BUREAU D'ARBITRAGE ET DE MÉDIATION DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO. 3482

entendu à Montréal, le mercredi, 13 avril 2005

concernant

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

et

LES TRAVAILLEURS UNIS DES TRANSPORTS

LITIGE :

Utilisation du principe de " répartition de la charge de travail " par la Compagnie.

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Une pénurie de personnel fut identifiée au triage de Joffre, en décembre 2004, alors qu'il y avait des employés en surplus affectés à la gare d'Edmundston. La Compagnie proposa d'abolir, au bénéfice des employés d'Edmundston ouest, le principe du partage à part égale de l'ouvrage jusqu'ici en vigueur entre les employés du 10è district d'ancienneté assignés du terminus de Joffre Est et Edmundston Ouest. De cette manière, la pénurie de personnel au triage de Joffre serait comblée par les employés de Joffre Est rendus disponibles.

C'est la position du Syndicat que la clause de " répartition de la charge de travail " à laquelle réfère la Compagnie n'est plus en vigueur d'une part et soumet alternativement que les employés du 10è district d'ancienneté devraient, dans une telle perspective, n'être utilisés que pour combler les postes laissés vacants par les employés plus anciens assignés au terminus de Joffre. De plus, tous les employés affectés par une telle re-distribution de la charge de travail doivent être pleinement compensés pour toutes pertes de salaire.

La Compagnie maintient que cette forme de répartir le travail est toujours en vigueur.
 

POUR LE SYNDICAT :
(SGN.) R. LEBEL
PRÉSIDENT GÉNÉRAL

POUR LA COMPAGNIE :
(SGN.) D. GAGNÉ
POUR : LE PREMIER VICE-PRÉSIDENT

Représentaient la Compagnie :

D. Gagné
B. Hogan
D. VanCauwenbergh

- Directeur - Relations de travail, Montréal
- Directeur - Relations de travail, Toronto
- Senior Directeur - Relations de travail, Toronto

Et représentaient le Syndicat :

R. LeBel
R. A. Beatty
B. Boechler
J. Gagné

- Président général, Ville de Québec
- Président général, Sault Ste-Marie
- Président général, Edmonton
- Vice-président général, Ville de Québec

Et représentaient le Conférence ferroviaire de Teamsters Canada :

R. Leclerc

- Président général, Grand-Mère

 

SENTENCE ARBITRALE

Les faits pertinents au litige ne sont pas contestés. Pendant la période des fêtes en 2004, la compagnie faisait face à une pénurie d'employés au triage de Joffre, en raison d'un surplus saisonnier de trafic pour la manutention de trains de blé ou d'avoine au port de Québec. La compagnie proposait alors d'avoir recours à ce qu'elle considère être son droit de mettre en vigueur les principes de la répartition de la charge de travail. Le syndicat nie l'existence courante d'un tel droit qui, selon l'employeur, découle d'un avenant daté du 5 mai 1995. Les parties ont pu régler leur désaccord par des ajustements de congés à Québec, quitte à ce que le point en litige soit tranché par ce bureau.

La preuve démontre qu'en 1995 les parties ont négocié une entente qui traitait, entre autres, de l'établissement de parcours allongés. L'entente en question, signée le 5 mai 1995, contient les dispositions suivantes :

9. Parcours allongés

Ajouter aux conventions 4.16 et 1.1 le nouvel article suivant :

1.1 Les parcours allongés du service marchandises direct sont établis entre les gares d'attache suivantes conformément à l'annexe 9 :

London - Belleville (certains trains)
Montréal - Toronto (certains trains)
Belleville - Hamilton
Halifax - Moncton
Moncton - Edmundston
Hornepayne - Armstrong
Sarnia - Oshawa
Battle Creek - London
London - Belleville
Saint-Antoine - Belleville
Montréal - Toronto (certains trains)
Belleville - Pt. Robinson
Buffalo - Sarnia
Detroit (Moterm) - Toronto (Intermodal)
Flint - Oshawa
Toronto - Capreol
Capreol - Hornepayne
Buffalo - Oshawa
Joffre - Mont-Joli
Joffre - Campbellton

Aux fins du présent document, Sarnia - Port Huron, Windsor - Detroit et Buffalo - Niagara sont considérés comme un seul et même endroit, et les indemnités de déplacement établis s'y appliquent.

Les gares suivantes servent à équilibrer les équipes :

Montréal - Belleville
Belleville - Toronto
Sarnia - Toronto
Windsor - London
London - Toronto
Buffalo - Toronto
Sarnia - Niagara
Montréal - Joffre
Montréal - Garneau
Flint - Sarnia
Battle Creek - Sarnia

D'autres parcours allongés seront établis et d'autres gares serviront à équilibrer les équipes conformément aux critères exposés dans l'annexe 9.

