BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO 4245

 

Entendue à Montréal, le 8 octobre 2013

 

opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE

            Récupération de sommes et imposition de réprimandes écrites à onze (11) employés pour réclamations injustifiées sur le train A430 à Bécancour.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS

            Pendant la période allant du 1er janvier au 4 avril 2012, onze (11) ingénieurs de locomotive ont soumis des réclamations relatives au paragraphe 13.2 de la convention collective (DC) alors qu'ils travaillent sur le train A430. Ces réclamations ont été payées par le Bureau de la paie de la Compagnie. Entre le 8 juin et le 23 août 2012, chacun des onze (11) ingénieurs de locomotive a été enquêté pour des réclamations non justifiées sur le train A430. Chaque ingénieur de locomotive enquêté a reçu une réprimande écrite suite aux enquêtes. La Compagnie a récupéré tous les montants associés à ces réclamations. Le Syndicat affirme que la Compagnie a récupéré les montants en violation de l’alinéa 72.3 b) de la convention collective, que les employés n'ont pas eu droit à des enquêtes justes et impartiales et que leur responsabilité n'a pas été établie lors de celles-ci. Le Syndicat demande que les mesures disciplinaires soient retirées des dossiers des employés et que les sommes récupérées en violation de la convention collective leur soient remboursées.

La Compagnie n'est pas d'accord.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :
Titre : Président                                                  Titre : Premier vice-président

(SGN.) J. M. Halle                                               (SGN.) J. Orr

Représentaient la Compagnie :

D. Larouche                                   – Directeur, Relations de travail, Montréal

D. Gagne                                        – Directeur principal, Relations de travail, Montréal

G. Dunberry                                   – Surintendant, Joffre

 

Et représentaient le Syndicat :

J. M. Halle                                      – Vice-président général, Saint-Romuald

R. Leclerc                                       – Président général, Lignes de l’est, Montréal 

 

SENTENCE ARBITRALE

         Durant Ia période en question, soit entre le 1er janvier 2012 et le 4 avril 2012, onze (11) ingénieurs de locomotive ont soumis, lors de tours de service sur le train A430 à Bécancour, des réclamations de type « designated cut » (« DC »)  en vertu du paragraphe 13.2 de la convention collective 1.1. Ces réclamations ont été faites par les chefs de train, au nom des ingénieurs de locomotive, et elles furent payées.

         Les réclamations DC n’étaient pas sujettes à une vérification systématique. Elles sont payées automatiquement avec le billet de travail. À ce titre, le système de gestion des réclamations (système CATS) se fonde sur l’intégrité des informations fournies dans les réclamations et l’honnêteté absolue des employés.

       Il est intéressant de noter le contexte dans lequel les réclamations litigieuses ont été faites. Les réclamations en litige dans le cas qui nous intéresse ont été faites après que la Compagnie a recouvré les montants associés à des réclamations de primes « Locomotive Housing » (« LH ») de certains employés à Bécancour. Le terminal de Bécancour n’avait pas d’atelier, une condition préalable à l’admissibilité à ce type de prime. Le Centre de gestion des équipes (CGE) a découvert ces réclamations injustifiées dans le cadre d’une vérification amorcée le 1er décembre 2011. La Compagnie a changé le système CATS de façon à ce que ce type de réclamation ne soit plus payé automatiquement, mais doive dorénavant être assorti d’un code « AD » (« stand alone claim »).

         En ce qui concerne les réclamations en question dans la présente cause, le train A430 fait le trajet entre Montréal et Bécancour. Les instructions en vigueur à l’époque (et qui le sont toujours) sont inscrites dans le journal du train A430. Celles-ci indiquent de garer le train devant la station et de manœuvrer les locomotives vers la voie G150, laissant le train sur la voie principale. Cette manœuvre n’exige aucune autorisation ni la remise de numéros de wagons spécifiques aux employés par une autorité compétente, comme c’est le cas pour une coupe désignée (DC).

         Le CGE a effectué une autre vérification en mai 2012 et a découvert des réclamations pour des coupes désignées à Bécancour. À compter du 16 mai 2012, la Compagnie a procédé au recouvrement des sommes associées à ces réclamations après un délai de plus de trente (30) jours.

         Entre les mois de juin et août 2012, les employés visés par la présente ont été convoqués à une enquête pour avoir fait des réclamations DC non justifiées. Chacun de ces employés a reçu par la suite une réprimande écrite, versée à son dossier, pour ces réclamations.

