AH – 432/F

ARBITRAGE D’UN GRIEF

ENTRE :

CANADIEN PACIFIQUE EXPRESS LIMITÉE

(la « Compagnie »)

ET

SYNDICAT INTERNATIONAL DES TRANSPORTS – COMMUNICATION

(le « Syndicat »)

 

CONCERNANT : CONGÉDIEMENT de MM. MARC BÉLANGER,
MICHEL LELIÈVRE et MARIO ROBIDOUX

 

ARBITRE:                                                         Me Michel G. Picher

REPRÉSENTAIENT LA COMPAGNIE :

R. M. Skelly                              – Procureur patronal

L. Béchamp                              – Procureure patronale

B. F. Weinert                             – Directeur, relations syndicales

C. McSween                              – Directeur régional, Québec et les Maritimes

REPRÉSENTAIENT LE SYNDICAT :

G. Marceau                               – Procureur patronal

K. Cahill                                    – Procureure patronale

J. J. Boyce                               – Président général

M. Gauthier                               – Vice-Président général

G. Lemire                                  – Président local

 

Audition de l’arbitrage à Montréal, le 1 et 2 août, 1990.

 


SENTENCE ARBITRALE

Les déclarations communes déposées à l’audition se lisent comme suit:

LITIGE :

Après avoir été arrêté le 17 août 1989 par les agents de sécurité du Canadien Pacifique, monsieur Marc Bélanger a été suspendu de ses fonctions le 18 août 1989, et subséquemment congédié le 28 août 1989.

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Suite à une enquête tenue le 25 août 1989, le plaignant a été congédié pour avoir:

a)            Le 17 juillet 1989, tenté de voler un chandail de hockey;

b)            Le 12 juillet 1989, ouvert une boîte d’arachides;

c)             Le 18 juillet 1989, tenté de voler des pantalons d’un colis;

d)            Le 26 juillet 1989, volé des cassettes audio d’un colis.

Le Syndicat conteste le congédiement pour les motifs suivants:

a)            Le plaignant a été discipliné six (6) jours avant l’enquête conduisant à son renvoi;

b)            Ladite enquête n’a pas été tenue dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’incident conformément à l’article 8.2 de la convention collective, et conséquemment, le Syndicat réclame l’application des articles 8.3 et 8.4 de ladite convention collective;

c)             Le plaignant n’a jamais commis les incidents qu’on lui reproche;

d)            Les agents de sécurité de la compagnie ont utilisé des procédés illégaux pour tenter d’incriminer le plaignant;

e)             Le congédiement du plaignant est illégal, injuste et trop sévère compte tenu de toutes les circonstances.

Le Syndicat demande à ce que le plaignant soit réintégré dans ses fonctions sans perte d’ancienneté, de rémunération et de tous les avantages qui lui sont conférés dans la convention collective.

La Société rejette les énoncés du Syndicat et a rejeté le grief à toutes les étapes de la procédure des griefs.

LITIGE :

Après avoir été arrêté le 17 août 1989 par les agents de sécurité du Canadien Pacifique, monsieur Michel Lelièvre a été suspendu de ses fonctions le 18 août 1989, et subséquemment congédié le 28 août 1989.

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Suite à une enquête tenue le 25 août 1989, le plaignant a été congédié pour avoir:

a)            Le 12 juillet 1989, endommagé une boîte d’arachides;

b)            Le 24 juillet 1989, ouvert un colis;

c)             Le 26 juillet 1989, volé des cassettes audio d’un colis.

Le Syndicat conteste le congédiement pour les motifs suivants:

a)            Le plaignant a été discipliné six (6) jours avant l’enquête conduisant à son renvoi;

b)            Ladite enquête n’a pas été tenue dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’incident conformément à l’article 8.2 de la convention collective, et conséquemment, le Syndicat réclame l’application des articles 8.3 et 8.4 de ladite convention collective;

c)             Le plaignant n’a jamais commis les incidents qu’on lui reproche;

d)            Les agents de sécurité de la compagnie ont utilisé des procédés illégaux pour tenter d’incriminer le plaignant;

e)             Le congédiement du plaignant est illégal, injuste et trop sévère compte tenu de toutes les circonstances.

