BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO. 3489

entendu à Montréal, le mardi, 14 juin 2004

concernant

VIA RAIL CANADA INC.

et

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

SUR REQUÊTE ÉMANANT D’UNE SEULE PARTIE

LITIGE :

La Corporation refuse de compenser M. Laroche pour la perte de salaire, de bénéfices et autres préjudices.

EXPOSÉ DU CAS PAR LE SYNDICAT :

Le 27 février 2002, M. René Laroche, alors qu’il travaillait, a été arrêté par les policiers de la Sûreté du Québec à la Gare du Palais à Québec. M. Laroche a été l’objet de quatre (4) accusation reliées au trafic et à la possession de drogue et a plaidé non coupable à ces accusations. Après enquête, la Corporation a suspendu sans solde M. Laroche en attendant la décision de la Cour du Québec sur les accusations portées contre lui.

La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada a contesté cette décision de la Corporation, mais la suspension a été confirmée dans la cause CROA 3311 en attendant le résultat des accusations portées contre M. Laroche.

Le 20 décembre 2004, M. Laroche a été acquitté par l’Honorable Rémi Bouchard, juge de la Cour du Québec, de toutes les accusations qui avaient été portées contre lui. Suite à son acquittement et sur accord des parties, M. Laroche a été réintégré dans ses fonctions, le 21 janvier 2005, sans perte d’ancienneté. Une demande fut adressé à la Corporation pour réintégrée M. Laroche dans ses fonctions sans perte d’ancienneté et avec compensation pour les préjudices subis.

Cependant, la Corporation refuse d’indemniser M. Laroche pour la perte de salaire, de bénéfices et autres préjudices résultant de sa suspension sans solde.
 

POUR LE SYNDICAT :
(SGN.) R. LECLERC
PRÉSIDENT GÉNÉRAL – LIGNES DE L’EST

Représentaient la Corporation :

L. Béchamp
G. Benn
G. Sarazin

- Procureure
- Agent – Relations de travail, Montréal
- Agent principal – Relations de travail, Montréal

Et représentaient le Syndicat :

D. L. Blouin
R. Leclerc
R. Laroche

- Procureur - avocat
- Directeur général, Grand-Mère
- Plaignant

 

SENTENCE ARBITRALE

Le syndicat demande à l’arbitre d’ordonner l’indemnisation du plaignant pour sa perte de salaire et d’avantages sociaux pendant la suspension administrative qu’il a subi suite aux accusations criminelles portées contre lui. La corporation soutient que le sujet du grief est chose jugée et que, de toute façon, il n’y a pas lieu de dédommager le plaignant.

L’arbitre comprend difficilement pourquoi le plaignant aurait droit à une indemnisation de salaire en l’espèce. Règle générale, les arbitres considèrent que le droit de l’employeur d’imposer une suspension administrative contre un employé qui fait face à une accusation criminelle doit être jugé cas par cas. À mon avis, la même approche s’impose quant à l’indemnisation de l’employé qui a été suspendu. Certes, beaucoup d’arbitres trouvent difficile de voir comment, si l’employeur était justifié dans sa décision de suspendre l’employé, ce dernier doit être dédommagé s’il est trouvé non coupable à la conclusion de son procès, parfois après un longue période de procédures criminelles. (Voir, par exemple, Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501, et Scobus (1992) inc., division St-Hubert [2000] R.J.D.I. 335; D.T.E. 2000T-243 (Me Jean-Louis Dubé).)

En l’espèce, le plaignant a été trouvé non coupable par le jugement du juge, l’Honorable Remi Bouchard de la Cour du Québec en date du 20 décembre 2004. Le jugement reconnaît que le plaignant avait des relations proches avec un nombre d’autres accusés, dont certains membres ou associés des Hells Angels. Il récite la preuve non contestée que le plaignant a reçu à domicile le paiement d’un montant important en argent comptant, dans un sac qui lui a été livré par un membre des Hells, en échange pour des pilules. À la lumière de la preuve du plaignant que les pilules en question étaient une substance légale, le juge en est venu à la conclusion qu’un doute raisonnable était soulevé et que M. Laroche devait être acquitté de toutes les accusations contre lui.

Par quel principe de droit est-ce que la corporation doit compenser le plaignant pour sa longe période d’absence du travail pour se défendre de ses accusations criminelles? Est-ce que c’est l’employeur qui doit prendre le risque du comportement douteux de son employé qui traite avec les Hells Angels et reçoit des sacs d’argent en échange pour des pilules à la porte de sa résidence? Dans la décision Re Ontario Jockey Club and Mutuel Employees’ Association, Service Employees’ International Union (1977) 17 L.A.C. (2d) 176 l’arbitre Ross Kennedy a rejeté une demande de dédommagement pour une suspension semblable à celle en l’espèce. Comme les accusations concernaient une accusation d’avoir organisé une maison de jeu illégale l’arbitre a conclu que les intérêts légitimes de l’employeur justifiaient une suspension administrative sans solde. Pour ce qui est de la plaidoirie du syndicat concernant la perte de revenu à l’employé l’arbitre a écrit : « … this grievor clearly permitted a person whom he knew to be a heavy gambler unrestricted use and access to his apartment premises without questioning the purpose of such use … at best, the grievor’s lack of judgement would appear to have made a significant contribution to the position in which he finds himself. » L’arbitre considère que ce passage est apte à décrire la circonstance dans laquelle le plaignant s’est placé.

Le procureur du syndicat attire l’attention de l’arbitre sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Cabiabman c. Industrielle – Alliance Cie d’Assurances sur la Vie [2004] 3 R.C.S. 195. Cette décision se distingue en autant que la Cour suprême du Canada a reconnu, dans le contexte d’un contrat d’emploi individuel, qu’une suspension administrative ne peut être sans solde. Dans ce cas là il s’agissait, au départ, d’une poursuite pour congédiement sans cause juste et suffisante. La cour a reconnu que la jurisprudence en matière de conventions collectives est différente, sans pour autant se prononcer contre les décisions arbitrales mentionnées. Il ne s’agit donc pas d’une décision judiciaire qui s’est penchée directement sur les principes qui s’appliquent dans un cas comme celui ci, ou l’employé syndiqué a l’avantage d’une convention collective et le droit de déposer un grief qui peut mener a sa réintégration, avec ou sans solde, selon les faits particuliers du dossier.

Dans un premier temps, l’arbitre accueille la prétention que la réclamation en l’espèce est chose jugée. Dans la décision BACFC 3311, l’arbitre a rejeté le grief du plaignant qui cherchait à faire casser, avec dédommagement, la décision de l’employeur de le suspendre sans solde en attendant le résultat des accusations criminelles portées contre lui. Il s’agit du même syndicat, du même employeur, du même plaignant et du même litige. Il n’y a donc pas lieu de ré-entendre le même grief.

Alternativement, pour les motifs exprimés ci-haut, le même résultat se justifie même s’il ne s’agit pas de chose jugée. Compte tenu des faits en l’espèce, je ne considère pas qu’il y a lieu de mettre sur le dos de la corporation le prix très cher du jugement douteux démontré par le plaignant dans le choix de ses amis et de ses activités, des choix qui ont clairement entraîné la nécessité de le mettre en suspension administrative pour protéger les intérêts de la corporation, une société de haute visibilité qui exploite une entreprise très sensible à la sécurité. En fin de compte, le plaignant est la victime de sa propre indiscrétion.

Pour ces motifs le grief est rejeté.
 

Le 20 juin 2005 (signée) MICHEL G. PICHER
L’ARBITRE