DÉCISION

         Le Syndicat ne disconvient pas que les réclamations DC en litige dans la présente cause soient injustifiées. Les employés visés ont bel et bien réclamé des primes DC auxquelles ils n’avaient pas droit. La prime en question est versée à un employé en vertu du paragraphe 13.2 :

13.2 Pour l’application du paragraphe 13.1, lorsque l’on demande à un ingénieur de locomotive de garer son train sur une voie de triage particulière d’un terminal et que cette voie ne peut recevoir le train au complet, il place les wagons en trop ou une coupe de wagons désignée sur une autre voie de triage. Dans les cas de congestion dans les triages où il n’y a pas suffisamment de place sur cette autre voie pour garer les wagons en trop, il faut utiliser plus d’une voie de la manière précitée pour garer le train convenablement. Les ingénieurs de locomotive (y compris ceux qui sont affectés à une équipe réduite au chef de train) à qui on demande de placer des coupes de wagons désignées en trop sur d’autres voies ont droit à la rémunération de 12 ½ milles en sus de tout salaire touché pour leur tour de service, ce millage ne devant pas entrer dans le calcul du millage total d’un ingénieur de locomotive pour le mois ouvrable.

NOTA : Pour effectuer cette manœuvre, les ingénieurs de locomotive ne sont pas tenus de répartir les wagons en trop, par exemple sur une voie 10 wagons destinés à un endroit et sur une autre voie 10 autres wagons destinés à un autre endroit. L’intention du paragraphe 13.2 est la répartition des wagons en trop, si possible, sur une autre voie.

Le paragraphe 13.2 vise à expliciter davantage le paragraphe 13.1 :

13.1     Lorsque des locomotives de manœuvre sont en service, les ingénieurs de locomotive qui arrivent à la gare de destination sont considérés comme libérés du service après avoir manœuvré leurs trains sur un minimum de voies et garé leur fourgon de queue si nécessaire. Ils peuvent toutefois être appelés à effectuer des manœuvres se rapportant à leur propre train comme stationner des wagons ou faire la mise en place s’il y a lieu, de wagons importants ou de wagons avariés. Pour effectuer ce travail, ils peuvent être obligés de refaire la mise en place d’autre équipement. S’ils doivent accomplir d’autres travaux alors que les locomotives de manœuvre sont en service, ou s’ils doivent effectuer de courts trajets hors de la gare, ils sont rémunérés  à raison d’un minimum de 100 milles pour ce service.

Le paragraphe 13.5 est également pertinent :

13.5     Lorsqu’il n’y a pas de locomotive de manœuvre en service, les ingénieurs de locomotive de ligne font les manœuvres dans le triage et sont considérés comme étant en service continu.

 

         Les parties conviennent qu’afin de recouvrer les montants injustifiés au-delà de la limite de trente (30) jours prévue à l’alinéa 72.3 b) de la convention collective, la Compagnie doit démontrer une conduite frauduleuse ou de la mauvaise foi de la part des employés visés.

 

         Les faits substantiels suivants m’ont convaincue que la Compagnie avait satisfait à son obligation dans la présente cause.

 

            Des locomotives de manœuvre ne sont pas en service à Bécancour et ne l’ont jamais été. Les paragraphes 13.1 et 13.2 précités sont donc manifestement inapplicables. Le paragraphe 13.5 renforce l’absence de paiement ou de prime supplémentaire pour manœuvres effectuées à l’arrivée à un terminal où il n'y a pas de locomotive de manœuvre en service.

 

            Le bureau de la paie a confirmé qu’aucune réclamation DC n’avait été faite auparavant à Bécancour, selon les données du CGE et les vérifications effectuées au cours des dernières années. D’ailleurs, un examen de toutes les réclamations DC payées à Bécancour au cours des cinq (5) dernières années a confirmé qu’aucune réclamation DC n’avait été faite avant la période de janvier 2012, ce qui a donné lieu aux enquêtes des employés visés.

