préliminaire des procureurs doit être rejetée.

À l'avis de l'Arbitre, se livrer à la vente de narcotiques sur les lieux de la Compagnie est une infraction disciplinaire des plus sérieuses. Non seulement est-ce une pratique illégale dans le sens criminel, mais une telle conduite risque de miner d'une façon générale le moral des employés ainsi que leur sécurité au travail, et de ternir la réputation de l'entreprise.

Je ne trouve pas dans ce dossier des facteurs atténuants qui pourraient justifier la réduction de la sanction disciplinaire à une mesure moindre que le congédiement. Avec six ans d'ancienneté à la date de son congédiement, M. Champagne ne peut plaider de longues années de service pour réduire l'impact de sa faute. Sa vente de stupéfiants, à deux occasions au travail le 10 août 1989, n'était pas le résultat d'une influence indue de la part des enquêteurs, mais uniquement du choix qu'il faisait librement et sciemment. Malgré la plaidoirie habile de son procureur, dans les circonstances, je juge que la décision de la Société de congédier le plaignant était pleinement justifiée.

Pour ces motifs le grief est rejeté.

FAIT à Toronto, ce 17ième jour de septembre 1990.

(signée) MICHEL G. PICHER

ARBITRE