BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE N° 3891

 

entendue à Montréal, le mardi 13 avril 2010

 

et opposant

 

LE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

 

et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

REQUÊTE ÉMANANT D’UNE SEULE PARTIE

 

LITIGE :

            Le Syndicat conteste la nouvelle position du CP, soit de cesser de fournir aux gens du Québec une protection équivalente à celle de l’assurance médicaments du Québec et de leur offrir plutôt un compte de dépenses santé (CDS).

 

EXPOSÉ DU CAS PAR LE SYNDICAT :

 

            Le 1er juillet 2009, le CP informait le Syndicat ayant des membres au Québec que bien qu’il ait, sur une base volontaire, fourni une protection équivalente à celle offerte en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec, il allait mettre fin à cette pratique le 31 décembre 2009 et, qu’à l’avenir, ces employés n’auraient plus droit qu’à un compte de dépenses santé (CDS). Le CP soutient que la Loi sur l’assurance médicaments du Québec ne s’applique pas aux employés du CP compte tenu qu’il s’agit d’employés fédéraux.

 

            Le Syndicat conteste la position de l’Employeur qui consiste à instaurer le CDS à l’intention de tous les employés prenant leur retraite après le 31 décembre 2009 puisque le CDS, bien qu’étant un régime privé, ne constitue toujours pas un régime de remplacement adéquat selon la loi québécoise. De plus, le Syndicat affirme que l’Employeur a agi de mauvaise foi et viole l’article 69.05 de la convention collective et l’annexe 6 du protocole d’entente de 2007, et il demande notamment à l'arbitre d’ordonner à l’Employeur de s’entendre avec le Syndicat pour modifier le régime ou en élaborer un nouveau dans le respect des lois et des dispositions de la convention collective et de l’annexe 6.

 

            Le CP rejette la demande du Syndicat.

 

EXPOSÉ DU CAS PAR L’EMPLOYEUR :

 

            Lors de la conclusion de la dernière ronde de négociations, les parties ont signé un protocole d’entente daté du 5 décembre 2007, qui incluait une lettre d’entente n° 6 dans laquelle il était indiqué que l’Employeur et le Syndicat se rencontreraient dans les six mois suivant la date de la ratification, soit le 13 février 2008 afin d’adapter le compte de dépenses santé (CDS) pour les retraités résidant au Québec. Cette rencontre n'a pas eu lieu.

 

            Le 1er juillet 2009, l’Employeur a fait parvenir un avis écrit au Syndicat afin de l'informer qu’à compter du 31 décembre 2009, tous les employés du Québec qui prendraient leur retraite après cette date bénéficieraient des garanties négociées au titre du CDS.

 

            Par suite de cette décision de l’Employeur, le Syndicat a déposé un grief alléguant que l’Employeur a violé la convention collective et la lettre d’accord n° 6 et que la décision est discriminatoire.

 

            Le Syndicat demande que l’arbitre donne droit au grief et déclare que l’Employeur a violé la convention collective et la lettre d’accord n° 6 et que la décision de l’Employeur d’imposer le CDS à tous les membres de l'unité de négociation qui prennent leur retraite après le 31 décembre 2009 est illégale et discriminatoire.

 

            L’Employeur n’est pas d’accord avec la position du Syndicat et soutient que sa décision est tout à fait conforme aux dispositions de la convention collective ayant fait l’objet de négociations.

 

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR L'EMPLOYEUR :

(SIGNÉ.) D. GÉNÉREUX                              (SIGNÉ.) A. AZIM GARCIA

PRÉSIDENT GÉNÉRAL                                     POUR : LE VICE-PRÉSIDENT, EXPLOITATION

 

(SIGNÉ) T. BEAVER

PRÉSIDENT GÉNÉRAL

 

Représentaient l'Employeur :

R. Hampel                           – Conseiller juridique, Calgary

J. Cuddihy                           – Conseiller juridique, Montréal

 

Représentaient le Syndicat :

D. Lavoie                             – Conseiller juridique, Montréal

D. Généreux                        – Président général, Montréal

T. Beaver                             – Président général, Oshawa

 

SENTENCE ARBITRALE

 

            Le Syndicat s’objecte à la décision prise par l’Employeur de cesser de fournir à ses retraités au Québec, âgés de 55 ans à 65 ans, une protection visant les médicaments d’ordonnance au moins équivalente à la protection offerte en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec, L.R.Q., c. A-29.01 (« la Loi sur l’assurance médicaments »).

 

            Les faits ayant mené à ce litige ne sont pas contestés. Il semble que, par le passé, l’Employeur a toujours fourni aux retraités une forme traditionnelle de programme de prestations fixes d’assurance maladie, dont l'objectif était d'offrir une couverture pour certains produits ou services non pris en charge par les régimes provinciaux d’assurance maladie, dont les médicaments d’ordonnance, les lunettes, les traitements de physiothérapie et d'autres services. Au début de la présente décennie, l’Employeur a enregistré une hausse des coûts liés au régime traditionnel. Afin de restreindre le risque d’une hausse illimitée des coûts pour lui-même et d’assouplir les règles pour les employés, l’Employeur a proposé l’instauration d’un système de comptes de dépenses santé (CDS). En vertu du concept de comptes de dépenses santé, un compte monétaire est créé à l’intention de chacun des employés. Chaque année, l’Employeur place dans le compte un montant qui équivaut à 33 $ par année de service acquise par l’employé. C’est ainsi qu’un retraité ayant accumulé 35 années de service disposerait de 1 155 $ par année dans son CDS. Cependant, l’accumulation des fonds dans le compte ne dépasse pas deux ans, et personne ne semble contester le fait que les fonds non utilisés pendant cette période de deux ans reviennent à l’Employeur, après quoi le cycle recommence pour une autre période de deux ans.

