BUREAU D’ARBITRAGE ET MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO. 4175

 

entendu à Montréal, le 12 février, 2013

 

opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE :

Griefs produits par le Syndicat à la suite du rejet par la Compagnie des demandes de crédits de retraite anticipée.

 

Ex PARTE DÉCLARATION D’ÉMISSION AU SYNDICAT :       

Suite à l’émission de la décision, favorable au Syndicat, rendue par l’Arbitre dans la cause No. 3844 du BAMCFC le 21 janvier 2010, la Compagnie a demandé une révision judiciaire de la décision arbitrale. Le 8 mars 2011, la Cour Supérieure du Québec rejetait la demande de la Compagnie.  Le 28 février 2012, l’appel de la Compagnie en la matière, fut rejeté par la Cour d’appel du Québec.

Avant la décision arbitrale No. 3844, le Syndicat avait soumis 14 griefs portant sur des demandes de retraite anticipée présentées par des membres en 2008 et 2009;  ces griefs furent refusés par la Compagnie.  

Les parties ont mutuellement consenti à  garder les griefs en suspens et d’en prolonger les délais jusqu’à la résolution finale de la demande de révision/appel judiciaire.

En avril 2012, le Syndicat informait la Compagnie de son intention de poursuivre les griefs en suspens et sollicitait une rencontre. Toutefois, les parties n’ont pas réussi à convenir d’une date mutuellement convenable pour la tenue d’une rencontre. Vers la fin du mois d’août 2012, le Syndicat a, à nouveau, demandé une rencontre ou conférence téléphonique relativement aux griefs en suspens portant sur les demandes de crédits de retraite anticipée.   La Compagnie a répondu qu’elle considérait les délais expirés.

Le Syndicat soumet que dans les circonstances, les griefs en cause sont arbitrables et, subsidiairement, demande à l’Arbitre d’exercer le pouvoir que lui confère le Code de proroger les délais desdits griefs.

Sur le fond, le Syndicat soumet que le rejet, par la Compagnie, des demandes de retraite anticipée est contraire aux dispositions de la Convention Collective 4.16, y compris, l’Annexe 3C, et à la décision arbitrale rendue dans la cause no. 3844. Le Syndicat demande une déclaration à l’effet que la Compagnie a contrevenu à la Convention Collective, tel que mentionné ci-avant. Le Syndicat demande d’enjoindre la Compagnie de s’abstenir de contrevenir à la Convention 4.16 et d’accorder les crédits de retraite anticipée demandés, avec pleine compensation aux membres, en plus de tout autre redressement que l’Arbitre juge approprié dans le but d’assurer la conformité future à la Convention Collective 4.16.

La Compagnie maintient que les délais en lien avec les griefs soumis par le Syndicat sont maintenant échus et ne sont pas arbitrables. Sur le fond, la Compagnie est en désaccord avec la position du Syndicat et demande que les griefs soient rejetés.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :
Titre Président Général                                     titre

(SGN.) D. Joannette                                           (SGN.)

 

Représentaient la Compagnie :

D. Gagné                                       – Directeur Principal, Relations de travail, Montréal

D. Larouche                                   – Directeur, Relations de travail, Montréal

A. Durocher                                   – Directeur adjoint, Centre de Gestion des Équipes, Montréal

J. Darby                                         – Associé, Relations de travail, Toronto

D. VanCauwenbergh                     – Premier Directeur, Relations de travail, Toronto

 

 

Et représentaient le Syndicat :

S. Beauchamp                               – Procureur syndical, Montréal

D. Joannette                                   – Président général, Québec

C. Desbiens                                    – Vice-président général, Charny

A. Gatien                                        – Président, Comité local d’ajustement – Montréal

 

SENTENCE ARBITRALE

            Il est convenu que la compagnie a affiché des bulletins qui déclaraient qu’il y  avait des crédits de retraite anticipée de disponibles sur le territoire de la Division Québec. Par exemple, un bulletin en date du 19 mars 2010 annonçait un total d’environ soixante crédits de disponibles, répartis dans les 6 gares d’attache de la Division. Or, semble-t-il que trente-deux crédits de retraite anticipée ont été demandés par les employés, mais refusés par la compagnie, ce qui a suscité les 14 griefs en l’espèce. 

           

            Comme objection préliminaire, la compagnie prétend que les griefs en question sont hors délais et donc non-recevables en arbitrage. Elle soutient que les parties ont convenu de mettre ces griefs en veilleuse en attendant la décision de la Cour d’Appel du Québec dans la cause BAMCFC 3844. Cette décision a été rendue le 28 février 2012. Par après, le représentant syndical n’a pas accepté d’être présent à une rencontre pour discuter de ces griefs le 10 mai, 2012. D’après la compagnie, comme le Syndicat n’a jamais demandé une prolongation des délais, ils ne sont plus recevables en arbitrage selon les limites établis dans la convention collective.

