BUREAU D'ARBITRAGE ET DE MÉDIATION DES CHEMINS DE FER DU CANADA CAUSE NO. 3470 entendu à Montréal, le jeudi, le 10 février 2005 concernant LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA et LE LOCAL 2004 DES MÉTALLURGISTES UNIS D'AMERIQUE | ||
LITIGE : Congédiement de Monsieur Bertrand Moisan. EXPOSÉ CONJOINT DU CAS : Le 12 novembre 2002, l'employée M. Bertrand Moisan fut congédié pour " avoir agressé physiquement le préposé d'équipes surnuméraires Gianberardino Petrelli, alors que vous voyagiez sur le train VIA 603, le 15 juillet 2002. " La Fraternité proteste le congédiement. Le sujet fut discuté entre la Fraternité et le service des relations de travail de CN et il fut convenue que le cas serait procédé directement à l'arbitrage. Le Syndicat soutient que : (1) L'incident en question s'est produit en dehors des heures de travail et en dehors de l'endroit du travail; (2) Le plaignant n'a pas attaqué Monsieur Petrelli; (3) Le plaignant fut complètement acquitté de la charge criminelle qui fut déposée contre lui à la suite de l'incident en question; (4) La discipline imposée était injustifiée dans les circonstances. Le Syndicat demande que le plaignant soit réintégré dans ses fonctions avec la Compagnie immédiatement sans perte d'ancienneté et remboursé pour toute perte de salaire et avantages sociaux perdus suite a`cette dispute. La Compagnie rejette la dispute et refuse la demande du Syndicat. | ||
POUR LE SYNDICAT : |
POUR LA COMPAGNIE : | |
Représentaient la Compagnie : | ||
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- Directeur, Relations de travail, Montréal | |
Et représentaient le Syndicat : | ||
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- Avocat | |
SENTENCE ARBITRALE Le 12 novembre 2002, le plaignant, M. Bertrand Moisan, a été congédié pour avoir agressé physiquement le préposé d'équipe surnuméraire Gianberardino Petrelli le 15 juillet 2002 alors qu'il voyageait sur le train Via 603. Le plaignant a été acquitté de l'accusation criminelle de s'être livré à des voies de fait contre M. Petrelli et de lui avoir infligé des lésions corporelles. Cette décision a été rendue à Senneterre le 26 février 2004 par la chambre criminelle de la Cour du Québec. Le plaignant soumet qu'il a été injustement congédié par la Compagnie et que l'arbitre doit annuler le congédiement et ordonner sa réintégration dans son emploi avec tous les droits et privilèges et aussi ordonner le remboursement de tout salaire ou autres avantages perdus depuis le congédiement, incluant la période où le plaignant a été suspendu pendant l'enquête. Lundi, le 15 juillet 2002, l'équipe du service de la voie de l'ingénierie (dont le plaignant et M. Petrelli faisait partie) se rapportait à M. Fitzpatrick. L'équipe devait embarquer sur le train VIA 603 afin de quitter aux environs de 15h30 en direction de Press. C'est à Press que l'équipe devait établir leur lieu d'hébergement pour leur quart de travail, lequel commençait à 07h00 le 16 juillet 2002. Les membres de l'équipe n'étaient pas rémunérés pendant la période de déplacement. Toutefois, l'équipe voyageait aux frais de la Compagnie afin de se rendre à leur lieu d'hébergement, conformément aux dispositions de l'article 22 et de l'Annexe XIII de la convention collective 10.1. La Compagnie allègue que le plaignant a consommé des boissons alcooliques lorsqu'il voyageait sur le train VIA 603. Vers 21h30, alors qu'il était assoupi sur le premier banc dans le dôme de la voiture Via 603, M. Petrelli déclare qu'il a été agressé par l'arrière. M. Petrelli indique qu'il a reçu un coup de poing sous le menton alors qu'il était penché et appuyé sur le mur devant son banc. C'est en se retournant à la suite du coup qu'il a identifié son agresseur comme étant le plaignant. Alors qu'il tentait à la fois de comprendre ce qui venait de se passer et de se défendre, M. Petrelli déclare que le plaignant lui a assené un coup de pied dans l'estomac le projetant par terre et lui occasionnant une sérieuse coupure sur le dessus de la tête. Selon la déclaration de M. Petrelli, M. Moisan a, par la suite, fuit les lieux de l'altercation pour aller reprendre sa place en bas du dôme dans la voiture