 

            En plus de la souplesse qu’offre le CDS, il permet aux employés d’échapper à certains facteurs limitatifs, comme le plafonnement des prestations pour des protections offertes dans les régimes traditionnels. Il semble que l’Employeur ait d’abord mis en place le système CDS à l’intention de son personnel non syndiqué en juillet 2002 et que ce système devait prendre effet pour les membres du personnel non syndiqué qui prendraient leur retraite après le 1er juillet 2004. En décembre 2004, l’Employeur et le Syndicat ont conclu une entente visant l’application du CDS à tous les employés au Canada qui prendraient leur retraite après le 1er janvier 2007. Il semble que cette entente soit semblable à celle qui a été conclue avec tous les autres syndicats représentant le personnel de l’Employeur. Par ailleurs, il semble que lors de la ronde de négociations suivante, qui a débuté en septembre 2006, le Syndicat ait présenté une demande d’amélioration du CDS, demande qui, à terme, n’a pas été acceptée.

 

            Lorsque le programme a été mis en œuvre en janvier 2007, des problèmes ont surgi quant à son instauration au Québec. Personne ne semble contester le fait que le CDS ne fournit pas le plein équivalent des protections offertes à tous les résidents du Québec en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments de cette province. L’Employeur affirme qu’il a éprouvé des difficultés à trouver un fournisseur pour administrer le régime. C’est pourquoi il a consenti volontairement à fournir la couverture antérieure de la Croix Bleue aux retraités du Québec ayant moins de 65 ans au 1er janvier 2007. Selon l’Employeur, cette mesure ne devait rester valide que le temps qu’il lui faudrait pour trouver un fournisseur apte à administrer le CDS à l'échelle nationale.

 

            Pendant les négociations de 2006-2007 visant le renouvellement de la convention collective, les parties ont convenu des modalités d’une lettre d’accord, désignée comme la LA n° 6. Le libellé de cette lettre est le suivant :

 

Messieurs,

 

La présente fait suite à nos discussions portant sur vos préoccupations relatives à l’incapacité de fournir les garanties du compte de dépenses santé (CDS) aux retraités de moins de 65 ans résidant au Québec en raison de la réglementation provinciale du Québec.

 

Pour venir à bout de ce problème, les parties ont convenu que, dans les six mois suivant la ratification, elles étudieraient la possibilité de modifier le régime actuel de la Croix Bleue ou de concevoir un nouveau régime qui serait offert aux retraités de moins de 65 ans résidant au Québec. Le régime modifié ou le nouveau régime sera fondé sur les principes suivants :

 

    une plus grande souplesse sera accordé quant au choix des couvertures;

 

    le régime devra respecter les exigences réglementaires minimales;

 

    le coût du régime ne dépassera pas le coût lié à la prestation des garanties du CDS en vertu des dispositions de la convention collective actuelle.

 

Il est en outre reconnu que si la réglementation au Québec était modifiée ou que son application changeait de façon qu’il soit permis d’offrir le régime actuel de CDS aux retraités de moins de 65 ans, le régime actuel de CDS serait alors instauré.

 

Si les modalités ci-dessus reflètent notre conversation, veuillez indiquer votre accord en signant ci-dessous.

 

Agréez, Messieurs, mes sincères salutations,

 

 

Le premier directeur, Relations de travail,

 

J. Bairaktaris

 

Les présidents généraux du Syndicat représentant les mécaniciens de locomotive et les agents de train de l’Est du Canada ont donné leur accord à ces modalités en signant la lettre.

 

            Le contexte dans lequel s’insère la décision de l’Employeur d’offrir la couverture de la Croix Bleue est bien expliqué dans un mémoire rédigé par l’Employeur à l’intention du Syndicat en prévision des discussions qui devaient avoir lieu dans le cadre des négociations de 2006-2007. Le libellé du mémoire est le suivant :

 

Compte de dépenses santé au Québec

(Note documentaire contextuelle)

 

Enjeu — Pourquoi le compte de dépenses santé (CDS) en vigueur au CP ne peut-il pas être offert aux retraités de moins de 65 ans résidant au Québec ?

 

Sommaire

 

À la fin des années 1990, le gouvernement provincial du Québec a instauré un programme d’assurance médicaments universel et a décrété par voie législative que les entreprises qui offrent un régime privé d’assurance maladie à leurs employés ou à leurs retraités doivent fournir un niveau de couverture visant les médicaments d’ordonnance au moins équivalent à celui qui est prévu par la Loi. De plus, si un résident n’est pas couvert en vertu du régime d’une entreprise, il peut demander à la province de lui accorder cette couverture, mais autrement, la demande de couverture ne peut se faire qu’à 65 ans. Le CDS du CP est considéré comme un régime privé et, en soi, ne couvre pas les médicaments d'ordonnance. Il s'agit simplement d'un compte à partir duquel un retraité peut retirer les fonds nécessaires au paiement des dépenses médicales admissibles. C’est pourquoi, au Québec, nous offrons à nos retraités, issus tant du personnel syndiqué que du personnel cadre, le régime de la Croix Bleue qui est en vigueur depuis 25 ans et qui respecte les exigences de la réglementation québécoise. Lorsqu’ils atteignent 65 ans, les retraités sont automatiquement inscrits au régime provincial et, à ce même moment, ils deviennent aussi admissibles au régime CDS.

 

Enjeux particuliers

 

Programme universel d’assurance médicaments du Québec

 

Le régime public d'assurance médicaments, administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), est un régime gouvernemental d'assurance qui offre une protection de base pour les médicaments. Il a été créé en 1997 principalement dans le but d’offrir une couverture à tous citoyens du Québec qui ne sont pas admissibles à un régime privé d’assurance collective. Toutefois, le régime gouvernemental stipule également que les régimes privés d’assurance collective doivent offrir une couverture équivalente à celle qui est prévue dans le régime provincial. En résumé, la couverture est la suivante : elle inclut tous les médicaments inscrits sur la liste des médicaments du Québec; l'assureur doit couvrir au moins 71,5 % du coût du médicament; une franchise peut être imposée, et la contribution annuelle maximale par personne est de 857 $.