1.2 Inscription en repos en cours de route dans un territoire à parcours allongé

Modifier les conventions 1.1 et 4.16 pour tenir compte de ce qui suit :

La mention des 10 heures faite aux paragraphes 29.5 et 29.9 de la convention 1.1, et celle des 10 et 11 heures faite aux paragraphes 51.4 et 51.8 de la convention 4.16 sont modifiées dans le cas des équipes circulant dans un territoire à parcours allongé entre les gares suivantes :

  London - Belleville (certains trains) 11 heures
  Montréal - Toronto (certains trains) 11
  Belleville - Hamilton 11
  Sarnia - Oshawa 11
  Halifax - Moncton 11
  Moncton - Edmundston 11
  Hornepayne - Armstrong 11
  Battle Creek - London 12 heures
  London - Belleville 12
  Saint-Antoine - Belleville 12
  Montréal - Toronto (certains trains) 12
  Belleville - Pt. Robinson 12
  Buffalo - Sarnia 12
  Detroit (Moterm) - Toronto (Intermodal) 12
  Flint - Oshawa 12
  Toronto - Capreol 12
  Capreol - Hornepayne 12
  Buffalo - Oshawa 12
  Joffre - Mont-Joli 12
  Joffre - Campbellton 12

...

Répartition de la charge de travail

Le comité régional répartit la charge de travail entre les différentes gares en visant à réduire au minimum les déménagements grâce au transfert des activités aux endroits où travaillent les membres du personnel.

Lorsque, pour une raison ou une autre, l'effectif est insuffisant pour répondre aux impératifs du service à une ou plusieurs gares, la ou les gares voisines peuvent augmenter leur apport d'effectif pour satisfaire à ces besoins, étant entendu que cette opération ne doit pas donner lieu ultérieurement à des compressions de personnel. Dans la mesure du possible, la charge de travail doit rester telle qu'elle a été établie par le comité régional.

Il est convenu que certains des parcours allongés identifiés dans l'avenant du 5 mai 1995 ont été établis, mais pas tous. Dans la région du centre, en Ontario, la compagnie et le président général du syndicat pour la région centrale ont négocié certains parcours, y compris des parcours non-allongés, comme Toronto - Buffalo. Ce faisant, ils se sont entendus concernant les principes de répartition de la charge de travail. Il ne semble pas contesté que l'intention des parties dans la région du centre était de retenir ces principes pour les fins d'application à l'avenir, selon le besoin. Il est également convenu que dans la région de l'Est, c'est à dire de Montréal à Halifax, il n'y a eu aucune négociation semblable, soit concernant l'établissement de parcours ou les principes de répartition de la charge de travail qui pourraient s'y appliquer. Il semble que la pénurie d'employés à Joffre en décembre 2004 était la première occasion à laquelle la compagnie voulait mettre en vigueur les principes de la répartition de la charge de travail dans la région de l'Est. En l'occurrence, elle proposait que les employés basés à Edmundston prennent temporairement la charge entière du travail entre Joffre et Edmundston, ce qui permettrait l'affectation temporaire des équipes de Joffre à la manutention des trains de blé et d'avoine au triage de Joffre, vers le port de Québec, pendant la période de pointe.

Le syndicat prétend que le concept du comité régional tel qu'il apparaît dans l'avenant du 5 mai 1995 à été abandonné vers la fin de 1999, une fois que les ententes sur les parcours étaient conclues dans la région centrale. De plus, les représentants du syndicat soulignent que les deux paragraphes de l'avenant du 5 mai 1995 sous le titre " Répartition de la charge de travail " n'ont pas été prolongés dans la convention collective courante.

L'arbitre comprend et partage le point de vu de la compagnie en ce qui concerne la sagesse et l'efficacité de la formule de répartition temporaire de la charge de travail dans une circonstance comme celle en l'espèce. Mais la question au préalable est à savoir si les dispositions qui se trouvent dans l'avenant du 5 mai 1995 sont en vigueur dans la convention collective courante.

Il n'y a aucun doute que les dispositions en question ont fait partie intégrante la convention collective en vigueur entre 1995 et 1998. Cette conclusion découle du dernier article de l'avenant du 5 mai 1995 qui reconnaît qu'il s'agit du renouvellement de la convention collective :

Dispositions générales

a) Les modifications qui précèdent constituent le règlement intégral de toutes les demandes faites ou reçues depuis le 1er septembre 1993 par la Compagnie et le Conseil canadien des syndicats opérationnels de chemins de fer.

b) Les conventions collectives 4.16, 4.2 et 1.1 seront modifiées conformément au présent avenant.

c) Les conventions collectives demeurent en vigueur pendant une période de quatre ans et par la suite, chacune des parties se réservant le droit de la modifier ou de la dénoncer par préavis de 90 jours pouvant être signifié à n'importe quel moment après le 30 septembre 1997.

d) Les membres du personnel en service à la Compagnie le 31 décembre 1993 ont droit à toute rémunération qui pourrait leur être due pour du travail effectué depuis cette date.

