BUREAU D'ARBITRAGE DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO. 3429

entendu à Montréal, le mardi, 8 juin 2004

concernant

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

et

LES TRAVAILLEURS UNIS DES TRANSPORTS

REQUÊTE ÉMANANT D'UNE SEULE PARTIE

LITIGE :

Retrait du service de monsieur Jeannot Rioux, NIP 781992, depuis le 26 octobre 2003.

EXPOSÉ DU CAS PAR LE SYNDICAT:

Le 29 octobre 2000, monsieur Rioux est victime d'un accident de travail en manœuvrant l'aiguille à la gare de Fourchue, Subdivision Montmagny, lorsqu'en service à titre de chef de train dans le convoi no. 136 circulant de Joffre (QC) à Edmunston (N.B.).

Le 11 décembre 2001, le docteur Louis Godin fournit un rapport d'évaluation à la CSST concluant à des restrictions permanentes à l'égard de son travail. Ce rapport n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de l'employeur.

Du 29 octobre 2000 au 31 mai 2002, monsieur Rioux est en réadaptation. Suite à une entente entre les parties, y compris un représentant de la CSST, monsieur Rioux reprend le service dans les trains 120, retour 137, de la Gare de Joffre. Dû à l'abolition de ces trains, monsieur Rioux n'est plus en mesure d'occuper un poste dans une autre affectation régulière sans une aide minimale pour effectuer les manœuvres au départ ou à l'arrivée lorsque requises.

Le Syndicat soumet qu'en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des dispositions de l'article 74 et autres de la convention collective, la Compagnie néglige ou refuse de s'acquitter de ses obligations à l'endroit d'un employé, victime d'un accident de travail, nécessitant son aide afin de retourner au travail dans un poste convenable, tenant compte de ses limitations fonctionnelles.

Le Syndicat demande que monsieur Rioux soit autorisé à retourner au travail dans l'affectation du train no. 308, ou autres affectations similaires, lui octroyant l'aide nécessaire si la charge de travail de ce train ne peut être modifiée, et qu'il soit compensé pour toutes pertes de salaires, avantages sociaux et autre depuis le 26 octobre 2003.
 

POUR LE SYNDICAT :
(SGN.) R. LEBEL
PRÉSIDENT GÉNÉRAL

Représentaient la Compagnie :

D. Laurendeau
A. Giroux
P. Dery
D. Gagne
R. Paradis
N. Perrault
D. L. Godin
J. Bergeron

- Directeur Ressources Humaines, Montréal
- Avocat, Montréal
- Surintendant Adj. Transport
- Directeur Relations de travail
- Agent - réclamations générales
- Ergothérapeute
- Médecin
- Associée Relations de travail

Et représentaient le Syndicat :

R. Lebel
R. Marsolais
S. Gord
C. Belzilb
R. Michaud
J. Rioux

- Président général, Québec
- Avocat
- Avocate
- Représentant locale, Québec
- Président - Comité législatif Québec
- Plaignant

 

SENTENCE ARBITRALE

La preuve établit que le plaignant n'est pas apte à accomplir les tâches normalement accomplies par un chef de train. Entre autres, son incapacité physique l'empêche de faire les tâches de manœuvres qui font partie du travail normal d'un chef de train, surtout relativement au départ et à l'arrivée de son train.

Pendant un certain temps, après le 3 juin 2002, M. Rioux a pu remplir la fonction de chef de train en service intermodal entre Charny et Edmundston, étant donné que, normalement, cette affectation ne comportait aucun élément de manœuvre. Suivant l'abolition de ce train en décembre 2002 il a été placé sur le tableau de personnel en surplus (furlough board) jusqu'à l'abolition de ce tableau, environ le 26 octobre 2003. Depuis ce temps il se trouve effectivement dépourvu d'affectations et sans revenu.

Le syndicat prétend que l'obligation de l'employeur de fournir un accommodement raisonnable au plaignant n'a pas été respecté. En particulier, ses procureurs plaident que la compagnie doit lui fournir de l'aide pour lui permettre d'accomplir son travail de chef de train. Par exemple, selon le syndicat, un autre employé devrait être affecté pour prêter main forte à M. Rioux dans l'accomplissement de ses tâches de manœuvre aux gares d'origine comme aux gares de destination. Pour ce faire, dit le syndicat, l'employeur pourrait avoir recours aux employés sur le tableau de relève.

L'Arbitre n'est pas d'accord. En l'espèce, il s'agit de l'exécution de l'obligation statutaire de la compagnie de chercher, dans la mesure du possible, une façon d'accommodé l'incapacité physique de l'employé, tel que l'exige la Loi canadienne sur les droits de la personne, et à la lumière de la jurisprudence qui s'y rattache.