 

Les extraits suivants, fournis à titre d’information, sont tirés du site Web de la RAMQ (http://www.ramq.gouv.qc.ca/index_fr.shtml)

 

« La couverture proposée peut varier d’un régime privé à l’autre. Elle dépend de l’entente prise entre le preneur de contrats et la compagnie d’assurance ou l’administrateur du régime. Toutefois, au Québec, dans le domaine de l'assurance médicaments, tous les assureurs privés doivent remplir des conditions minimales en ce qui concerne la couverture qu'ils proposent et la participation financière qu'ils exigent des personnes assurées. »

 

« Toutes les personnes de moins de 65 ans qui sont admissibles à un régime privé sont obligées d'y adhérer, au moins pour la portion du régime qui couvre les médicaments. La plupart du temps, la protection pour les médicaments est incluse dans un régime couvrant d'autres soins de santé (appelé régime d'assurance maladie). Parfois, cette protection est offerte seule. Les personnes qui atteignent l'âge de 65 ans et qui sont admissibles à un régime privé offrant une couverture de base pour les médicaments ont le choix : elles peuvent décider de maintenir leur adhésion à leur régime privé ou de l'abandonner pour adhérer au régime public de la Régie de l'assurance maladie du Québec. »

 

Application au CP

 

En 1996, avant l’entrée en vigueur de la Loi, le CP a communiqué avec le gouvernement provincial et l’a informé que, bien qu’il considérait que la Loi ne s’appliquait pas au CP (en tant qu’employeur relevant de la compétence fédérale), il acceptait volontairement de s’y conformer. Il précisait toutefois qu’il ne s’agissait pas d’une décision ayant un effet obligatoire.

 

Ceci étant dit, notons que tous les employeurs au Québec relevant de la compétence fédérale (banques, entreprises de transport et de communication) se sont conformés la Loi. Un examen juridique portant sur la conformité volontaire du CP à la Loi est actuellement en cours.

 

Processus actuel — Personnel syndiqué et non syndiqué

 

Actuellement, compte tenu de la réglementation au Québec, les employés à qui l’option du CDS est offerte (en vertu d’une convention collective ou du régime du personnel cadre) et qui présentent une demande de départ à la retraite avant d’avoir atteint 65 ans, reçoivent, avant la date de leur retraite, une lettre dans laquelle on les informe des garanties qui leur seront offertes à la retraite en vertu du régime de la Croix Bleue. Dans cette lettre, on leur indique également que lorsqu’ils atteindront 65 ans, ils pourront alors choisir de conserver le régime de la Croix Bleue (en fonction de l’entente pertinente) ou de participer au CDS. Lorsqu’un retraité atteint 65 ans, on lui envoie une autre lettre pour lui expliquer les choix qui s'offrent à lui (le cas échéant) ou lui fournir des renseignements détaillés sur le CDS.

 

            Le grief actuel résulte de la décision unilatérale de l’Employeur de mettre fin au traitement adapté offert aux retraités résidant au Québec. Dans une lettre datée du 1er juillet 2009, l’Employeur avisait tous les syndicats qu’à compter du 2 janvier 2010, il ne fournirait plus aux retraités du Québec les couvertures équivalentes à celles offertes par la Loi du Québec, à savoir la couverture de la RAMQ. Voici le libellé de cette lettre signée par le vice‑président adjoint, Relations industrielles :

 

Calgary (Alberta), le 1er juillet 2009

 

Objet : Révision de l’administration des CDS pour les retraités du Québec

 

Madame,

Monsieur,

 

Comme vous le savez, même si le Canadien Pacifique, ses employés et ses retraités ne sont pas assujettis aux exigences de la RAMQ, le Canadien Pacifique a offert, sur une base strictement volontaire, à ses employés et retraités du Québec certaines protections équivalentes à la couverture offerte par la RAMQ (Régie de l’assurance maladie du Québec) aux résidents du Québec qui ne sont pas couverts par un régime privé.

 

Veuillez prendre note que le Canadien Pacifique n’offrira plus à ses employés du Québec qui prendront leur retraite après le 31 décembre 2009 les couvertures équivalentes à celles offertes par la RAMQ.

 

Après cette date, le Canadien Pacifique offrira à tous les employés qui prendront leur retraite les couvertures offertes par le compte de dépenses santé (CDS), soit les mêmes qu’il offre à l’échelle nationale en vertu d’une entente négociée.

 

Aucun retraité recevant actuellement des prestations de la Croix Bleue/Medavie ne sera touché par ce changement. N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions.

 

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, mes sincères salutations.

 

 

Le vice-président adjoint

Relations industrielles,

 

Rick Wilson

 

            Tous s'accordent pour affirmer que les dispositions prévues dans la LA n° 6 n’ont jamais été prises. Aucune négociation sérieuse n’a suivi la lettre, et il n’a plus jamais été question de « régime modifié » ou de « nouveau régime ».

 

            Le Syndicat allègue que la décision unilatérale de l’Employeur de mettre fin au traitement adapté offert aux employés du Québec grâce à la couverture de la Croix Bleue et de passer à l'application stricte du système de CDS contrevient aux dispositions de la convention collective et de la LA n° 6. Il fait valoir que, par cette décision, l’Employeur viole son obligation d’administrer de bonne foi les conventions collectives régissant les mécaniciens de locomotive et les agents de train, comme l’exigent les articles 31.05 et 69.05 de leurs conventions respectives. Par ailleurs, le Syndicat prétend que la décision de l'Employeur contrevient aux dispositions de la convention collective parce que, dans les faits, il impose à ses retraités du Québec un régime d’avantages sociaux pendant la période fermée de la convention collective, sans possibilité de discuter de la question dans le cadre de négociations, de telle façon qu’une préclusion pourrait être invoquée contre l’Employeur. Le conseiller juridique représentant le Syndicat fait valoir que la décision de l’Employeur telle qu’elle s’applique à ses retraités du Québec est inéquitable, et que, de toute manière, elle contrevient à la Loi sur l'assurance médicaments du Québec. Selon le Syndicat, le système de CDS est un régime d’avantages sociaux qui, contrairement aux dispositions de la Loi, ne fournit pas les couvertures minimales offertes en vertu de la législation provinciale. Son conseiller juridique note, entre autres choses, qu’en vertu de la législation fiscale fédérale, le CDS est reconnu comme étant inscrit dans le cadre d’un régime privé d’assurance, en conséquence de quoi il bénéficie d’une forme de traitement fiscal préférentiel. Plus fondamentalement, le Syndicat allègue que, selon lui, il est évident que le système de CDS constitue un régime privé d’assurance au sens de l’article 4 de la Loi du Québec et que, par conséquent, il est tenu d’offrir des couvertures équivalentes à celles du régime mis en place en vertu de la législation provinciale.

