BUREAU D’ARBITRAGE DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE Nº 3145

entendu à Montréal, le mardi, le 10 octobre 2000

opposant

CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

et

UNITED STEELWORKERS OF AMERICA
(LOCAL NATIONAL AMALGAMÉ DES TRANSPORTS COMMUNICATION 1976)

LITIGE :

 

Le congédiement de M. R. Marleau employé comme conducteur de mini-bus à la cour de triage St-Luc.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

 

Durant son quart de travail du 20 avril 1999, M. Marleau a été arrêter par la Police lorsque de la cocaïne fut trouvée dans un véhicule de la Compagnie qui était sous la responsabilité de M. Marleau. Le 31 mai, 1999, la Compagnie a débutée une enquête relativement aux circonstances entourant le quart de travail du 20 avril 1999, de M. Marleau. Une enquête supplémentaire a également été tenue avec M. Marleau le 12 juillet 1999. À la suite de ses enquêtes, la Compagnie a congédié M. Marleau pour avoir eu une conduite inappropriée en tant qu’employé, « lorsqu’une substance illégale (cocaïne) a été trouvée dans une véhicule de la Compagnie qui était sous votre responsabilité », alors qu’il travaillait comme conducteur de mini-bus à la cour de triage St-Luc, Montréal, le 20 avril 1999.

 

Le Syndicat a interjeté un appel, affirmant que le congédiement était excessif et injustifié. Le Syndicat réclame que M. Marleau soit réintégré sans perte d’ancienneté comme conducteur de mini-bus et qu’il soit remboursé pour toute pertes de salaire et bénéfices depuis le 21 avril 1999.

 

La Compagnie a rejetée la requête du Syndicat.

 

POUR LE SYNDICAT : POUR LA COMPAGNIE :

(SGN.) N. M. LAPOINTE (SGN.) R. HAMPEL

PRÉSIDENT, LOCAL 1976 FOR: R. A. DECICCO

 

Représentaient la Compagnie :

R. Hampel – Labour Relations Officer, Calgary

R. Sabourin – Labour Relations Officer, Calgary

Et représentaient le Syndicat :

R. Pagé – Représentant, Montréal

S. Hadden – Représentant est du Canada, Montréal

J. Greffe – Président, Loge 1290, Montréal

R. Marleau – Plaignant

 

SENTENCE ARBITRALE

 

Certains faits pertinents au grief ne sont pas contestés. Le 20 avril 1999 le plaignant était affecté comme chauffeur d’autobus à la cour de triage St-Luc, responsable pour le transport des employés dans une fourgonnette de la Compagnie. Il travaillait de 15 h 00 à 23 h 00.

 

Vers 19 h 00 M. Marleau a stationné son véhicule dans le stationnement d’un restaurant à aires ouvertes situé sur la rue Décarie. Pendant qu’il attendait en ligne pour se faire servir, un camion s’est stationné à côté de la fourgonnette du plaignant. Le chauffeur du camion est venu converser pendant quelques instants avec M. Marleau. Alors cet individu, un dénommé Donald Renaud, s’est dirigé vers la fourgonnette du plaignant, à ouvert la porte et a déposé quelque chose à l’intérieur. Presque simultanément un troisième véhicule est arrivé dans le stationnement et M. Renaud a échangé une somme d’argent importante avec le chauffeur. Soudainement plusieurs voitures policières sont arrivées sur les lieux et M. Renaud, sa compagne qui était dans son camion, le plaignant et le chauffeur du troisième véhicule ont tous été arrêtés dans une descente anti-drogue.

 

Les agents policiers ont tout de suite demandé à M. Marleau des les accompagner à sa fourgonnette. Une quantité de sept grammes de cocaïne, dans un sachet en plastique, reposait alors dans le cendrier du véhicule. Une fouille de M. Marleau à révélé qu’il avait alors plus de cinq cent dollars, ainsi qu’une petite quantité de marijuana, dans ses poches.

