BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO. 4335

 

entendue à Montréal, le 14 octobre 2014

 

opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE

            Contestation du congédiement de M. Dominic Maurice suite à une violation des règles 439 et 35 le 19 mars 2014.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS

            Le 19 mars 2014, alors qu’il travaillait comme mécanicien de locomotive sur le train 927, M. Maurice n’a pas été en mesure de s’arrêter avant de franchir le signal 169 qui commandait un arrêt absolu. Il a arrêté son train 50 pieds au-delà du signal, enfreignant ainsi la règle 439 du REFC. Suite à sa déclaration officielle, la Compagnie a congédié M. Maurice en date du 22 mars 2014.

            Le Syndicat est d’avis que la compagnie était au fait que M. Maurice éprouvait des problèmes au niveau de ses méthodes de conduite et qu’aucune mesure pour corriger la situation n’a été prise.

            Le Syndicat estime que la mesure disciplinaire est injustifiée et excessive et demande que M. Maurice soit réintégré dans ses fonctions et qu’il puisse bénéficier d’un soutien adéquat afin de corriger ses lacunes au niveau des méthodes de conduite.

            La Compagnie n’est pas d’accord et maintient le congédiement.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :

Titre : Président général                                    Titre : Premier vice-président

(SGN.) J. M. Hallé                                               (SGN.) D. Larouche pour J. Orr

Représentaient la Compagnie :

D. Larouche                                   – Directeur Relations de Travail, Montréal

D. Gagne                                        – Directeur Principal, Relations de Travail, Montréal

N. Gagnon                                      – Directeur Général, Champlain

O. Lavoie                                        – Surintendant Adjoint, Montrain

D. VanCauwenbergh                     – Directeur Relations de Travail, Toronto

 

 

Et représentaient le Syndicat :

S. Beauchamp                               – Avocat, Montréal

D. Maurice                                     – Plaignant,

J. Hallé                                           – Président Général, Montréal

S. Morin                                          – Président Local, Montréal

S. Savage                                      – Président Local, Québec

 

SENTENCE ARBITRALE

 

            La question dont je suis saisie est la suivante : la mesure disciplinaire imposée par la Compagnie était-elle appropriée compte tenu des circonstances ?  

 

            Les faits ne sont pas contestés. Le 19 mars 2014, M. Dominic Maurice (« le plaignant »), mécanicien de locomotive, était aux commandes du train de voyageurs de banlieue 927 avec le chef de train Yan Neveu, sur la ligne Deux-Montagnes de la rive-nord de Montréal. 

 

            Le train a quitté la gare de Ste-Dorothée. À la sortie de la gare, le signal 163 indiquait « normal à arrêt » pour le prochain signal, le signal 169. La distance entre les signaux 163 et 169 était de 3 168 pieds. La vitesse permise dans cette zone était de 55 milles à l’heure.

 

            Les membres de l’équipe ont correctement identifié et indiqué le signal 163 entre eux.

 

            Conduisant son train à une vitesse de 46 milles à l’heure, il est arrivé à la courbe précédant le signal 169 et a vu que ce signal commandait un « arrêt absolu ». Réalisant qu’il ne pourrait pas s’arrêter avant d’atteindre le signal 169, le plaignant a mis les freins d’urgence. Il a dépassé le signal 169 de 50 pieds, enfreignant ainsi la règle 439 du REFC. Le train aurait dû s’arrêter à au moins 300 pieds du signal d’arrêt absolu.

 

         Au moment de l’incident, le train de voyageurs 934 roulait en direction opposée. Il devait entrer complètement dans la voie d’évitement afin de laisser passer le train 927. Le train 934 était en train de s’arrêter, mais ne s’était pas encore immobilisé dans la voie d’évitement, n’ayant pas encore libéré le point contrôlé par le signal 169. En enfreignant la règle 439, les membres de l’équipe ont entraîné un risque de collision entre deux trains de voyageurs.

 

            Après l’arrêt du train, le plaignant a contacté le chef de la circulation ferroviaire (« le CCF ») pour l’informer de la situation. Le CCF a appliqué des mesures de protection des mouvements sur-le-champ.

 

         Lors de sa déclaration officielle, le plaignant a bien fait comprendre qu’il savait, en s’engageant dans la courbe prononcée précédant le signal 169, qu’il pourrait avoir à faire un arrêt absolu, mais qu’il a été surpris par la proximité du signal 169, qu’il savait être situé après la courbe. La distance de visibilité du signal 169 à la sortie de la courbe est d’environ 500 pieds.

 

         La journée de l’incident, le plaignant en était à son deuxième voyage aller-retour. Il avait déjà franchi ce même point dans la même direction trois heures auparavant. En fait, le plaignant avait effectué 50 tours de service sur le train de voyageurs de la ligne Deux-Montagnes en tant que mécanicien de locomotive ou chef de train au cours des douze mois précédents, passant entre les signaux 163 et 169 un total de 210 fois.

 

Décision

 

         L’infraction à la règle 439 est la plus grave qu’un employé puisse commettre sur le chemin de fer. L’infraction est d’autant plus grave quand il s’agit d’un train de voyageurs. Dans les circonstances précitées, les conséquences auraient pu être désastreuses. La négligence du plaignant mérite sans le moindre doute une sanction disciplinaire sévère.

 

         Étant donné que le plaignant avait fait le même voyage plus tôt dans la journée, et plusieurs fois dans les mois qui ont précédé l’incident, je ne peux accepter son explication selon laquelle il pensait qu’il y avait une plus grande distance entre le point où il a aperçu le signal et le signal même.