 

            Pour étayer sa position, le Syndicat fait valoir une opinion préliminaire émise par la Direction de l'actuariat de la Régie de l’assurance maladie du Québec. Cette lettre, datée du 22 décembre 2009 et adressée à l’Employeur, informe en réalité ce dernier qu’il est assujetti à la Loi du Québec, et que son régime de CDS n'est pas conforme à la Loi et doit être adapté afin d'offrir au moins les couvertures équivalentes à celles du régime provincial à ses retraités dans la province de Québec. Le libellé de la lettre est le suivant :

 

COURRIER RECOMMANDÉ                                   le 22 décembre 2009

 

Monsieur Robert V. Horte

CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

401, 9th avenue SW, suite 920

Calgary (Alberta) T2P 4Z4

 

Objet   Assujettissement du Canadien Pacifique à la Loi sur I’assurance médicaments

            N/Réf. : 1171.2009-08913

 

Monsieur,

 

La Régie de l’assurance maladie du Québec a été informée récemment des changements que le Canadien Pacifique entend apporter au régime d’avantages sociaux applicable à ses employés du Québec qui prendront leur retraite à compter du 1er janvier prochain. Pour les raisons qui suivent, la Régie est d’avis que ces changements se feront en contravention de la Loi sur I’assurance médicaments (LRQ c. A-29.01).

 

Selon les renseignements dont dispose la Régie, le Canadien Pacifique aurait annoncé dernièrement à ses employés qu’une couverture de soins de santé postérieurs à la retraite serait offerte à tous les employés syndiqués par l’entremise d’un compte de dépense santé (CDS), et ce pour tout le Canada. Jusqu’à cette annonce, les employés retraités de moins de 65 ans du Québec pouvaient continuer à bénéficier du régime de base de la Croix Bleue qui était offert auparavant par le Canadien Pacifique à tous ses employés retraités, lequel comporte des garanties au moins égales à celles du régime général d’assurance médicaments instauré en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments. Or, si le régime de base de la Croix Bleue constitue un régime conforme au regard de cette loi, il n’en est pas de même de la nouvelle couverture que le Canadien Pacifique compte offrir à ses nouveaux retraités.

 

Plus précisément, l’article 39 de la Loi sur l’assurance médicaments prévoit que nul ne peut établir ou maintenir à l’égard des groupes de personnes déterminés par la Loi un régime d’avantages sociaux comportant des garanties en cas d’accident, de maladie, ou d’invalidité à moins que des garanties au moins égales à celles du régime général d’assurance médicaments ne s’appliquent à ce groupe.

 

Considérant la nature du régime d’avantages sociaux que le Canadien Pacifique offrira à ses nouveaux retraités à compter du 1er janvier prochain, le Canadien Pacifique doit prévoir l’inclusion, au régime offert, des garanties au moins égales à celles du régime général d’assurance médicaments, à tout le moins pour ses employés retraités qui sont admissibles au régime général d’assurance médicaments en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments.

 

Nous vous rappelons à cet effet que les dispositions de la Loi sur l’assurance médicaments, par l’effet de la Loi sur l’assurance maladie (L.R.Q. c. A-29) sont d’ordre public et que le Canadien Pacifique bien que constitué en vertu des lois fédérales, demeure soumis aux dispositions de la Loi sur l’assurance médicaments. D’ailleurs, cette position est conforme à l’état du droit en matière d’assujettissement des entreprises fédérales aux lois provinciales d’application générales considérant que la Loi sur l’assurance médicaments ne porte aucunement atteinte à leur spécificité fédérale.

 

Pour les motifs qui précèdent, considérant les conséquences importantes prévisibles qui découleront des changements que le Canadien Pacifique a l’intention d’apporter au régime d’avantages sociaux fourni à ses nouveaux employés retraités québécois, nous invitons la Canadien Pacifique à se conformer à la Loi sur l’assurance médicaments en ajoutant au sein de son nouveau régime d’avantages sociaux une protection au moins équivalente à celle du régime général d’assurance médicaments. Dans le cas contraire, les coûts des services assurés assumés par la Régie pour le compte des nouveaux retraités du Canadien Pacifique admissibles au régime général d’assurance médicaments pourraient lui être réclamés, s’il y a lieu.

 

Nous espérons que la présente sera suffisante à vous démontrer l’importance d’offrir un régime d’avantages sociaux conforme au régime général d’assurance médicaments à vos nouveaux retraités québécois.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos meilleurs sentiments.

 

 

Le directeur de l’actuariat et de l’analyse des programmes,

 

Guy Simard

 

 

            Il y a peu de doute que la décision unilatérale de l’Employeur d’assujettir tous ses retraités du Québec au régime de CDS à compter du 1er janvier 2010 représente un changement par rapport à sa pratique antérieure, et il est aussi évident que c'est un changement par rapport à la situation qui prévalait en vertu du Régime de soins de santé des retraités offert par l’Employeur avant l’instauration du CDS. À cet effet, un document daté de 2001 et distribué par l'Employeur aux employés afin d’expliquer les couvertures d’assurance médicaments offertes en vertu du Régime de soins de santé des retraités alors en vigueur comprenait l’énoncé suivant :

 

Note spéciale à l'attention des résidents du Québec

 

La Régie de l’assurance-maladie du Québec (la « Régie ») a instauré son Régime public d’assurance médicaments le 1er janvier 1997.

