BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE No. 4244

 

entendue à Montréal, le 8 octobre 2013

 

opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

et

 

LE SYNDICAT NATIONAL DE L’AUTOMOBILE, DE L’AÉROSPATIALE,

DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS

ET TRAVAILLEUSES DU CANADA

 

LITIGE

                Retrait de la pause-café de 30 minutes à compter du 26 mars 2012 pour les employés du terminal intermodal de Montréal.

 

EXPOSÉ EX PARTE DE LA COMPAGNIE

            Le 12 mars 2012, la direction du terminal intermodal de Montréal rencontrait le représentant régional et le représentant local du Syndicat et émettait un avis écrit à l’intention des membres du personnel du terminal intermodal de Montréal visés par la convention collective complémentaire à l’effet que ces derniers ne seraient assujettis qu’à une seule période de repas payée de 30 minutes par quart de travail telle que prévue au paragraphe 12.2 de l’article 12 à compter du 26 mars 2012.

Le 19 mars 2012, la direction du terminal intermodal de Montréal émettait un autre avis écrit précisant les attentes auxquelles le personnel du terminal Intermodal de Montréal visé par la convention collective complémentaire devait se conformer quant à leur quart de travail et à la prise de la pause-repas prévue au paragraphe 12.2 de la convention collective complémentaire.

            Le 26 mars 2012, la direction du terminal intermodal de Montréal mettait en application sa directive relative à la prise d’une pause-repas par quart de travail.

Le Syndicat maintient que, malgré que la convention collective soit claire à l’effet qu’il n’existe qu’une seule pause-repas de 30 minutes sans perte de salaire, la Compagnie n’avait pas le droit de retirer la pause-café de 30 minutes le 26 mars 2012. Le Syndicat s’appuie sur la pratique passée et sur le principe d’estoppel pour revendiquer le rétablissement de la pause-café et le paiement de 30 minutes au taux majoré jusqu’à la réinstauration de la pause-café.

La Compagnie n’est pas d’accord avec la position du Syndicat et a rejeté le grief.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :

titre                                                                       titre : Directrice, Relations de travail

(SGN.)                                                                  (SGN.) C. Gilbert

 

Représentaient la Compagnie :

C. Gilbert                                        – Directrice, Relations de travail, Montréal

D. S. Fisher                                    – Directeur principal, Relations de travail et stratège, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

J. Fournier                                      – Unifor, représentant national, Toronto

B. Kennedy                                    – Président, Edmonton

S. Auger                                         – Représentant régional, Montréal

A. St. Pierre                                    – Représentant local, Montréal

J. Savard                                        – Ancien représentant régional, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

Le présent grief concerne un appel relatif à l’application de l’article 12.2 de la convention collective complémentaire en regard de la décision de la Compagnie de ne plus permettre aux membres du personnel du terminal intermodal de Montréal de prendre une pause-café de 30 minutes durant leur quart de travail. Les faits sont tenus pour avérés.

 

La convention collective 5.1 et la convention complémentaire étaient en vigueur pendant les faits à l’origine du présent grief, ces conventions étant vigueur depuis le 1er janvier 2011 et arrivant à échéance le 31 décembre 2014. La disposition en litige est l’article 12.2 de la convention collective complémentaire (« convention collective »):

            12.1 Les membres du personnel en affectation régulière et ceux affectés à des quarts de travail de huit heures ou plus ont droit à une pause-repas entre la fin de la troisième heure de travail et le début de la sixième heure. Il est entendu que la pause-repas ne doit pas entrer en conflit avec l’exploitation.

 

            12.2 Cette pause-repas, dont la durée est de 30 minutes, n’entraîne pas de perte de salaire.

 

            12.3 Si un membre du personnel ne peut prendre sa pause-repas durant la période précisée aux présentes, il est rémunéré au taux majoré pour son travail et bénéficie de 30 minutes de répit pour manger, à la première occasion, sans que cela n’entraîne de perte de salaire.

           

Malgré la transparence du langage de l’article précité quant à la prise de pauses, les membres du personnel du terminal intermodal de Montréal et de Toronto étaient autorisés à prendre, sans perte de salaire, une pause-café de 30 minutes. Au terminal intermodal de Montréal, il était pratique courante depuis plus de 15 ans que les membres soient autorisés à prendre une pause payée de 15 minutes le matin et une autre pause payée de 15 minutes l’après-midi, en plus de la pause-repas payée de 30 minutes prévue au paragraphe 12.2 de l’article 12 de la convention collective.