Parc. À la suite de cet incident, M. Petrelli déclare qu'il a également quitté le dôme pour aller chercher de l'aide, considérant sa condition. Lors de sa descente du dôme, M. Petrelli a aperçu ses collègues de travail, M. Jude Leblanc et M. André Faucher, ainsi que le plaignant assis au bas de l'escalier. M. Petrelli déclare qu'il a demandé au plaignant ce qui lui a pris de faire une pareille chose et que le plaignant aurait ignoré totalement ce que M. Petrelli lui disait et a fait comme si rien ne s'était passé. M. Petrelli déclare aussi que MM. Faucher et Leblanc lui ont alors mentionné qu'ils n'avaient rien vu. Par la suite, M. Petrelli a cherché un membre du personnel de l'équipe de train VIA afin de rapporter l'incident et demander l'assistance médicale nécessaire à sa condition. Après avoir trouvé un membre de l'équipe VIA et avoir reçu les premiers soins, M. Petrelli et une employée de VIA au nom de Mme Michèle Potvin sont retournés vers l'arrière de la voiture Parc, afin d'identifier la personne qui avait infligé les blessures. M. Petrelli a encore aperçu ses deux collègues de travail, MM Leblanc et Faucher, qui avaient quitté l'arrière de la voiture Parc en prenant maintenant place dans un autre wagon. M. Petrelli et Mme Potvin ont retrouvé le plaignant dans la toilette de la voiture Parc où il était en train de se laver. M. Petrelli et Mme Potvin ont alors vu au même moment le chandail du plaignant dans la poubelle de la toilette et sur lequel il y avait du sang. À la suite de ces évènements, le plaignant et M. Petrelli ont été avisés par les membres de l'équipe de train VIA de demeurer sur le train jusqu'à Senneterre où la force policière locale devait les rencontrer. Le plaignant a débarqué à Press alors que M. Petrelli a continué jusqu'à Senneterre où il a reçu des soins médicaux à l'hôpital de Senneterre. Il a alors reçu 12 points de suture pour sa blessure. De plus, on lui a diagnostiqué une entorse cervicale à la suite de laquelle une atteinte permanente évaluée à 2% lui a été accordée. M. Petrelli a été en arrêt de travail à compter du 19 juillet 2002. Il a présenté une demande d'indemnisation à la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST). Sa réclamation a été acceptée et la Compagnie a payé, jusqu'à présent, la somme approximative de 40 000.00$ en frais de CSST. M. Petrelli n'est pas retourné au travail puisqu'il a pris sa retraite le 31 octobre 2003. Le 16 juillet 2002, le plaignant a reçu un avis de la Compagnie à l'effet qu'il ne pouvait pas retourner au travail avant la conclusion de l'enquête dans cette affaire. Le plaignant, dans sa déclaration aux policiers le lendemain des événements, soit le 16 juillet 2002, a nié toute forme d'agression contre M. Petrelli. Le 15 octobre 2002, dans le cadre d'une enquête officielle de la Compagnie, le plaignant a fait une deuxième déclaration niant être impliqué dans l'incident concernant M. Petrelli. La position de la Compagnie est que la version des évènements relatée par le plaignant diffère d'une façon significative de la version relatée par M. Petrelli. Dans la déclaration du plaignant à la Compagnie en date du 15 octobre 2002, le plaignant nie catégoriquement être associé de près ou de loin à l'incident impliquant M. Petrelli ou enfin le plaignant décide, tout simplement, de ne pas répondre aux questions à la suite des recommandations de son représentant à l'enquête. Par contre, M. Petrelli identifie très clairement son agresseur comme étant M. Moisan et il indique que c'est à cause du plaignant qu'il a subi de graves blessures à la tête et au niveau cervical. Or, selon la Compagnie, une seule version doit bien refléter les évènements qui sont survenus lors du voyage sur le train VIA 603 le 15 juillet 2002. La Compagnie soumet que c'est celle de M. Petrelli qui doit être retenue. La position du syndicat devant le présent tribunal d'arbitrage est que la preuve de l'agression envers Monsieur Petrelli est fortement contradictoire. En effet, bien qu'il soit indéniable que ce dernier a subi une contusion à la tête, il en est tout autre de la preuve d'une véritable agression et surtout d'une agression de la part du plaignant. Cette