Le Syndicat demande à ce que le plaignant soit réintégré dans ses fonctions sans perte d’ancienneté, de rémunération et de tous les avantages qui lui sont conférés dans la convention collective.

La Société rejette les énoncés du Syndicat et a rejeté le grief à toutes les étapes de la procédure des griefs.

LITIGE :

Après avoir été arrêté le 17 août 1989 par les agents de sécurité du Canadien Pacifique, monsieur Mario Robidoux a été suspendu de ses fonctions le 18 août 1989, et subséquemment congédié le 28 août 1989.

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Suite à une enquête tenue le 25 août 1989, le plaignant a été congédié pour avoir:

a)            Le 18 juillet 1989, enlevé des pantalons d’un colis;

b)            Le 24 juillet 1989, ouvert un colis et distribué des fleurs parfumées aux autres employés;

c)             Le 26 juillet 1989, volé des cassettes audio d’un colis.

Le Syndicat conteste le congédiement pour les motifs suivants:

a)            Le plaignant a été discipliné six (6) jours avant l’enquête conduisant à son renvoi;

b)            Ladite enquête n’a pas été tenue dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’incident conformément à l’article 8.2 de la convention collective, et conséquemment, le Syndicat réclame l’application des articles 8.3 et 8.4 de ladite convention collective;

c)             Le plaignant n’a jamais commis les incidents qu’on lui reproche;

d)            Les agents de sécurité de la compagnie ont utilisé des procédés illégaux pour tenter d’incriminer le plaignant;

e)             Le congédiement du plaignant est illégal, injuste et trop sévère compte tenu de toutes les circonstances.

Le Syndicat demande à ce que le plaignant soit réintégré dans ses fonctions sans perte d’ancienneté, de rémunération et de tous les avantages qui lui sont conférés dans la convention collective.

La Société rejette les énoncés du Syndicat et a rejeté le grief à toutes les étapes de la procédure des griefs.

Il s’agit de trois griefs contre le congédiement des plaignants, M. Marc Bélanger, M. Michel Lelièvre et M. Mario Robidoux. Ils ont été suspendus de leurs fonctions dans l’entrepôt de la Compagnie à Lachine le 18 août et congédiés le 28 août 1989. Les trois plaignants étaient accusés d’avoir volé de la propriété des clients de l’entreprise ainsi que d’avoir ouvert des colis des clients, d’en avoir manutentionné le contenu de dans certains cas, d’avoir tenté de voler les biens contenus dans des colis.

Le procureur syndical soulève une objection préliminaire quant au rôle de la police du Canadien Pacifique dans l’enquête et l’arrestation des plaignants. Pour les motifs déjà énoncés dans l’arbitrage du grief de l’employé Daniel Champagne (AH-431), cette objection est rejetée.

La preuve révèle que des policiers enquêteurs avaient été témoins de deux genres d’infractions dans l’entrepôt de la Société à Lachine entre le 7 et le 26 juillet 1989. La première infraction implique la manutention du contenu de certaines boîtes en voie de transport qui passaient par l’entrepôt. Il s’agit, entre autres, de l’enlèvement de pantalons d’un colis par M. Robidoux le 18 juillet, de l’inspection, à deux reprises, de gilets de hockey tirés d’un colis par M. Robidoux et M. Bélanger le 7 juillet et d’un jeu abusif avec des fleurs parfumées de marque « Coty » entre M. Robidoux et M. Lelièvre le 24 juillet. Le deuxième groupe d’infractions est le piquage de biens, y compris des arachides, le 12 juillet et de quatre cassettes de musique le 26 juillet.