 

Pendant que les parties au litige étaient en période de négociation, plus spécifiquement le 17 janvier 2011, la Compagnie a envoyé un avis à M. Barry Kennedy, président du conseil national 4000 – TCA, avant que la convention collective ne soit renouvelée. La Compagnie a fait savoir au Syndicat que les périodes de repas seraient prises en application stricte des dispositions de la convention collective. La Compagnie n’excluait pas toutefois la possibilité que des pauses soient accordées localement, à la discrétion de la direction.


            « Effective January 1, 2011, employees governed by Agreement 5.1, or the Supplemental agreement for employees in Intermodal Terminals, will have meal periods administered in strict compliance with the Collective Agreement. As for the matter of breaks, as it is not addressed by the terms of the collective agreements, at the expiration of the present collective agreements, breaks may be scheduled and granted at management’s discretion on a local basis.”

 

Le Syndicat n’a pas répondu à l’avis de la Compagnie l’informant de son intention de s’appuyer sur le langage strict de la convention collective. Les parties ont signé par la suite un mémoire d’entente le 24 janvier 2011, mémoire qui fut éventuellement ratifié.

 

En novembre 2011, la Compagnie a mis fin à la pratique de la pause-café au terminal intermodal de Toronto, sans qu’un grief ne soit déposé par le Syndicat.

 

Le 12 mars 2012, des membres de la direction du terminal intermodal de Montréal ont fait savoir au représentant régional et au représentant local du Syndicat que les membres du personnel du terminal de Montréal visés par la convention collective ne seraient assujettis qu’à une période de repas payée de trente (30) minutes par quart de travail tel qu’il est prescrit au paragraphe 12.2 de l’article 12 et ce, à compter du 26 mars 2012. Un avis écrit était aussi affiché le même jour à l’intention du personnel du terminal. Le 19 mars 2012, un second avis était émis précisant les attentes auxquelles les membres du personnel du terminal intermodal de Montréal devaient se conformer quant à leur quart de travail et à la prise de la pause-repas prévue au paragraphe 12.2 de la convention collective.

 

En réponse à l’application de la directive relative à la prise d’une seule pause-repas par quart de travail, le présent grief a été déposé. Le Syndicat a déclaré que la Compagnie est empêchée d’invoquer le langage strict de la convention collective vu que la pratique, qui existe depuis environ 1994, « n’a jamais été remise en question jusqu'à ce jour à la table de négociation. »

 

J’ai bien passé en revue les éléments dont je dispose. Je suis consciente du contexte historique dans lequel le Syndicat cherche à s’opposer à ce que la Compagnie applique le langage strict de l’article 12.2 de la convention collective. Le Syndicat soutient que, ayant annoncé durant la négociation qu’elle mettait fin à la pratique vieille de plus de 15 ans d’autoriser deux autres pauses, sans engager le Syndicat dans d’autres négociations sur cette question, et ayant retardé le retrait de la pratique pendant plus d’un an dans la convention collective renouvelée, la Compagnie aurait en réalité créé un autre estoppel.

 

Je ne peux me rallier à la position du Syndicat. Les éléments essentiels de l’estoppel sont cités dans le dossier de la Compagnie. Transposés dans un contexte syndiqué, ces éléments sont les suivants :

1.      Une partie signataire de la convention collective fait une déclaration à l’autre partie, par des mots ou une conduite (parfois même par un silence);

 

2.      La déclaration prévoyait une réponse de l’autre partie; c’est-à-dire, pour avoir une incidence sur les rapports juridiques entre les parties;

 

3.      L’autre partie s’appuyait effectivement sur la déclaration; et

 

4.      A subi un préjudice à la suite de cet acte de confiance.

 

 

Il se pourrait bien que le Syndicat ait eu un argument valable fondé sur le principe de l’estoppel quand la Compagnie a essayé au départ de revenir au langage strict de la convention collective à l’égard des pauses-repas. Toutefois, contrairement aux arguments du Syndicat, il ne peut y avoir acte de confiance préjudiciable découlant de l’absence de négociation sur la question litigieuse lors de la plus récente ronde de négociation. La Compagnie a clairement indiqué au Syndicat qu’elle avait l’intention de mettre fin à la prise de pauses-repas à l’échéance de la convention collective, mais que des pauses supplémentaires pourraient être prévues et accordées sur une base locale, à la discrétion absolue de la Compagnie. Il n’importe pas que le Syndicat ait répondu ou non à l’avis donné par la Compagnie, qu’il l’ait accepté ou qu’il soit d’accord avec celui-ci. Le fait que la Compagnie ait tardé à mettre fin à la pratique n’a pas créé un nouvel estoppel, surtout compte tenu du fait que des pauses additionnelles pouvaient être prévues localement, à la discrétion absolue de la Compagnie.

 

Le grief est rejeté.

 

Le 8 octobre 2013                                                                                                       L’ARBITRE

 

                                                                                                                   CHRISTINE SCHMIDT