 

            Les employés en cause ont en moyenne vingt-sept (27) années de service. Il n’est donc pas crédible, bien qu’ils prétendent le contraire, que ces employés aient pensé en toute honnêteté qu’ils étaient en droit de faire ces réclamations pour avoir effectué des coupes DC quand ils ont garé leurs trains et dételé les locomotives. Il ne peut y avoir ici de désaccord sincère sur l’interprétation du paragraphe 13.2 précité. En outre, les employés demeurent responsables de leurs réclamations bien que celles-ci aient été déposées par leurs collègues chefs de train.

 

            Par ailleurs, ces mêmes employés ont fréquemment fait des réclamations DC dans les triages où celles-ci étaient payables en remplissant dûment le système CATS, contrairement aux réclamations en litige. Les employés ont, par exemple, mal rempli la case où ils devaient inscrire le nom du superviseur (bien qu’il n’y ait aucune autorité compétente à Bécancour) ayant donné le numéro de wagon pour lequel la coupe désignée était requise dans la réclamation.

 

            Pour étayer son point de vue, la Compagnie a présenté un aperçu du nombre de réclamations DC faites au cours des 24 derniers mois par les employés visés. Plus de 1 300 réclamations ont été faites sur une période de deux ans, toutes ces réclamations ayant été payées relativement à des cours de triage où des locomotives de manœuvre sont en service, soit à Joffre (Québec) et à Taschereau (Montréal). Pas une seule réclamation n’a été faite à Bécancour.

 

            Le Syndicat a souligné qu’une importante période de temps s’était écoulée avant que les employés soient interviewés au sujet des réclamations en litige. J’ai passé en revue les interviews et plusieurs employés y plaidaient un trou de mémoire, disant ne pas se rappeler précisément des circonstances se rapportant aux réclamations. Ceci est possible. Toutefois, quand on leur a présenté les rapports qui confirmaient que les trains avaient été « coupés » au niveau des locomotives et que cette manœuvre ne constituait qu'un simple dételage des locomotives, les employés n’avaient aucune explication raisonnable à donner pour justifier leurs réclamations. Ce n’était pas parce que leurs souvenirs se faisaient de plus en plus lointains, mais plutôt parce qu’à Bécancour, rien ne pouvait expliquer comment une manœuvre aussi simple peut donner droit à un paiement de prime DC.

 

            Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincue que la preuve a démontré clairement que les  employés visés qui prétendaient avoir effectué des coupes désignées savaient parfaitement qu’ils n’effectuaient pas de telles coupes lorsqu’ils garaient leurs trains, dételaient les locomotives et les plaçaient sur la voie G150 à Bécancour. Dans ces conditions, en présentant des réclamations pour primes DC, ils ont agi de mauvaise foi.

 

            Étant donné que la Compagnie a satisfait à son obligation, elle était en droit d’imposer une mesure disciplinaire aux employés visés. Je ne considère pas l’imposition des réprimandes écrites comme un aveu de la part de la Compagnie de la faiblesse du dossier. La sanction que la Compagnie a choisi d’imposer semble refléter sa considération du contexte dans lequel les réclamations DC non justifiées ont été découvertes, et la façon dont elle avait cherché tout d’abord à résoudre le différend avec le Syndicat des chefs de train (convention collective 4.16) et le Syndicat des ingénieurs de locomotive.

 

            Le fait que les ingénieurs de locomotive ont été convoqués à une enquête, alors que le Syndicat des chefs de train a évité de subir une enquête en acceptant l’offre de la Compagnie de résoudre le différend en acceptant la récupération des sommes en question, ne rend pas cette enquête injuste et impartiale. Cela ne représentait pas non plus une menace pour le Syndicat. Il s’agissait d’une offre faite au tout début de cette affaire, une offre que le Syndicat a décidé de refuser. Le Syndicat savait en prenant cette décision, et il arrive que les syndicats soient confrontés à de telles décisions, que la Compagnie allait agir comme elle l’a fait.

 

            Pour tous ces motifs, j’ai conclu que les réclamations des employés qui prétendaient avoir effectué des coupes désignées quand ils ont garé leur train à Bécancour ont été faites de mauvaise foi. Les montants recouvrés ont par conséquent été récupérés en conformité avec la convention collective et la jurisprudence pertinente. La conduite des employés mérite une sanction disciplinaire et les réprimandes écrites à l’endroit des employés étaient justifiées.

 

Pour ces motifs, les griefs sont rejetés.

 

Le 22 octobre 2013                                                                                                     L’ARBITRE

 

                                                                                                  __________________________

                                                                                                                   CHRISTINE SCHMIDT