BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO. 3831

entendu à Montréal, le mardi, le 8 décembre 2009

concernant

VIA RAIL CANADA INC.

et

SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA)

LITIGE PAR LE SYNDICAT :

La Compagnie a modifié l’assignation de M. Michel Chiasson suite à une assignation temporaire, sans avoir eu d’entente au préalable avec le syndicat.

EXPOSÉ DU CAS PAR LE SYNDICAT :

Le syndicat conteste le fait que la Compagnie ait modifié les assignations de travailleurs et travailleuses suite à une assignation temporaire, sans avoir eu une entente au préalable avec le syndicat, comme le stipulent les articles 2.1 et 15 de la convention collective no. 1.

Le syndicat demande que toute modification de poste suite à une assignation temporaire fasse partie d’une entente au préalable avec le syndicat, comme le stipulent les articles 2.1 et 15 de la convention collective.

La Compagnie rejette les prétentions du syndicat.

LITIGE PAR LA SOCIÉTÉ :

Le 9 juillet 2008, M. Michel Chiasson est revenu au travail en retour progressif, suite à une accident de travail, tel que prévu par la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles. Le syndicat prétend que la société est en violation de la convention collective no. 1 et doit négocier une entente formelle au préalable du retour au travail d’un employé.

EXPOSÉ DU CAS PAR LA SOCIÉTÉ :

La société affirme qu’en vertu de la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles, seule la Commission de la santé et sécurité de travail (CSST) a la juridiction exclusive pour régler les modalités de retour au travail. Notamment, elle peut se prononcer sur une assignation temporaire ordonnée à la suite d’une lésion professionnelle.

Conséquemment, la société affirme que les articles no. 2 et no. 15 de la présente convention collective no. 1 ne sont pas applicables et de ce fait, réitère qu’aucune entente formelle avec le syndicat au retour d’un employé lors d’un accident de travail est obligatoire.

La société soumet que la convention collective no. 1 a été respectée et elle rejette les prétentions du syndicat.

POUR LE SYNDICAT :                                      POUR LA SOCIÉTÉ :

REPRÉSENTANT NATIONAL                                          CONSEILLER PRINCIPAL, RELATIONS DE TRAVAIL

(SGN.) D. ST-LOUIS                                          (SGN.) B. A. BLAIR

Représentaient la société :

B. A. Blair                                          – Conseiller principal, Relations de travail, Montréal

S. Rivest                                             – Agent principal – Réclamations, Montréal

J. Pastor                                              – Conseiller, Relations de travail, Montréal

Et représentaient le syndicat :

D. St-Louis                                         – Représentant national, Montréal

S. Auger                                              – Représentant régional, Montréal

H. Grant                                             – Secrétaire/Trésorier, Toronto

F. Sauvé                                             – Président des griefs du local, Montréal

SENTENCE ARBITRALE

Il est convenu que M. Michel Chiasson, un employé de plus de trente ans de service, a subit un accident de travail lorsqu’il occupait le poste d’opérateur de grue mobile. Son incapacité à accomplir tout travail était confirmé par son médecin de famille le 22 mars 2007. Le 5 avril 2007 la Commission de la Santé et Sécurité au travail (CSST) a admis la réclamation de M. Chiasson.

Jusqu’au 15 avril 2008 plusieurs rapports médicaux déclaraient le plaignant inapte à retourner au travail. Le 29 mai 2008 le médecin traitant de M. Chiasson, le Dr. Alain, a rempli un formulaire qui décrivait les conditions de retour au travail du plaignant sur une assignation temporaire. Il s’agissait d’un retour gradué, en quatre étapes, qui verraient M. Chiasson de retour à plein temps dans son travail régulier le 8 juillet 2008. Il ne semble pas contesté que M. Chiasson est en fait retourné au travail en affectation régulière depuis le 18 juillet 2008.

La preuve démontre que le 17 juin 2008, lorsque le dossier de M. Chiasson était en voie de traitement par la CSST, son syndicat a soumis un grief réclamant que l’employeur négocie avec le syndicat une entente de réadaptation pour le plaignant. Le syndicat invoque ainsi l’article 15 de la convention collective qui se lit, en partie :

15           RÉADAPTATION

15.1        Après entente mutuelle le Directeur des ressources humaines, ou son délégué, et le Représentant national ou régional désigné du Syndicat l’employé qui devient physiquement inapte a remplir ses fonctions habituelles peut :

(a)           supplanter un employé qui compte moins d’ancienneté que lui dans son groupe d’ancienneté pour occuper son poste s’il a les qualifications requises;

(b)           être affecté par accord mutuel entre le cadre compétent de la Société et le Représentant national ou régional désigné du Syndicat, à un poste de sa région, même s’il faut supplanter un employé valide pour procurer à l’employé inapte un travail qui lui convienne. Une telle entente mutuelle ne doit pas être déraisonnablement ou arbitrairement différée;

(c)           si, après application des alinéas a) et b) ci-dessus, l’employé n’est toujours pas en mesures d’occuper un poste, il peut recevoir une formation, pourvu qu’il en soit capable, afin de remplir un poste vacant ou de supplanter un employé qui compte moins d’ancienneté.