À l’avis de l’arbitre, les incidents de manutention ne méritent pas, en soi, le congédiement des plaignants. Je suis persuadé, d’après la prépondérance de la preuve, que dans tous les cas de manutention il s’agissait de colis déjà ouverts, et non de boîtes défoncées par les plaignants pour leur propre amusement. Manifestement, ce-là n’excuse pas les gestes cavaliers des plaignants, qui doivent comprendre que les biens des clients de l’entreprise ne doivent pas faire l’objet de jeux au travail. Par contre, le fait de se distraire pour quelques instants en examinant de la marchandise exposée dans un colis brisé n’est pas scandaleuse, surtout dans un endroit de travail où les tâches peuvent êtres monotones. Je juge que ces actes auraient mérité une sanction disciplinaire, mais beaucoup moins grave que le congédiement. Étant donné les conclusions de l’Arbitre relativement au détournement des biens discutés ci-après, il n’est pas nécessaire de préciser le niveau de discipline approprié à ces incidents.

La question du piquage des biens dans l’entrepôt est, cependant, plus sérieuse. Il est évident qu’un employeur qui offre un service de transport de colis au publique ne peut tolérer que ses employés se livrent au détournement des biens transportés. Les données déposées en preuve démontrent que le petit vol ou le piquage des biens est un problème dans tous les entrepôts de la Compagnie, y compris celui de Lachine. Il suffit d’apprécier que ces larcins représentent pour l’entreprise en général un coût de presque deux pour-cent de la valeur de la marchandise qui passe par ses entrepôts. Étant donné l’immensité des lieux de travail, où la supervision directe et constante des employés est impraticable, le vol des biens confiés à la Compagnie par ses clients peut être un problème des plus sérieux.

Il est admis que les trois plaignants sont coupables de piquage. M. Robidoux raconte que, le 12 juillet, il ouvrait une boîte d’arachides que la Compagnie expédiait à un magasin du client K-Mart. Il défonçait un des sacs contenu dans la boîte pour manger une poignée d’arachides. Par la suite, M. Bélanger et M. Lelièvre ont également participé à la dégustation. D’après leur preuve, la consommation d’arachides était, à l’époque, monnaie courante dans l’entrepôt et ils n’y voyaient rien de grave.

L’Arbitre serait enclin à accepter qu’un seul geste de piquage de ce genre, par un employé de bon service, pourrait mériter un traitement disciplinaire moins sévère, surtout dans le contexte d’une pratique générale dans l’atelier et d’une franche admission de la part de l’employé. Malheureusement, dans le cas des plaignants, le événements ne s’arrêtent pas à ce point.

D’après les faits révélés à l’audition, il appert que le 26 juillet, M. Bélanger, M. Lelièvre et M. Robidoux ont chacun piqué une cassette audio de musique populaire. Ces cassettes audio étaient dans une boîte dont le destinataire était un commerçant dans le domaine de la musique, dans des circonstances où les employés savaient qu’il s’agissait de voler.

Les plaignants ont tenté de minimiser la gravité de ces actes. En particulier, M. Bélanger raconte qu’il a simplement joué sa cassette dans un appareil magnétophone dans l’entrepôt, et ne l’a pas apportée chez lui. M. Lelièvre raconte que dix minutes après le vol il s’est senti très coupable et, pendant que personne n’était là, il a remis sa cassette dans la boîte d’où il l’avait prise.

Je trouve faible et hors de propos l’explication de M. Bélanger. Il importe peu quel usage il a fait de la cassette si, de toute façon, elle disparaissait à jamais des mains de son propriétaire. La suggestion, faite par M. Bélanger dans sa preuve, qu’il n’a pas pris la cassette « pour la voler » puisqu’il l’avait déjà à la maison révèle, il me semble, une attitude étrange en ce qui trait à son devoir envers son employeur et vis-à-vis l’intégrité des biens qui circulent dans l’entrepôt. Sa déclaration qu’il n’a jamais sorti quoi que ce soit de l’entrepôt suscite dans l’Arbitre une inquiétude quant à la perception de M. Bélanger des règles du jeu.

