BUREAU D’ARBITRAGE & MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO. 4040

entendu à Montréal, le mardi 11 octobre 2011

 

opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

And

 

LE SYNDICAT NATIONAL DE L’AUTOMOBILE, DE L’AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA)

 

LITIGE :

 

            The denial of short-term disability benefits to Montreal Intermodal employee Nicolas Fortin.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

 

            On February 28, 2011, the grievor, Mr. Nicolas Fortin, was notified that he was being held out of service pending disciplinary investigation to be held on March 4.

 

            On March 2, 2011, the grievor notified the employer that his physician had declared him unfit to work with an estimated time off sick of one month. This period was later extended by the physician and the grievor ultimately commenced a progressive return to work on June 7, 2011. His disciplinary investigation was held on that day.

 

            During his period of incapacity the grievor mad application for short-term disability benefits, which were denied.

 

            The Union submits that the grievor was eligible for short-term disability benefits and that the denial constituted a violation of article 30.1 of the Intermodal Supplemental Agreement. The Union requests a declaration to this effect and that the grievor be made whole in all respects.

 

            The Company submits that the grievor was not eligible for STD benefits given that he was not performing remunerated service and had already been held out of service at the time he was declared unfit. The Company therefore denies the Union’s contentions and claims.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :

REPRÉSENTANT NATIONAL                                  DIRECTEUR – RELATIONS DE TRAVAIL

(SGN.) A. ROSNER                                            (SGN.) D. LAURENDEAU

                                                                             

Représentaient la Compagnie :

D. Laurendeau                               – Directeur – Relations de travail, Montréal

S. Grou                                           – Directrice – Relations de travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

A. Rosner                                       – Représentant national à la retraite, Montréal

J. Savard                                        – Vice-président régional, Montréal

A. St-Pierre                                    – Vice-président local, Montréal

C. Jarry                                          – Représentant, Montréal

N. A. Fortin                                     – Plaignant

 

SENTENCE ARBITRALE

            Suite à certains évènements du 24 février 2011, le plaignant a été accusé d’intimidation et d’harcèlement envers un autre employé. Le 28 février la Compagnie a avisé le plaignant qu’il était suspendu pendant l’enquête concernant ces accusations. Ce même jour M. Fortin est avisé qu’il est convoqué à une séance d’enquête le 4 mars 2011.

 

            Le plaignant a consulté son médecin le 1er mars 2011. Ce dernier l’a déclaré inapte au travail pour un mois. Comme il n’était pas apte au travail, le plaignant ne s’est pas présenté à l’enquête le 4 mars 2011. Malgré les efforts de la Compagnie pour céduler l’enquête pendant l’absence médicale de M. Fortin, son représentant syndical confirmait à l’employeur qu’il ne serait pas disponible avant la fin de son absence médicale. Dans les faits, M. Fortin n’a commencé un retour au travail progressif qu’à compter du 7 juin 2011. L’enquête s’est amorcée ce même jour et le 23 juin 2011 la Compagnie a imposé 45 mauvais points au dossier de M. Fortin.

 

            Entre temps, au début d’avril, le plaignant a fait une demande de prestations d’invalidité de courte durée. Cette demande lui a été refusée par la Great West Life en raison de sa suspension du travail à compter du 28 février 2011.

 

            La suspension d’un employé pendant une enquête disciplinaire est prévue par les dispositions de l’article 23.2 de la convention collective qui se lit :

 

23.2   Toute enquête portant sur de prétendues irrégularités doit être effectuée dans le plus court délai. Les membres du personnel peuvent être suspendus pendant l'enquête pour une période ne dépassant pas trois jours ouvrables.