 

En tant que personne couverte par un régime collectif privé de soins de santé (le Régime de soins de santé des retraités du Canadien Pacifique – le Régime du CP), il est important que vous compreniez ce que les nouvelles dispositions, qui varieront selon votre âge, signifient pour vous. Veuillez prendre connaissance de la section qui s’applique à votre situation.

 

Section A – Retraités de moins de 65 ans

 

I Q.      Comment le Régime d’assurance médicaments du Québec vous touchera-t-il?

 

R.        En pratique, le Régime d’assurance médicaments du Québec n’aura pas de conséquence pour vous. Vous êtes couverts en vertu du Régime de soins de santé des retraités du CP et vous bénéficiez d'une couverture équivalente à celle offerte par le Régime d'assurance médicaments du Québec. Vous n’aurez donc pas à vous inscrire au régime gouvernemental.

 

Section B – Retraités de 65 ans ou plus

 

1 Q.     Comment le Régime d’assurance médicaments du Québec vous touchera-t-il?

 

R.        À titre de résident du Québec âgé de 65 ans ou plus, vous serez automatiquement inscrit par la Régie au Régime d’assurance médicaments du Québec. Toutefois, vous devrez payer à la Régie une prime annuelle pouvant aller de 0 $ à 385 $, en fonction de votre revenu familial. La prime sera calculée et perçue par le ministère du Revenu du Québec.

 

            L’Employeur soutient qu’il n’a pas contrevenu à la convention collective, à la LA n° 6 ou la législation du Québec, qui ne peut s’appliquer à lui puisque, de toute manière, il est soumis à la réglementation fédérale. Il fait valoir, en partie, que le CDS n’est pas un « régime d’avantages sociaux » et qu’on ne peut donc pas le comparer à la Loi sur l’assurance médicaments du Québec (qu’il désigne comme « la Loi sur les médicaments » par souci de commodité) ou le rendre conforme aux exigences de cette Loi. Son représentant allègue que pour qu’un régime soit considéré comme un régime d’avantages sociaux vertu de la Loi sur l’assurance médicaments, deux conditions doivent être satisfaites : premièrement, un régime doit être établi et, deuxièmement, ce régime doit fournir une couverture qui pourrait être obtenue autrement en vertu d'un contrat d'assurance. D'après l'Employeur, le CDS n'est qu'un compte monétaire dont il est possible de prélever des fonds pour l'achat de soins de santé. Le CDS ne peut pas, selon les allégations de l'Employeur, être comparé à un contrat d’assurance, dont le concept est défini comme suit, en partie, à l’article 2389 du Code civil du Québec :

 

2389.   Le contrat d'assurance est celui par lequel l'assureur, moyennant une prime ou cotisation, s'oblige à verser au preneur ou à un tiers une prestation dans le cas où un risque couvert par l'assurance se réalise. …

 

 

            L’Employeur souligne qu'en vertu du système de CDS, aucun risque n'est assumé par l'entreprise et que le CDS n'est pas un régime d'avantages sociaux aux sens de la Loi sur l’assurance médicaments.

 

            L’Employeur soutient en outre que le présent grief déposé par le Syndicat est prématuré et sans portée pratique. Il fait valoir que par suite de la lettre d’opinion de la RAMQ reproduite ci-dessus, l’Employeur à répondu au moyen d’une lettre datée du 11 février 2010. Dans cette lettre, l’Employeur explique sa position à la RAMQ, à savoir qu’à titre d’entreprise de compétence fédérale, il n’est pas assujetti à la Loi sur l’assurance médicaments du Québec. L’extrait de la lettre ci‑dessous résume bien la position de l’Employeur en ce qui concerne les conditions d’application de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec, ou plus précisément l’opinion de l’Employeur selon laquelle la Loi ne s’applique pas à lui :

 

1 – Applicabilité de la Loi sur l’assurance médicaments à une entreprise de juridiction fédérale telle que CPR

 

Comme nous l'avons mentionné précédemment, CP est une entreprise de juridiction fédérale. La Loi sur l'assurance médicaments a été adoptée par l'Assemblée nationale du Québec et, pour les fins de cette lettre, nous présumons que la Loi sur l'assurance médicaments relève de sa compétence constitutionnelle. Une loi provinciale peut s'appliquer à une entreprise de juridiction fédérale, sauf si elle entrave une composante vitale de cette entreprise. II a été reconnu depuis longtemps par les tribunaux que les conditions d'emploi constituent une composante vitale d'une entreprise.

 

La Loi sur l'assurance médicaments, comme en font foi les articles 1 à 3, a été adoptée pour mettre en place un régime général d'assurance médicaments. Le régime général a pour objet d'assurer à l'ensemble de la population du Québec un accès raisonnable aux médicaments requis par leur état de santé. La protection prévue par le régime général est assumée par la RAMQ ou par les assureurs en assurance collective ou les administrateurs des régimes d'avantages sociaux du secteur privé.

 

Toutefois, la Loi sur l'assurance médicaments impose l’obligation à tous les employeurs qui maintiennent des régimes d'avantages sociaux collectifs pour leurs employés, qu'ils s'agissent de régimes assurés ou auto-assurés et administrés par un tiers ou l'employeur lui-même, de fournir le régime général d'assurance médicaments. Les employeurs ont l'obligation d'inclure cette obligation dans les contrats d'emploi (individuels ou collectifs) avec leurs employés. En obligeant les assureurs et les administrateurs de régime à ne pas maintenir un régime d'assurance ou d'avantages sociaux en l'absence du régime général d'assurance médicaments, et en prévoyant une infraction de nature pénale pour ceux qui ne se conforment pas à cette obligation, la Loi sur l'assurance médicaments a pour effet de forcer les employeurs, directement ou indirectement, à offrir à leurs employés et leurs retraités un régime d'assurance médicaments spécifique qui ne tient pas compte des différentes conventions collectives ou ententes individuelles qui peuvent avoir été conclues. En agissant de la sorte, le législateur provincial a entravé les conditions de travail et les relations de travail qui sont au cœur de CP. Cela relève de la spécificité fédérale de CP et donc de la compétence exclusive du Parlement du Canada.