Est ce que les deux paragraphes de l'avenant qui traitent de la répartition de la charge de travail ont passé dans les conventions collectives subséquentes, à savoir le renouvellement de 1998 et celui de 2001, qui représente la convention collective actuelle? La preuve devant l'arbitre est contraire, et tend à appuyé la position du syndicat. Premièrement, la preuve démontre que le 22 mars 2000, le premier directeur de relations de travail de la compagnie, M. Joe Torchia, a écrit une lettre aux trois représentants régionaux du syndicat. Elle se lit comme il suit :

Gentlemen:

Collective agreement 4.16 has now been updated to include changes negotiated in the May 5, 1995 and February 13, 1998 Memorandums of Agreement.

Due to the numerous changes made to collective agreement 4.16, it is hereby understood that should any errors or omissions occur, such errors or omissions will be identified and corrected.

It is further agreed that should a question arise with respect to the intent of the negotiated changes, the parties will refer to the collective agreement revised January 1993 and the memorandums of agreement dated May 5, 1995 and February 13, 1998 for the proper application of the collective agreement provision in question.

If you agree with the above, please so indicate by singing and returning a copy of the letter to the undersigned.

Yours truly,

(signed) Brenda Pye
for: Joe T. Torchia, Director, Labour Relations

I CONCUR:

(unsigned)                 
Mr. R. LeBel
General Chairperson

(unsigned)                 
Mr. R. Long
General Chairperson

(signed) R. A. Beatty
Mr. R. BEATTY
General Chairperson

La compagnie est en mesure de prouver que la lettre en question a été signée avec la note " I concur " par Mr. Rex Beatty, président général de la région centrale. Elle n'est pas signée, par contre, par Mr. Raymond LeBel de la région de l'Est, ni par M. R. Long, l'ancien président général responsable des triages. Qui plus est, lors d'une refonte importante des dispositions de la convention collective, les deux paragraphes concernant la répartition de la charge de travail n'ont pas été insérés dans le libellé de la convention collective, révisée en décembre 2001. Il est important de noté que de nombreuses dispositions de l'avenant du 5 mai 1995 se trouvent maintenant dans le texte de la convention collective. Par exemple, l'article 1.2 de l'avenant, qui traite du repos en parcours allongés, se trouve mot pour mot dans l'article 51.16 de la convention collective en vigueur lors de évènements qui ont suscité ce grief. La section V de la convention collective, qui traite de la durée de la convention, se lit en partie :

La présente convention annule et remplace toute les ententes, décisions et interprétations antérieures incompatibles avec les présentes et demeurera en vigueur jusqu'au 31 décembre 2003 et subséquemment, jusqu'à ce qu'elle soit révisée, modifiée ou résiliée sur préavis écrit de 120 jours de la part de l'une ou l'autre des parties.

Ce n'est pas pour rien que le Code canadien du travail définit une convention collective comme étant une entente écrite faite entre un employeur et un syndicat. La stabilité en matière de conventions collectives exige une certaine exactitude. Il est vrai que le document écrit peut prendre la forme d'un avenant, d'une lettre ou d'un autre document qui fait preuve de l'intention des parties. Il est également reconnu que lorsque le texte de la convention collective contient une erreur, on peut se référer à l'avenant d'origine pour bien comprendre l'entente que voulaient faire les parties (BACFC 3101).

Il y a t-il eu une erreur en l'espèce? Je ne le crois pas. Le libellé de l'avenant du 5 mai 1995 est clair pour établir que les dispositions concernant la répartition de la charge de travail faisaient partie de la convention collective en vigueur entre 1995 et 1998, à l'époque où les parties traitaient des parcours allongés. Cependant il n'y a pas de document clair et précis, ni de preuve verbale, qui démontre que les deux parties avaient l'intention de prolonger ces dispositions dans leur conventions collectives de 1998 et de 2001. Comme il est noté ci-haut, un grand nombre des clauses de l'avenant du 5 mai 1995 se retrouvent dans la version courante de la convention collective. De plus, l'exercice important par lequel les parties ont fait une refonte générale de leur convention collective en décembre 2001 laisse croire qu'ils se sont penchés d'une façon soignée et attentive sur le contenu de leur convention collective actuelle. À la fin de cet exercice, dans le libellé de la convention collective il n'y a aucune mention de la répartition de la charge de travail et, d'après la preuve non-contestée, il n'y a pas eu d'application de ce concept dans les opérations de la compagnie depuis 1999. Face à la totalité de la preuve, et reconnaissant d'après le lettre de M. Torchia que la compagnie avait raisonnablement voulu prolonger les dispositions en question, l'arbitre ne peut conclure que les partis étaient d'un commun accord pour insérer, soit de façon explicite ou implicite, les principes de la répartition de la charge de travail dans la convention collective en vigueur au moment du litige en l'espèce.

Pour ces motifs le grief doit être accueilli. L'arbitre déclare que les dispositions relativement à la répartition de la charge de travail contenu dans l'avenant du 5 mai 1995 ne font pas partie de la convention collective en vigueur en décembre 2004.
 

Le 18 avril 2005

(Signé) MICHEL G. PICHER
ARBITRE