 

Le représentant syndical déclare qu’il n’a jamais acquiescé à une rencontre le 10 mai, 2012 et n’avait donc pas la documentation voulue avec lui. De plus, son procureur plaide qu’il y a eu quatre ententes procédurales entre les partie pour maintenir les griefs en suspens. Subsidiairement, il soutient que, de toute façon, dans ces circonstances l’Arbitre devrait exercer son pouvoir de prolonger les délais sous l’article 60 (1.1) du Code Canadien du Travail. Comme je ne peux accueillir ces griefs sur le fond pour les motifs qui suivent,  je juge qu’il n’est pas nécessaire de traiter de la question des délais. Subsidiairement, s’il fallait me prononcer, je considère que l’histoire houleuse qui entoure ces griefs et le manque de communications claires démontré par les deux parties dans la procédure des griefs, ainsi que les montants importants en jeu pour les employés, justifieraient que j’accorde une prolongation des délais pour permettre la résolution finale du litige.

 

            En ce qui concerne le fond du dossier, la position de la Compagnie est qu’il ne reste plus de crédits de retraite anticipée dans la banque établie par les parties. Les crédits émanent d’une entende faite entre les parties en 1992 (Conductor-Only Agreement). Cet avenant envisageait un surplus important d’employés qui découlerait de l’élimination du poste de serre-freins sur un grand nombre de trains. Les opportunités de retraite anticipée accordées aux diverses gares étaient donc offertes pour encourager la retraite des employés plus anciens pour faire de la place aux plus jeunes lorsqu’il y avait un surplus d’employés à la gare en question. Mais selon l’entente des parties, il était convenu que ces crédits de retraite anticipée, qui étaient généreux et attrayants, ne resteraient pas toujours disponibles. Le nombre de crédits accordés diminuait à chaque fois qu’un employé éligible optait d’utiliser un de ces crédits en temps de surplus.  Deuxièmement, l’avenant de 1992 préconisait la réduction des crédits de retraite anticipée disponibles moyennant la retraite, la démission ou la mort des employés à chaque gare d’attache.

            L’annexe 3C de l’avenant de 1992 contient les dispositions suivantes :

1.         The parties recognize that the implementation of a conductor only crew consist in the manner set out in the Memorandum of Agreement signed in Montreal on March 29th, 1992 will render a certain number of employees surplus. The parties also recognize that the number of surplus employees will be reduced over time by means of attrition. Therefore, in order to accelerate the attrition of surplus employees, a number of early retirement opportunities will be made available at regular intervals equivalent to the number of surplus employees in the work force at the time. Such early retirement opportunities will be made available under the terms and conditions set out in this Addendum.

 

2.         Protected freight employees who are eligible for early retirement under the CN Pension Plan(s) Rules and who have 85 points as defined by the Pension Plan(s) Rules may voluntarily elect to retire under the terms and conditions set out herein.

 

3.         The initial number of early retirement opportunities to be made available will equate to the number of surplus positions existing (existing brakemen’s positions determined to be non-essential brakemen’s positions in accordance with Clause 7 of the Memorandum of Agreement plus the total number of reducible brakemen’s positions, as presently defined, occupied on a permanent basis [this will include reducible brakemen’s positions awarded at the change of timetable, or when crews are set-up or subsequently claimed by a protected freight employee under the freight crew consist rules then in effect will exclude positions occupied pursuant to Article 3 of the Memorandum of Agreement dated July 19, 1990]).

 

4.         At each change of timetable and such other intervals as may be agreed to by the

 parties, such early retirement opportunities will be made available, on a terminal by            terminal basis, to protected freight employees working under Agreement 4.16. Except as provided by the NOTE to this paragraph (4), the total number of such early retirement opportunities to be made available will, in no case, exceed the remaining number of opportunities as calculated pursuant to paragraph (5).

 

NOTE: If, during the two (2) years immediately following the effective date of the aforementioned Memorandum of Agreement as agreed upon by the parties), the service design specifications of a train or trains, previously identified as requiring a brakeman, are revised so that such train or trains meet the criteria for operation with a crew consist of a conductor only, the total number of exciting early retirement opportunities to be made available at the terminal will then be increased by one for each such train. For each four opportunities increased, an additional opportunity will be added.

 

5      The number of early retirement opportunities will be reduced by one for each protected freight employee who is removed from the active working list (including employees who are removed from the working list as a result of accepting an early retirement opportunity) other than by discharge or promotion to yardmaster or locomotive engineer or an excepted position.

 

           

La Compagnie dit qu’elle a commis une erreur importante dans le calcul des crédits de retraite anticipée qui ont été affichés comme étant disponibles dans les cinq gares d’attache de la Division Québec, comme dans la région des maritimes. D’après son représentant, l’employeur n’a tout simplement pas pris en considération la réduction des crédits par l’opération du paragraphe 5 de l’annexe 3C. Cette constatation a été communiquée au représentant du syndicat dans une lettre datée du 16 juillet 2012 qui se lit :

La présente porte sur les griefs en suspens dans la région de l’Est concernant des demandes de crédits de retraite anticipée conformément à l’entente sur les équipes réduites au chef de train, en vertu de l’annexe 3C de la convention 4.16. Par souci de commodité, vous trouverez ces griefs à l’annexe A jointe à cette lettre. Veuillez prendre note que cette liste peut être incomplète.