 

Accusé de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic, le plaignant à été trouvé non coupable dans un jugement rendu le 8 juin 2000. L’Honorable juge Micheline Corbeil Laramie en est venue à la conclusion que vu le manque de contrôle de son véhicule dans les moments critiques, et faute de preuve suffisante de consentement, l’élément de possession de la drogue en question par le plaignant n’était pas prouvé hors de tout doute raisonnable. Un élément, entre autres, semble avoir influencer la cour. Selon la juge, il ne semblait y avoir aucune complicité entre le plaignant et le fournisseur accusé, M. Renaud. Lors de sa preuve, M. Marleau disait qu’il ne connaissait que le premier nom de M. Renaud et ne l’avait pas vu depuis plusieurs mois lors de l’incident du 20 avril. Or, la juge en conclut ainsi : « Même si le témoignage de l’accusé a des failles, on ne peut conclure de ce fait qu’il était au courant des agissements de Renaud. »

 

Cependant, le compte rendu de cet incident relaté par M. Marleau à la Compagnie lors de son enquête disciplinaire soulève de graves doutes à cet égard. Lors de sa déclaration faite à l’employeur, le 31 mai 1999, M. Marleau a raconté que le jour même de sa rencontre avec M. Renaud, ce dernier l’avait appelé sur son téléphone cellulaire, vers 17 h 30. Il prétend que la conversation était limitée au sujets de cartes de collectionneurs de sport et de loteries. Aux yeux de l’Arbitre, il semble pour le moins étrange que le plaignant, qui insistait devant la juge de ne pas avoir « vu » M. Renaud depuis des mois, ait oublié de mentionné que les deux s’étaient entretenu au téléphone moins de deux heures avant leur rencontre au restaurant le 20 avril 1999.

 

Deuxièmement, il est convenu que le plaignant n’a pas dévoilé à la Compagnie qu’il avait un quart de joint de marijuana dans sa poche lors de son arrestation. Une admission a cet effet a été extraite du plaignant par le procureur de la Couronne lors de son procès, pendant sa contre-interrogation, et cela seulement après une série de réponses évasives de la part de M. Marleau.

 

En arbitrage la preuve est mesurée au standard de la plus grande probabilité, et non pas selon le standard du doute raisonnable qui s’applique en procédure criminelle. La jurisprudence de ce bureau établit clairement qu’il incombe a un employé qui semble impliqué dans la possession ou le trafic de drogues de fournir une explication claire et convainquante, en défaut de quoi le tribunal peut en venir à des conclusions négatives à son égard. Dans le BACFC 1703 l’arbitre se prononçait ainsi :

 

Dans un cas de sanctions reliées à la drogue, le fardeau de la preuve, comme dans tout cas de mesures disciplinaires, doit être assumé par la Compagnie. Toutefois, là où certains faits – même circonstanciels – viennent suggérer qu’un cheminot est profondément impliqué dans la production et l’usage de drogues, il peut incomber à cet employé de fournir un récit complet et satisfaisant de ses actions et des circonstances les entourant pour justifier son maintien en service. En l’absence d’une explication complète et crédible et devant une preuve accablante, un employeur ayant des obligations aussi lourdes envers la sécurité publique qu’une compagnie ferroviaire n’aurait pas d’autre choix que de mettre à pied ou de congédier une personne dont les habitudes sont absolument incompatibles avec l’exploitation sécuritaire de l’entreprise. …

 

 

Il est généralement accepté qu’on doit attendre d’un employeur portant une accusation grave contre un employé qu’il fournisse des preuves dont la fiabilité est proportionnelle à la gravité de l’accusation (voir Indusmin Ltd. (1978), 20 L.A.C. (2d) 87 (M.G. Picher)). De la même façon, lorsque sont avancées des preuves telles qu’en l’absence d’explication adéquates, on peut, selon la prépondérance des probabilités, conclure qu’il y a eu méfait, il incombe à l’employé de fournir des faits qui viendront les infirmer. …

 

(Voir aussi BACFC 2238 et 2296)

 

Comment ces principes s’appliquent-ils en l’espèce ? La preuve établit les faits suivants :

1. Pendant son quart de travail le plaignant reçoit un appel de téléphone sur son appareil cellulaire provenant de Donald Renaud.

 

2. Peu après M. Marleau et M. Renaud se rencontrent à un restaurant sur la rue Décarie, ou leurs véhicules sont stationnés un à côté de l’autre.

 

3. Après une conversation de quelques trente secondes, M. Renaud va déposer sept grammes de cocaïne dans la fourgonnette de la Compagnie conduite par M. Marleau.