NOTA : Le service médical reconnu détermine l’aptitude physique de l’employé à remplir ses fonctions habituelles. Lorsque l’employé réadapté est en mesure de reprendre son emploi, le Représentant national ou régional désigné du Syndicat en est informé.

                En cas de différent au sujet de la détermination de son aptitude physique par le service médical de la Société, l’employé a droit à une évaluation physique indépendante, choisie et payée par la Société, conformément à la ligne de conduite actuelle du service médical de la Société. Cette évaluation est exécutoire pour les deux parties.

La société prétend que l’article 15 de la convention collective ne s’applique pas en l’espèce, comme il ne s’agit pas de la réadaptation de M. Chiasson mais plutôt de son assignation temporaire sous l’égide de la CSST. Elle plaide que le traitement de M. Chiasson à ce moment là relevait exclusivement de la CSST et que l’Arbitre doit déclarer irrecevable un grief qui tenterait de placer cette même matière dans les mains de l’Arbitre. En revanche, le représentant syndical soutient que la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP) préconise l’application des dispositions de convention collectives concernant les droits des employés relativement au retour au travail. Entre autres, il attire d’attention de l’Arbitre sur l’article 244 de la LATMP qui se lit :

244.        Une convention collective peut prévoir des dispositions relatives à la mise en application du droit au retour au travail prévu par la présente section.

Le droit au retour au travail d’un travailleur est mis en application de la manière prévue par la convention collective qui lui est applicable, si celle-ci contient des dispositions prévues par le premier alinéa ou des dispositions relatives au retour au travail après un accident ou une maladie.

Dans ce cas, le travailleur qui se croit lésé dans l’exercice de son droit au retour au travail peut avoir recours à la procédure de griefs prévue par cette convention.

L’Arbitre ne peut accueillir la position du syndicat. Dans un premier temps, il est à noter que l’article 15 de la convention collective s’intitule : « Réadaptation ». Comme tel, elle ne traite pas d’assignation temporaire ni du traitement d’un employé dont le dossier est dans les mains de la CSST. Le syndicat ne peut plaider un article de la convention collective qui donnerait à la société l’obligation de négocier avec le syndicat dans le cadre d’une demande faite par l’employé auprès de la CSST.

Qui plus est, les tribunaux ont statué clairement qu’en matière qui est exclusive à la CSST un conseil d’arbitrage n’a aucune compétence. Il n’appartient aucunement à un tribunal d’arbitrage d’établir soit le processus ni le contenu d’un plan d’assignation temporaire sous la LATMP. (Syndicat de la fonction publique du Québec c. Société des établissements de plain air du Québec (SÉPAQ) (2009 QCCA 329), décision du 19 février 2009; Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés des services publiques [1996] 2 R.C.S. 345.) Il est bien reconnu que les droits et obligations administrés par la CSST selon les dispositions de la LATMP écartent la possibilité de tout autre recours civil. À mon avis, cela comprend également le recours à l’arbitrage.

Mais cet état de la loi n’empêche pas nécessairement que le syndicat puisse jouer un rôle au stade de l’examen des options concernant l’assignation temporaire. Au minimum il est permis à l’employeur de tenir le syndicat au courant de l’assignation temporaire qui sera mise en vigueur. De fait, il est souhaitable qu’elle le fasse. Comme le déclare un document publicitaire de la CSST « L’assignation temporaire est un droit que la loi confère à l’employeur et que lui seul peut exercer. » Cependant, la CSST précise également la valeur de tenir le syndicat au courant : « Celle-ci [l’entreprise] a tout intérêt, dès le début de la démarche, à faire part de ses intentions au syndicat et au comité de santé et de sécurité puis à solliciter leur collaboration, sans laquelle il lui sera impossible d’instaurer et de maintenir un climat de bonne entente et de compréhension ». Même si le syndicat n’a pas le « droit » de participer aux décisions concernant l’assignation temporaire, il est souhaitable qu’il en soit avisé ponctuellement.

En résumé, selon le libellé de la convention collective, et en particulier de l’article 15, le syndicat peut déposer un grief relativement à l’obligation de l’employeur de négocier raisonnablement une entente mutuelle avec le syndicat en ce qui concerne la réadaptation d’un employé dont les contraintes médicales ne lui permettent pas de réintégrer ses fonctions d’avant-lésion d’une façon permanente. Un arbitre est habileté à trancher dans un tel grief. Mais en ce qui concerne la demande d’un employé pour les prestations de la CSST et la possibilité d’une assignation temporaire dans le cadre d’une telle demande, la CSST est le tribunal qui a la compétence exclusive. Tout confit concernant ce stade du dossier n’est pas recevable en arbitrage.

Pour ces motifs le grief doit être rejeté.

Le 14 décembre 2009                                                                                                                                                  L’ARBITRE

(signé) MICHEL G. PICHER