 

A notre avis, puisque la Loi sur l'assurance médicaments impose des conditions d'emploi à CP qui entravent les relations de travail de CP et la gestion de ses activités, elle est par conséquent inapplicable à celle-ci.

 

 

            Dans sa lettre, l’Employeur exprime clairement à la RAMQ qu’il considère que CDS n'est pas, de toute manière, un « régime d'avantages sociaux » au sens de la Loi sur l’assurance médicaments. Lors de la séance d’arbitrage, le représentant de l’Employeur a informé l’arbitre qu’aucune réponse n’avait été reçue de la part de la RAMQ. L’Employeur fait valoir que le grief du Syndicat est prématuré et ne devrait pas être considéré d’ici à ce que les discussions entre l’Employeur et la RAMQ aient permis d’en arriver à un règlement quelconque.

 

            J’éprouve certaines difficultés avec de telles allégations. D’abord, il faut noter que la lettre de l’Employeur datée du 11 février 2010 constitue nettement l’énoncé de position de celui‑ci, clairement exprimée par son conseiller juridique indépendant, qui a d’ailleurs signé la lettre. Autrement dit, la lettre elle‑même ne vient pas directement de l’Employeur, mais plutôt de son conseiller juridique, bien qu'il n’y ait pas de doute qu’elle a été rédigée en tenant compte des directives de l'Employeur, comme cela est indiqué dans la lettre elle‑même. Mais plus encore, je n’arrive pas à trouver quoi que ce soit dans la lettre qui indiquerait que l’Employeur cherche à entreprendre une discussion ou une négociation de nature particulière avec la RAMQ. La lettre présente de façon exhaustive et bien articulée la situation juridique de l’Employeur pour conclure essentiellement que celui-ci n’est pas assujetti à la Loi sur l’assurance médicaments. Dans le dernier paragraphe de la lettre, on trouve simplement l’énoncé suivant :

 

N’hésitez pas à communiquer avec la soussignée pour tout autre renseignement ou pour toute question relative aux présentes.

 

            Il m’apparaît difficile d’accepter que cet arbitrage ne devrait pas être tenu parce que d’autres discussions avec la RAMQ pourraient avoir lieu (ou non) ou qu’un éventuel règlement pourrait être conclu entre l’Employeur et les autorités québécoises à un niveau administratif. Disons, très simplement, qu'aucun processus clair n’est en cours actuellement en vue de combler l’écart entre la position énoncée par la RAMQ d’une part et celle soutenue par l’Employeur d’autre part. Dans la présente cause d’arbitrage, il ne s’agit manifestement pas d’un litige qui est en instance de décision d’un autre tribunal ou qui, autrement, fait l’objet de discussions sérieuses avec les autorités provinciales en vue d’en arriver à un règlement. Je ne peux donc pas me rallier à la suggestion du représentant de l’Employeur selon lequel le présent grief est prématuré ou sans portée pratique pour une raison ou pour une autre et qu’il ne devrait pas faire l’objet d'un arbitrage dans le moment.

 

            Qu’en est-il de la position fondamentale adoptée par l’Employeur, à savoir qu’à titre d’entreprise sous réglementation fédérale, il ne peut pas être assujetti aux modalités de la Loi sur l’assurance médicaments? Après un examen attentif de la question, je trouve quelque peu difficile d’accepter cette position. Pour commencer, il est essentiel de reconnaître que les soins de santé, incluant les divers types d’assurances maladie, sont manifestement de compétence provinciale. L’administration des régimes provinciaux d’assurance maladie peut occasionnellement, j’en suis conscient, avoir des répercussions sur le monde de l’emploi sans nécessairement empiéter de façon abusive sur les champs de compétence de la loi fédérale sur l’emploi ou des relations industrielles. Par exemple, il pourrait être approprié qu’une province instaure un système de contributions fondées sur les salaires, en vertu duquel les employeurs pourraient effectuer des retenues salariales ou verser des contributions au titre des primes de l'assurance maladie dans le cadre d'un régime provincial qui couvrirait leurs employés dans une province donnée. Le fait que les mécanismes d’une assurance médicale empruntent la voie du système de rémunération d’une entreprise sous réglementation fédérale ne soustrait pas cette question de la compétence provinciale pertinente ou n’empiète pas sur la compétence très distincte du gouvernement fédéral à qui il incombe de réglementer les relations industrielles et les négociations collectives dans le secteur fédéral. À titre d’exemple de participation d’entreprises fédérales à des programmes provinciaux ayant des conséquences sur le monde du travail, on pourrait citer le vaste domaine de la protection au titre de l’indemnisation des accidentés du travail.

 

            Le fait que les provinces peuvent, compte tenu de leur sphère de compétence constitutionnelle, réglementer des entreprises sous compétence fédérale a été confirmé clairement par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta [2007] 2 R.S.C. 3. Cette décision, qui examine de façon exhaustive la jurisprudence, a confirmé que les banques en Alberta qui tentent d’accéder à un secteur d’activité comme la promotion d’assurance ne peuvent pas, en tant qu’entreprises sous compétence fédérale, se soustraire à l’application de l'Alberta Insurance Act, R.S.A. 2000, c. I-3 et aux règlements adoptés en vertu de cette Loi. Essentiellement, la Cour suprême a conclu que les lois et les règlements provinciaux sur les assurances n'ont pas d’incidence sur la nature essentielle des institutions financières en tant qu’entreprises relevant de la réglementation fédérale.