Caractères gras en sus

 

            La Compagnie prétend que le plaignant n’a pas droit aux prestations d’invalidité de courte durée pour toute la période de son absence en raison du fait qu’il était suspendu le jour où il a fait sa demande à l’assureur. En appui de sa position elle se base sur le libellé d’un livret émis par la Compagnie pour expliquer aux employés leurs droits quant aux prestations d’invalidité, et en particulier le paragraphe suivant :

 

Vos prestations d’invalidité de courte durée prennent fin :

 

le jour où commence une grève, où vous commencez votre congé annuel ou un congé autorisé (autre qu’un congé durant lequel vous touchez des prestations d’assurance-emploi en cas de maternité, des prestations d’invalidité de courte durée ou des prestations en vertu d’une loi sur les accidents du travail), où vous commencez votre période de mise à pied ou de suspension, aucune prestation d’invalidité de courte durée ne vous étant versée durant toutes ces périodes;

Caractères gras en sus

 

            Respectueusement, je ne peux partager le point de vue de la Compagnie, ni de l’assureur, s’il y a lieu.

 

            Les enjeux concernant l’effet d’une suspension sur le droit d’un employé aux prestations d’invalidité de courte durée ont été examinés dans un arbitrage de ce même arbitre dans une sentence entre ces mêmes parties, rendue le 21 décembre 2009 (grief concernant la suspension de Cédryk Levasseur). L’Arbitre a alors conclu que la compagnie ne pouvait pas refusé des prestations de maladie à un employé suspendu pour la durée d’une enquête disciplinaire, soit douze semaines, à cause de l’absence pour maladie de l’employé. Aux pages 3 et 4 de la sentence l’Arbitre se prononçait ainsi :

 

L’Arbitre doit en venir à la conclusion que cet état de chose est effectivement une contravention de l’article 27.1 de la convention collective. De prime abord, il est évidemment permis à la compagnie de mettre en suspens une enquête disciplinaire moyennant le retour au travail d’un employé en congé de maladie. Mais à l’avis de l’Arbitre c’est tout autre chose que d’effectivement convertir une période d’absence pour maladie en période de suspension indéfinie.

 

L’application de l’article 27.1, tel qu’interprétée par la compagnie, créerait une injustice, sinon une discrimination, contre l’employé qui est obligé de s’absenter en raison d’une maladie ou d'une blessure. En général, l’employé en santé qui est mis hors service en attendant le déroulement d’une enquête disciplinaire se voit privé de son salaire et de ses bénéfices pour une semaine ou deux. Mais l’employé suspendu dans les mêmes circonstances qui souffre d’une blessure ou d’une maladie qui l’empêche de travailler pourrait, selon la compagnie, subir une pénalité financière qui correspond à tout la période d’absence légitime causée par son incapacité médicale. S’il était nécessaire de se pencher sur cet aspect du litige, il est fort probable que le tribunal serait obligé de conclure qu’il y a là une discrimination contre un employé en raison de son état médical, contrairement à la Loi Canadienne sur les droits de la personne. L’idée d’une suspension sans solde dont la durée dépend seulement de la longueur d’une absence médicale est pour le moins répugnante aux notions les plus fondamentales de la discipline pour juste cause. Mais, pour les motifs qui suivent, l’Arbitre considère qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur l’application de la Loi Canadienne sur les droits de la personne, en l’espèce.

 

Il me semble que ce grief peut être résolu tout simplement par l’interprétation de la convention collective. Au départ, il faut reconnaître que l’intention de la deuxième phrase de l’article 27.1 de la convention collective est d’assurer qu’un employé ne subisse pas la pénalité d’une suspension déraisonnable en raison du délai dans le processus d’une enquête disciplinaire. Mais, la politique de la compagnie de jumeler la période de suspension d’un employé avec la période de son absence pour maladie, en attendant une enquête, a comme effet de contrer l’intention et l’esprit de l’article 27.1 de la convention collective. Comme le suggère le représentant syndical, il serait complètement contraire à cet article si, par exemple, un employé qui subit une crise cardiaque ou un autre évènement médical grave qui entraine plusieurs mois d’absence se voit effectivement suspendu indéfiniment, sans même la protection des prestations de maladie. L’intention primaire de l’article 27.1 de la convention collective ne permet tout simplement pas un résultat si draconien.