 

Le CN a récemment procédé à une révision minutieuse de l’application de l’annexe 3C relativement aux griefs en suspens et aux demandes de crédit de retraite anticipée. Le paragraphe 5 de l’annexe stipule ce qui suit :

 

5)         Le nombre d’occasions de départ à la retraite anticipée sera réduit d’une unité pour chaque employé protégé radié de la liste du personnel actif (compte tenu des employés radiés de cette liste parce qu’ils auront saisi une occasion de départ à la retraie anticipée), pour un motif autre que le congédiement ou une promotion à un poste de chef de triage ou de mécanicien de locomotive ou à un poste non syndiqué.

 

Or, en réponse aux griefs, l’employeur soutient qu’il ne reste plus de crédits de retraite anticipée de disponibles.

 

            Le procureur du syndicat prétend que même si les crédits sont disparus en raison de l’opération de l’article 5 de l’avenant,  la doctrine de l’estoppel ne permet pas à l’employeur de nier l’existence des crédits de retraite déjà affichés dans les triages. D’après lui, les employés éligibles à la retraite qui ont déposé leur demande pour recevoir un crédit de retraite anticipée, suite à l’affichage de ces crédits par l’employeur, doivent être accordés ces crédits de retraite anticipée selon les principes de l’estoppel.

 

            A mon avis, l’estoppel ne peut s’appliquer en l’espèce. Un élément critique de l’estoppel est qu’une partie soit désavantagée par sa dépendance sur la représentation ou la promesse faite par l’autre partie (injurious reliance). Dans le cas présent, le seul fait que les employés qui ont fait leur demande de retraite anticipée à la lumière des avis erronés affichés aux triages par l’employeur ne reçoivent pas les crédits en question n’est pas en soi un « injurious reliance ». Le concept de la dépendance injurieuse s’adresse plutôt à un changement de position ou de circonstance entrepris par une partie qui dépend de la promesse de l’autre. Si, par exemple, un employé pouvait démontrer avoir changé de domicile en encourant une perte sur la vente de sa maison, suite aux attentes  suscitées par la promesse de l’employeur concernant son accès à un crédit de retraite anticipée, l’estoppel pourrait rentrer en jeu. Mais le simple fait d’apprendre qu’il y a eu une erreur de la part de l’employeur, sans plus, ne peut suffire pour invoquer l’estoppel. Dans le sens juridique, les plaignants en l’espèce n’ont subi aucune perte ni aucune injustice aux dépends de l’employeur.

 

            Il est bien reconnu qu’en général les parties à une convention collective on le droit de corriger une erreur dans l’administration de leur entente. Un employeur qui par erreur débourse à un employé un salaire plus généreux que celui prévu à la convention collective n’est pas pour autant obligé de perpétuer cette erreur pour la durée de la convention collective. L’administration saine et équitable des conventions collectives reconnait que les simples erreurs commises par les parties doivent être susceptibles de correction, si ce n’est que pour éviter l’enrichissement injuste et restaurer l’intention originale des parties.

 

            En l’espèce, les parties on convenu en 1992 d’une formule, exprimée à l’annexe 3C de l’avenant, qui fait réduire le nombre de crédits de retraite anticipée dans une gare sur la base du départ l’emploi des employées protégés, selon les conditions décrites au paragraphe 5. J’ignore par quel principe le syndicat, lui-même co-auteur de ce paragraphe, peut maintenant s’appuyer sur l’erreur dans les bulletins de la compagnie pour effectivement nier l’application du paragraphe 5 de l’annexe 3C de l’entente de 1992. À mon avis, accueillir la position du syndicat, ce qui couterait quelques millions de dollars à l’employeur, serait de sanctionner un enrichissement injuste et nettement  au-delà  des attentes des parties.

 

            L’employeur a déposé en preuve une liste complète des employés protégés sous l’avenant de 1992 qui ont quitté leur emploi aux triages de la Division Québec. Le nombre de ces départs dépasse de loin le nombre de crédits de retraite anticipée de disponibles affichés en erreur aux triages par l’employeur. Force est de constater que selon l’intention première de l’entente faite par les parties en 1992, il ne reste plus de crédits de retraite anticipée dans chacun des triages de la Division Québec. De plus, pour les motifs exprimés ci-haut, les employés plaignants n’ont pas souffert de préjudice et ne peuvent donc tout simplement pas avoir recours aux principes de l’estoppel pour encaisser des bénéfices importants qui ne leur appartiennent  pas, sous un régime contractuel qui les lie depuis 1992.

 

            Pour les fins de l’exactitude, il faut de plus souligner que rien dans la décision de ce bureau dans le dossier BAMCFC 3844 ne qualifie ni réduit l’analyse et les conclusions de la présente décision. Dans la cause 3844 l’épuisement de la banque de crédits n’a tout simplement pas été plaidé.

 

            Pour ces motifs les griefs sont rejetés. .

 

 

Le 21 février, 2013                                                                                                      L’ARBITRE

 

 

 

                                                                                                  __________________________

                                                                                               MICHEL G. PICHER