Sous cette Loi, la compagnie n'est pas en devoir de créer de toutes pièces un nouveau poste qui convient aux contraintes physiques de l'employé, ni d'embauché un autre employé, soit à plein temps ou sur une base partielle, dans le seul but de contribuer aux tâches que le plaignant est incapable d'accomplir à cause de ses restrictions physiques. L'obligation de la compagnie est de chercher à placer M. Rioux dans une affectation qu'il peut accomplir raisonnablement, compte tenu de son incapacité, sans pour autant s'imposer de contrainte excessive. (Voir CROA 3354.) De plus, il est bien établit que l'obligation de trouver un emploi approprié s'étend au delà du poste que l'employé a occupé, et peut même comprendre l'affectation de la personne en question à un poste vacant en dehors de son métier et de son unité de négociation.

Il est aussi à souligner que le syndicat et l'employé ont également un rôle à jouer dans l'identification d'un poste convenable. Dans cet exercice, ils ne peuvent refuser une offre raisonnable de l'employeur, par exemple en exigeant que l'employeur accorde à l'employé seulement sa position préférée (voir CROA 3173).

En l'espèce, la compagnie était libre d'annuler, pour des raisons valables, le train intermodal sur lequel M. Rioux était affecté. Elle avait également le droit d'abolir le tableaux du personnel de surplus dans l'exploitation de son entreprise. La preuve démontre que l'effort de trouver un poste qui convient aux incapacités physiques de M. Rioux a été frustré en grande partie par la position intransigeante du plaignant et de son syndicat, qui semblent avoir insisté qu'on lui devait de le garder en fonction comme chef de train. Pour les motifs déjà exprimés, cela n'était pas l'obligation de l'employeur. L'Arbitre doit conclure que l'option proposée par le syndicat, à savoir l'embauche d'un autre employé pour aider le plaignant, dépasse la limite de l'obligation d'accommodement et constituerait une contrainte excessive au sens de la Loi. Cette option réduirait les effectifs sur le tableau de relève et pourrait impliquer des coûts additionnels considérables.

Par contre, il n'est pas évident que les parties se sont vraiment acquittés de leur obligation de chercher, dans le sens le plus large, un poste approprié aux incapacités de M. Rioux. Il appartient à l'employeur, comme au syndicat, de faire un examen systématique de toutes ses opérations, premièrement dans le local où réside le plaignant et au dedans de la juridiction de son syndicat (par exemple dans les rangs des co-ordinateurs de formation des trains), et ensuite en dehors de son unité de négociation, dans son local et sa région d'abord et ensuite à la largeur du système. Il ne semble pas évident, d'après la preuve apportée, qu'un examen systématique de cette envergure a vraiment été entrepris par les parties.

Dans un deuxième temps, l'arbitre ne peut accueillir la plaidoirie du syndicat que l'employeur ne peut demander au plaignant de se soumettre à un examen médical ou autre examen physique pour préciser d'une façon courante son état d'incapacité. Si l'employeur est obligé de se pencher sur la possibilité que l'employé soit affecté dans un nouvelle fonction, il s'en suit qu'il peut exiger que l'employé subisse un examen médical ou une revue fonctionnelle pour évaluer son aptitude à répondre aux exigences d'un autre poste, possiblement dans un milieu différent. En l'espèce, il ne semble pas contesté que M. Rioux à refusé de se soumettre à ce genre d'évaluation. L'Arbitre considère que par ce refus il a enfreint son obligation de participer pleinement au processus d'accommodement.

Pour ces motifs, le grief doit être accueilli, mais seulement en partie. La conduite du plaignant et la position prise par son syndicat ne justifient pas une ordonnance de dédommagement dans les circonstances de ce dossier. Par contre, l'Arbitre déclare que l'employeur n'a pas accompli d'une façon systématique et exhaustive l'exercice d'accommodement et ordonne à la compagnie, avec la participation et la pleine co-opération du syndicat et de M. Rioux, de faire un examen systématique de ses opérations, tel que décrit ci-dessus, pour identifier, si possible, un poste qu'il pourrait occupé, au dedans des limites de contraintes excessives, comme prévu à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le dossier est donc remis dans les mains des parties, sous réserve de la juridiction de l'Arbitre de trancher s'il surgit un conflit entres les parties concernant l'interprétation ou l'exécution de cette sentence.
 

Le 14 juin 2004 L'ARBITRE

(signée) MICHEL G. PICHER