 

            Pour ce qui est du présent litige, je n’hésite pas à conclure que la position de la Compagnie ne cadre aucunement avec les exigences de la Loi Canadienne sur les droits de la personne. Supposons qu’un deuxième employé était accusé du même méfait que M. Fortin et était convoqué en même temps à la même enquête. Dans la mesure où il n’était pas malade, cet employé aurait passé son enquête et aurait retourné au travail sans délai, supposément sujet à sa peine de 45 points de démérite. Mais, M. Fortin, dont l’incapacité médicale d’assister à l’enquête n’est pas contestée, perd plusieurs semaines de salaire, sans prestations d’invalidité de courte durée, dû au seul fait qu’il est malade. À mon avis, il s’agit clairement d’une discrimination basée sur l’invalidité médicale du plaignant, ce qui n’est pas permis par la Loi Canadienne sur les droits de la personne.

 

            Subsidiairement, je suis persuadé que la convention collective des parties ne prévoit aucunement cet état de chose. Je considère qu’il est important de souligner que la convention collective impose une limite claire à l’étendu d’une suspension pour les fins d’une enquête disciplinaire. L’article 23.2 de la convention collective se lit :

 

23.2     Toute enquête portant sur de prétendues irrégularités doit être effectuée dans le plus court délai. Les membres du personnel peuvent être suspendus pendant l'enquête pour une période ne dépassant pas trois jours ouvrables.

(Caractères gras en sus)

 

            Or, force est de constater que la Compagnie ne pouvait suspendre le plaignant que pour trois jours pour les fins de l’enquête, et qu’elle ne lui a jamais imposé de suspension supplémentaire comme peine disciplinaire, s’étant limité aux 45 points de démérite. Dans ce contexte, comment peut-on prétendre que le statut d’« employé suspendu » s’est attaché à M. Fortin pour toute son absence du 28 février jusqu’au 7 juin 2011, sans aucun droit à son assurance-maladie? À mon avis, un tel scénario va à l’encontre de la protection accordée aux employés par l’article 30.1 de la convention collective.

 

            Qui plus est, cette position n’est pas consistante avec le libellé du livret des employés qui avise que les prestations d’invalidité prennent fin « où vous commencez notre période de suspension ». Quoiqu’il me semble raisonnable qu’un employé ne peut réclamer des prestations de maladie pour sa période de suspension, dans le cas qui nous occupe, d’après les dispositions claires de l’article 23.2, la suspension de M. Fortin ne pouvait dépasser trois jours ouvrables. Il me semble clair qu’à partir du quatrième jour après sa suspension du 28 février 2011, M. Fortin était pleinement en droit de recevoir les prestations d’invalidité de courte durée, car il était alors absent dû seulement au fait qu’il était incontestablement malade et sous les soins de son médecin. Cette conclusion me semble également consistante avec le libellé du livret des employés qui sont avisés que relativement aux mises à pied et aux suspensions ils ne reçoivent aucune prestation d’invalidité « durant toute ces périodes. » Or, en l’espèce, c’est seulement pour ses trois jours de suspension que le plaignant perd ses prestations.

 

            Je peux bien comprendre la remarque du représentant syndical qui qualifie de ridicule la position de l’employeur qui prétend que si une absence maladie débute pendant une suspension l’employé perd son droit du prestations tant et aussi longtemps qu’il demeure absent, même si la suspension n’était que pour une seule journée. Je ne peux tout simplement pas croire que les parties ont convenu d’établir une telle loterie pour régir la protection importante d’un système d’assurance maladie pour les employés.

 

            Pour ces motifs le grief est accueilli. L’Arbitre ordonne que le plaignant reçoive de la Compagnie une compensation équivalente à ce qu’il aurait reçu comme prestations d’invalidité de courte durée pour la période de son absence, quitte à la réduction de ce montant pour sa suspension de trois jours.

 

17 octobre 2011

L’ARBITRE

 

(signé) MICHEL G. PICHER