 

4. Une fouille de M. Marleau révèle qu’il est en possession de plus de 500 dollars, un montant qui correspond à la valeur de la cocaïne déposée dans son véhicule.

 

5. Il possède, en même temps, une petite quantité de marijuana, en forme de cigarette.

 

Face à ces faits incriminants, l’explication du plaignant laisse beaucoup à désirer. Dans un premier temps, il ne révèle pas à son employeur qu’il avait un joint de marijuana en sa possession lors de son arrestation. Deuxièmement, il admet à la Compagnie avoir parlé au téléphone à l’accusé fournisseur de cocaïne le jour même de leur rencontre, mais il ne fait aucune mention de cet appel dans la preuve qu’il donne en Cour Supérieure lors de sons procès. De cette façon il induisait la Cour à croire qu’il n’y avait eu aucun contact entre lui et M. Renaud depuis plusieurs mois, ce qui était nettement faux.

 

L’Arbitre est d’avis que dans les circonstances il y avait clairement juste cause pour le congédiement du plaignant. Premièrement, en tant que chauffeur d’autobus responsable pour le transport sécuritaire des employés de la Compagnie, sa possession de stupéfiants, soit de cannabis, au travail serait en soi une cause suffisante pour le congédiement. La possession d’un stupéfiant sur la personne d’un employé dont les tâches impliquent un haut degré de sécurité est nettement incompatible avec le lien de confiance essentiel à un tel emploi. Pour ce seul motif, l’Arbitre se verrait obligé de rejeter le grief.

 

Deuxièmement, face à des circonstances fort douteuses qui impliquerait M. Marleau dans l’achat d’une quantité importante de cocaïne, les explications fournies par le plaignant son inconsistantes, sinon nettement contradictoires et trompeuses. Tel que noté ci-dessus, le plaignant semble avoir tenté d’induire en erreur la Cour en ce qui concernait le degré de contact récent entre lui-même et M. Renaud. De plus, sa faible tentative de prétendre devant la Cour que le joint en sa possession n’était que du tabac s’est avéré également fausse.

 

En somme, la crédibilité du plaignant laisse énormément à désirer. À l’avis de l’Arbitre ce n’est pas par coïncidence que la personne avec qui il s’était entretenu au téléphone peu d’une heure avant est venu stationner son camion à côté de la fourgonnette du plaignant sur le stationnement du restaurant. À mon avis, d’après la prépondérance de la preuve, c’est non plus par coïncidence que ce même individu aurait déposé une quantité importante de cocaïne dans la fourgonnette de M. Marleau, après seulement quelques secondes de conversation avec lui. Les explications fournies par M. Marleau, à l’effet qu’il ne savait rien des transactions de drogues qui se déroulaient devant lui, ni des agissements de M. Renaud, sont tout à fait invraisemblables, compte tenu de la preuve évasive, contradictoire et trompeuse qu’il a présenter d’abord à son employeur et ensuite à la Cour Supérieure du Québec.

 

L’Arbitre ne peut, non plus, accueillir l’objection préliminaire du Syndicat à l’effet que la discipline est nulle à cause d’un manquement au délais dans la communication de la décision de l’employeur. L’article 27.3 statue que la décision de la Compagnie « … doit être rendue dans les 21 jours civils suivant la clôture de l’enquête, sauf commun accord contraire. » L’article en question ne contient aucune sanction, et n’exprime aucune conséquence pratique si les échéances ne sont pas respectées. Il est convenu qu’en l’espèce la lettre de congédiement a été émise le vingt-deuxième jours après la clôture de l’enquête. Pour les motifs bien élaborés dans la jurisprudence de ce bureau, l’Arbitre doit reconnaître le libellé de l’article 27.3 comme étant de nature directoire, et non pas obligatoire, en ce qui concerne le respect des délais prévus. Il n’y a rien dans le contexte de l’article, ni dans son langage, qui peut justifier la conclusion qu’un manquement au délais doit nullifier la discipline. Une telle conséquence, à mon avis, exigerait une articulation claire et non-équivoque dans le texte de la convention collective (voir BACFC 2830).

 

Pour tous ces motifs, le grief doit être rejeté.

 

 

octobre 13 2000 (signée) MICHEL G. PICHER

Arbitre