 

            Comment peut-on dire que l’instauration dans une province d’un régime d’assurance médicale offrant une couverture minimale, dont un régime provincial d’assurance médicaments, viendrait saper ou infirmer la nature essentielle d’un employeur sous réglementation fédérale qui exerce des activités dans cette province? Je crois que l’argument de l’Employeur selon lequel l’amélioration du CDS en raison de l’effet de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec serait l’équivalent de l’imposition de conditions d’emploi ne correspond pas à la réalité. D’après moi, tout comme l’Employeur ne pourrait pas s’objecter à ce que ses employés dans une province donnée soit couverts par les dispositions des lois provinciales régissant l’assurance maladie, la même règle devrait, en toute logique, s’appliquer à l’élargissement de l’assurance maladie provinciale pour inclure le coût des médicaments d’ordonnance pour les résidents de la province. Il m’apparaît que de tels programmes relatifs à l’administration des soins de santé relèvent manifestement de la compétence de la province. Le fait d’exiger que des entreprises sous compétence fédérale qui agissent à titre d’employeurs dans la province respectent les lois et les règlements provinciaux en matière de soins médicaux ne constitue pas un empiètement dans un domaine de compétence fédérale exclusive. Je considère qu’il n’appartient pas plus à un employeur de s’objecter à l’application d’une réglementation provinciale relative à un régime d’assurance médicaments que de s’objecter à une province d’exiger la mise en œuvre d’un système de retenues salariales dans le but de financer en tout ou en partie un programme provincial d’assurance maladie. En conclusion, j’estime que la position de l’Employeur selon laquelle il peut se soustraire aux dispositions de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec ne peut pas être soutenue.

 

            Avoir établi que l’Employeur est assujetti aux dispositions de la loi provinciale constitue, en soi, une conclusion importante pour ce que l’on pourrait désigner, à juste titre, la portée de la convention collective. Comme l’indique l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] R.C.S. 42, [2003], les dispositions minimales des lois relatives à l’emploi sont réputées faire partie intégrante des modalités d’une convention collective, et elles doivent être rendues exécutoires par un arbitre plutôt que par les tribunaux. À terme, il reste donc à déterminer si l’entreprise est, comme l'a affirmé la RAMQ, un employeur qui a établi un régime d'avantages sociaux en instaurant le système de CDS. Si tel est le cas et que ce régime offre une couverture inférieure à celle prévue en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec, l'Employeur a l’obligation de faire les modifications nécessaires pour offrir à ses retraités résidant au Québec des protections équivalentes à celles auxquelles ils auraient droit en vertu de la loi provinciale.

 

            À l’article 4 de la Loi, on définit comme suit un « régime d'avantages sociaux » :

On entend par «régime d’avantages sociaux», un régime d’avantages sociaux non assurés, doté ou non d’un fonds, et qui accorde à l’égard d’un risque une protection qui pourrait être autrement obtenue en souscrivant une assurance de personnes.

 

            Les articles 15 et 15.1 de la Loi sont pertinents aux questions soumises à l’arbitre. Ils sont libellés, en partie, comme suit :

 

15.       La Régie assume la couverture des personnes admissibles suivantes :

 

            1) une personne âgée de 65 ans ou plus qui n’adhère pas à un contrat d’assurance collective ou à un régime d’avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminé conformément à l’article 15.1 et comportant les garanties prévues par le régime général, ou qui n’est pas bénéficiaire d’un tel contrat au régime.

 

           

 

            4) toute autre personne admissible qui n’est pas tenue d’adhérer à un contrat d’assurance collective ou un régime d’avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminé conformément à l’article 15.1 ou que nul n’est tenu de couvrir comme bénéficiaire des garanties prévues par un tel contrat ou régime suivant l’article 18.

 

15.1     Aux fins de la présente loi un «groupe de personnes déterminé conformément à l’article 15.1» est un groupe constitué à des fins autres que la souscription d'assurance pour ses membres et composé des personnes admissibles au régime général répondant aux conditions suivantes :

 

1)    elles font partie de ce groupe en raison d’un lien d’emploi actuel ou ancien…

 

(emphase ajoutée)

 

            L’exigence d’« équivalence » s’appliquant aux régimes privés d’avantages sociaux, autrement dit l’exigence pour ces régimes de fournir au moins les garanties de base prévues par le régime provincial, est exprimée dans l’article 16 de la Loi, dont le libellé est le suivant :

 

16.       Toute personne admissible au régime général autre que celles visées aux paragraphes 1 à 3 de l’article 15 et qui fait partie d’un groupe de personnes déterminées conformément à l'article 15.1 doit adhérer au contrat d'assurance collective ou au régime d'avantages sociaux applicable à ce groupe au moins pour les garanties prévues par le régime général.

 

            Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’Employeur affirme avec insistance que le système de CDS qu’il a mis en place n’est pas un « régime d'avantages sociaux au sens de la Loi sur l’assurance médicaments ». J’ai un peu de difficulté avec cette affirmation. Un examen de la nature fondamentale du CDS révèle que, de toute évidence, c’est plus qu’un simple compte bancaire discrétionnaire. Les retraités ne peuvent pas prélever des fonds de leur CDS à moins que ce ne soit expressément dans le but d’acheter, à titre personnel, un quelconque type de régime d’assurance médicaments ou pour défrayer les dépenses encourues dans l’achat de médicaments ou d’autres services. Autrement dit, le CDS n’est tout simplement pas une réserve de fonds indifférenciée dans laquelle les retraités peuvent puiser à leur discrétion. Le CDS vise expressément à fournir une forme de protection semblable à celle qui serait autrement disponible en vertu d'un contrat d'assurance comportant une garantie d’assurance-maladie complémentaire.

 

            Selon moi, le fait que le CDS offre des avantages sociaux ne répond évidemment pas à la question de savoir s’il s’agit d’un « régime ». À mon avis, il faut aussi pouvoir répondre par l’affirmative à cette question. Les modalités du CDS sont très claires et comprennent un certain nombre d’éléments objectifs. Parmi ceux‑ci, mentionnons l’âge et l’état de retraité de la personne couverte, le nombre d’années de service acquises par celle-ci auprès de l’Employeur et la formule qui en découle d’après laquelle on établit la somme d’argent qui sera disponible dans le CDS de la personne en question. En plus, comme cela est indiqué plus haut, le compte doit servir exclusivement à l’achat de bénéfices en assurance-maladie complémentaire, que cela prenne la forme d’une assurance ou de médicaments ou de services proprement dits. Enfin, en vertu des modalités du CDS, les fonds inutilisés dans le compte après une période de deux ans reviennent à l’Employeur. Compte tenu de ces modalités, comment le CDS peut-il être considéré comme autre chose qu’un « régime »? Il est nettement fondé sur un ensemble de règles qui régissent un groupe désigné de bénéficiaires ayant accès à certains avantages sous forme monétaire conformément à un ensemble de conditions clairement établies. Je suis convaincu que le CDS est, essentiellement, un régime d’avantages sociaux au sens où l’entend la Loi sur l’assurance médicaments du Québec. Il n’est donc pas surprenant que, dans la LA n° 6, les parties elles‑mêmes fassent référence au « régime actuel de CDS ».