Je ne peux, non plus, accepter la preuve de M. Lelièvre à l’effet qu’il a remis la cassette qu’il avait enlevée. L’enquêteur Frank Blandford a vu de ses yeux le vol des cassettes et a vérifié la livraison de la boîte en question le lendemain chez le destinataire. Sa preuve établit deux choses à la satisfaction de l’Arbitre. Premièrement, tout de suite après le vol des cassettes, M. Bélanger refermait et scellait la boîte avec un ruban gommé. Deuxièmement, le lendemain, le destinataire trouvait qu’il manquait dans la boîte le même nombre de cassettes que M. Blandford avait vu enlever le jour précédent, y compris celui de M. Lelièvre. Je dois donc en venir à la conclusion regrettable que M. Lelièvre a tenté de tromper l’Arbitre.

Les procureurs syndicaux plaident d’une façon impressionnante la jurisprudence arbitrale pour étayer leur position et réclamer la réintégration au travail de ces plaignants. Ils soutiennent que le piquage révélé en preuve ne mérite pas le congédiement, et qu’à la lumière d’un nombre de sentences arbitrales et d’au moins une recherche publiée, il y a lieu de croire que les plaignants peuvent réintégrer leurs fonctions sans crainte de récidive. Le procureur patronal soutient, au contraire, que l’ensemble de la preuve laisse en doute l’honnêteté des employés en question. Il souligne l’importance du lien de confiance dans une entreprise qui traite de l’entreposage et du transports des biens des autres.

Après mûre réflexion, et avec grand respect pour la qualité de la plaidoirie syndicale, l’Arbitre en vient à la conclusion que la réintégration des plaignants n’est pas justifiée en l’espèce. Plusieurs facteurs mènent à cette conclusion. Premièrement, il ne s’agit pas d’un seul acte de piquage, mais de deux occasions rapprochées où les plaignants agissaient en groupe et détournaient les biens des clients de l’employeur confiés à leurs mains. Il est donc difficile de juger leur conduite comme étant une divergence exceptionnelle dans le contexte d’un rendement impeccable. Deuxièment, quant à M. Bélanger et M. Lelièvre, pour les raisons élaborées plus haut, je dois conclure que leur honnêteté en ce qui concerne ces incidents est, pour le moins, suspecte, Et. M. Robidoux, qui semble avoir été honnête et consistant dans ses admissions depuis le début de cette affaire, laissait tomber des remarques dans sa preuve qui soulèvent des doutes sérieux en ce qui concerne son appréciation de la gravité du piquage au travail.

Un dernier facteur d’importance est le milieu de travail et la nature de l’entreprise. La Société s’occupe de l’entreposage et du transport des marchandises et des biens des autres. Ses clients ont le droit de s’attendre à ce que leurs colis soient traités en tout temps d’une façon respectueuse et sécure. L’employeur a donc le droit, sinon le devoir, de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les biens qui lui sont confiés contre les abus et le vol. Cela implique nécessairement le droit de prendre les mesures disciplinaires appropriées pour éliminer et prévenir ces problèmes. À la lumière de ces circonstances particulières, à l’avis de l’Arbitre, ces griefs se distinguent de ceux qui traitent plus communément d’incidents isolés de piquage des biens qui appartiennent uniquement à un employeur. (Voir Goodyear Tire Inc. (1985) 18 L.A.C. (3d) 292 [Burkett].)

Les plaignants ne sont pas des employés de long service. Le manque d’honnêteté démontré par leur participation à deux incidents de piquage dans l’espèce de deux semaines, aggravé en partie par leur attitude relativement cavalière vis-à-vis ces évènements, a brisé le lien de confiance entre eux et leur employeur. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, l’Arbitre doit conclure que leur congédiement par la Société était justifié et que dans les circonstances il n’y a pas de facteurs atténuants qui méritent la réduction de cette discipline.

Pour ces motifs les griefs sont rejetés.

FAIT à Toronto, ce 17ième jour de septembre 1990.

(signée) MICHEL G. PICHER

ARBITRE