constatation est le résultat d'une analyse minutieuse de toutes les déclarations de M. Petrelli et plus particulièrement des trois déclarations suivantes : la première étant celle du 16 juillet 2002 aux policiers; la deuxième étant celle à la Compagnie à une date qui ne peut être précisée; la troisième étant celle à la Compagnie en date du 9 octobre 2002. Selon le syndicat, toutes ces versions présentent d'importantes divergences. De plus, le syndicat souligne que deux autres tribunaux ont été appelés à décider si le plaignant a commis ou non l'agression qui lui est reprochée. Ces tribunaux sont le Conseil arbitral de l'assurance emploi du Canada ainsi que la Cour du Québec chambre criminelle. Le syndicat souligne que chacun de ces deux autres tribunaux a reconnu que le plaignant n'avait pas agressé Monsieur Petrelli. L'arbitre souligne premièrement que le fardeau de la preuve applicable en matière d'arbitrage de grief est la prépondérance de la preuve, alors que la preuve exigée en matière criminelle doit être une preuve hors de tout doute raisonnable. À cet égard, les auteurs Brown & Beatty se prononcent comme suit à la page 3-32 du Canadian Labour Arbitration, Third Edition:
Bien que le plaignant n'ait pas été déclaré coupable par le juge lors du procès criminel, la décision de ce dernier ne règle pas nécessairement la présente cause devant l'arbitre. L'arbitre note d'abord que le plaignant a admis dans sa déclaration à la Sûreté du Québec en date du 16 juillet 2002 qu'il avait consommé 5 ou 6 cannettes de bière. Cette admission a aussi été confirmée la même journée dans la déclaration de M. Petrelli aux policiers quand ces derniers lui ont posé les questions suivantes:
La réponse du plaignant à l'effet qu'il n'était même pas dans le dôme de la voiture Parc est typique de ses réponses tout au long de cette affaire. Le témoignage de M. Petrelli depuis le début a été que le plaignant l'a agressé sans avis en lui donnant un coup de poing sur le menton. On se rappelle que M. Petrelli travaillait dans la même équipe de travail que le plaignant. Il est donc raisonnable, considérant qu'il connaissait déjà le plaignant avant l'incident, qu'il l'ait facilement identifié comme étant la personne qui l'avait assommé quelques minutes auparavant. Je souligne aussi que M. Petrelli a confronté le plaignant immédiatement après avoir descendu l'escalier alors que le plaignant était assis avec ces deux autres compagnons de travail, MM Faucher et Leblanc. Je note aussi que l'employée de Via, Mme Potvin, qui a porté assistance à M. Petrelli, a retrouvé le plaignant dans la toilette en train de se laver et a vu le chandail du plaignant dans la poubelle sur lequel il y avait du sang. Quelques minutes plus tard, Mme Potvin a vu le plaignant assis en arrière de la voiture avec ses deux collègues de travail. Elle a demandé à ces trois personnes qui étaient ensemble qu'est ce qui était arrivé et le plaignant a dit " Ah! Moi, je suis dans la merde " et elle lui a répondu: "Oui, tu es dans la merde ". Il y a aussi le fait que le plaignant a choisi de débarquer à Press après avoir été avisé par les membres de l'équipe du train de demeurer sur le train jusqu'à Senneterre, où la force policière locale devait les rencontrer. L'arbitre conclut, à la lumière de l'ensemble de la preuve, que le plaignant, qui a nié sa responsabilité pour cet assaut depuis le début, n'est pas crédible. Même si M. Petrelli s'est parfois contredit dans son témoignage et dans ses déclarations, la prépondérance de la preuve démontre d'une façon claire et convaincante que M. Petrelli a été victime d'une agression de la part du plaignant et ce, sans provocation de sa part. Cette agression a causé des blessures graves avec des séquelles permanentes à M. Petrelli. L'arbitre doit donc conclure que l'employeur avait une cause juste pour imposer la mesure disciplinaire de congédiement au plaignant. Il n'y a pas de facteurs atténuants, incluant les 15 ans de service du plaignant à la Compagnie, qui justifient dans les circonstances une réduction de la sanction. Pour ces motifs, le grief doit être rejeté. | ||
Le 17 février 2005 | L'ARBITRE (signée) JOHN M. MOREAU, Q.C. |