 

            Pour les fins du présent grief, je dois souligner qu’il n’est pas contesté que le CDS n’offre pas aux retraités de l’Employeur âgés de 55 à 65 ans et résidant au Québec le même niveau de garantie que celui qui est offert par la garantie générale de la Loi sur l’assurance médicaments, qui doit s’appliquer à tous les résidents du Québec. C’est une chose que ne peut pas faire le CDS en vertu de la loi.

 

            J’en conclus que je dois donner droit au grief et déclarer que le système de CSD de l’Employeur est en fait un régime d’avantages sociaux au sens de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec. Comme le CDS ne prévoit pas fournir des protections équivalentes à celles dont bénéficient tous les résidents du Québec en vertu de la Loi, l’Employeur est tenu de faire les modifications qui s'imposent pour redresser la situation.

 

            Bien que cela ne constitue pas le fondement de la présente décision arbitrale, je considère que la décision et la déclaration ci-dessus ne s'écartent pas de façon importante de la compréhension et de l’intention générale des parties qui, à mon avis, apparaissent de façon claire dans les preuves qu’on m’a soumises. Même si j’étais prêt à conclure que la LA n° 6 n'est rien de plus qu'un consentement à s'entendre, et qu’un tel consentement a une portée moindre qu’une reconnaissance exécutoire de la part des parties de leur intention d’inclure les normes de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec dans leur entente contractuelle, il est évident, d’après le libellé de la lettre elle-même, que l’Employeur et le Syndicat ont convenu en principe que leurs discussions pendant le période fermée de la convention collective devaient mener à une modification du système de CDS de façon que celui-ci satisfasse à l’exigence suivante, qui est énoncée dans la lettre elle-même, soit : « le régime devra respecter les exigences réglementaires minimales ». De plus, comme cela est indiqué plus haut, dans le corps de la LA n° 6, les parties font ouvertement référence au CDS comme étant « le régime actuel de CDS », ce qui indique que, pour elles, il s’agit essentiellement d’un régime d'avantages sociaux, même si on trouve des énoncés tout à fait contraires dans d’autres documents rédigés par les parties.

 

            Je propose aussi une autre analyse. Même si je faisais erreur en concluant que le CDS est un régime d'avantages sociaux au sens de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec, je me verrais néanmoins tenu de conclure que, compte tenu des preuves déposées devant moi, l’Employeur est empêché par préclusion, du moins pendant le reste de la durée de la convention collective, d’imposer le CDS de façon unilatérale aux retraités résidant au Québec. Les preuves indiquent qu’avant et pendant les négociations de 2006-2007 visant le renouvellement de la convention collective, les deux parties savaient que le CDS n’offrait pas les mêmes garanties que celles dont bénéficient les résidents du Québec en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments du Québec. C’est pourquoi l’Employeur avait décidé de fournir des garanties équivalentes au moyen d’une couverture de la Croix Bleue aux retraités du Québec âgés de 55 à 65 ans.

 

J’estime que lorsque le Syndicat a conclu la convention collective actuelle, il était convaincu que cette protection de niveau supérieur serait maintenue. L’annonce unilatérale faite par l’Employeur le 1er juillet 2009 dans laquelle il annonçait que toute amélioration de la protection visant les employés du Québec prendrait fin le 1er janvier 2010 doit être considérée comme une négation des attentes et de la confiance légitimes du Syndicat à l'égard de l’Employeur, au moyen d’une préclusion fondée sur la conduite. Étant donné qu’au moment de la conclusion de la convention collective actuelle, le Syndicat tenait pour acquis que l'Employeur reconnaissait la difficulté au Québec et fournissait aux retraités de cette province les garanties supérieures de la protection de la Croix Bleue, il ne devrait pas avoir à subir le retrait inéquitable de cette protection sans préavis et sans la possibilité d’en négocier le renouvellement, comme c’est évidemment le cas pendant la période fermée de la convention collective. Cela est particulièrement vrai si l’on tient compte du fait que les parties comprenaient la nécessité d’ajouter un complément aux garanties au Québec, comme cela est clairement indiqué dans la LA n° 6. C’est pourquoi, au minimum, je conclus et déclare que le principe de préclusion s’applique et que l’Employeur n’est pas libre de mettre fin à la protection de la Croix Bleue qu’il a accordée aux employés, ou à une protection équivalente, d’ici à l’expiration de la convention collective actuelle, soit apparemment le 31 décembre 2011, date à partir de laquelle les parties auront de nouveau la possibilité de négocier afin de renouveler ou de modifier le CDS.

 

            Le Syndicat a demandé que des mesures correctives assorties d’une liste d’ordonnances et de directives soient imposées par l’arbitre. Toutefois, il m’apparaît plus constructif, pour le moment, de fournir simplement aux parties les déclarations et les conclusions de la présente décision arbitrale et de leur donner d’abord la possibilité de discuter ensemble des meilleurs moyens à prendre pour mettre au point des mesures de redressement pour les retraités du Québec visés par ce litige. Si les parties n’arrivaient pas à s’entendre sur l’ensemble des modalités de telles mesures de redressement, elles pourraient me soumettre de nouveau la question. Je reste pleinement saisi de la cause, et je pourrai, le cas échéant, déterminer quelles mesures de redressement doivent être prises.

 

                                                                                                                                    L’arbitre,

Le 17 mai 2010                                                                              (signée) MICHEL G. PICHER