 

         Par ailleurs, la vitesse à laquelle allait le plaignant montre qu’il avait essentiellement ignoré le signal 163, puisqu’il aurait dû être déjà prêt à s’arrêter. Le plaignant a expliqué qu’en général, le signal 169 est vert – révélant que c’était la couleur du signal, plutôt que la distance de celui-ci après la courbe qui l’a surpris. Se fier à son expérience antérieure plutôt que de s’apprêter à faire un arrêt absolu comme il est tenu de le faire montre une grande négligence de sa part.

 

         En ce qui concerne la présumée infraction à la règle 35 du REFC par le plaignant, le Syndicat nie qu’il y a eu infraction. Le Syndicat affirme qu’en communiquant immédiatement avec le CCF et, compte tenu du fait que ce dernier a pris des mesures de protection des mouvements, il aurait été inutile d’envoyer un appel radio d’urgence et d’assurer la protection par signaleur.

 

         La règle 35 du REFC se lit comme suit :

 

35. Signalement des situations d'urgence

 

Cette règle n'autorise pas l'occupation de voie principale ni les travaux en voie.

 

(a) Tout employé découvrant une situation qui peut être dangereuse pour la circulation d'un mouvement doit, au moyen de drapeaux, feux, torches, ou par radio, par téléphone ou tout autre moyen, faire tout son possible pour arrêter les mouvements susceptibles d'être concernés et (ou) leur fournir les instructions nécessaires. Il faut assurer la protection par signaleur sur la voie principale, à moins ou jusqu'à ce que l'on soit dispensé de cette obligation.

 

(b) Dans chaque direction si c'est possible, un signaleur doit se rendre à la distance prescrite du point dangereux afin de s'assurer qu'un mouvement qui approche aura le temps et l'espace nécessaires pour s'arrêter avant d'atteindre ce point. Sauf disposition contraire, un signaleur doit se rendre à au moins 2 milles du point dangereux, jusqu'à un endroit d'où il pourra être vu distinctement par un mouvement qui approche.

 

 

            La règle 35 est claire. C’est l’employé qui découvre la situation dangereuse – dans ce cas-ci, le plaignant - qui a l’obligation de faire tout en son pouvoir pour arrêter les mouvements susceptibles d’être concernés par la situation dangereuse et (ou) de fournir à ces mouvements les instructions nécessaires. Le plaignant aurait dû envoyer un appel d’urgence sur le canal de la subdivision pour alerter les autres trains du danger immédiat. En manquant à cette obligation, il a enfreint la règle 35 du REFC. Dans de telles situations, il n’y a pas une minute à perdre. Heureusement, le CCF n’était pas occupé à communiquer avec un autre train au moment où il a été contacté par le plaignant. Par un heureux hasard, le délai occasionné par l’omission du plaignant de se conformer à la règle 35 et de lancer un appel d’urgence sur le canal de la subdivision a été réduit au minimum.

 

         Pour évaluer la justesse de la mesure disciplinaire imposée, chaque cas doit être jugé par lui-même en fonction de l’ensemble des faits.

 

         J’ai pris connaissance des cas fournis par les parties. Contrairement à la cause CROA 2356, où l’arbitre Picher a étudié les décisions antérieures rendues par ce bureau et a réintégré dans ses fonctions un agent de train avec sept années de service et un dossier blanchi après un congédiement pour infraction à la règle 429 (aujourd’hui la règle 439) du REFC, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse ici d’un cas où une substitution de peine serait justifiée.

 

         Au moment de l’incident, le plaignant n’était pas un employé de longue date, même si ses neuf années de service ne sont pas négligeables. Son dossier disciplinaire comptait un total de 25 points de démérite. Il y avait cependant un important facteur aggravant, outre la grande négligence dont le plaignant a fait preuve dans la présente affaire, notamment les récentes infractions graves aux règles opérationnelles qui lui ont valu des sanctions disciplinaires sévères.

 

         Quatre mois avant la violation de la règle primordiale dans la présente affaire, en novembre 2013, le plaignant avait excédé la vitesse permise alors qu’il travaillait sur un train visé. Il avait alors circulé pendant plus de 10 milles à une vitesse supérieure à la vitesse limite de 50 milles à l’heure, allant jusqu'à 65 milles à l’heure, ignorant de ce fait la restriction qui s’appliquait à son train. La Compagnie a suspendu le plaignant pour une période de 14 jours.

 

L’année précédente, en juillet 2012, le plaignant a été suspendu pour une durée de 60 jours pour une violation de la règle 42 du REFC. À cette occasion, le plaignant est entré dans les limites d’un contremaître sans avoir reçu d’instructions de sa part au préalable comme le prévoit la règle. Le plaignant n’avait pas remarqué au moins quatre drapeaux jaune sur rouge ou rouge aux côtés de la voie.

 

            Une tendance inquiétante se dégage concernant le plaignant : pleinement conscient des règles opérationnelles, il montre une propension à ne pas y prêter attention.

 

            Contrairement à ce qu’a fait valoir le Syndicat, ce n’est pas un manque de formation qui a concouru aux violations graves des règles opérationnelles de la part du plaignant. Les lacunes présentées par le plaignant dans l’affaire dont je suis saisie et celles des deux autres incidents récents pour lesquels le plaignant s’est vu imposer d’importantes suspensions ne peuvent être remédiées par de la formation et une aide professionnelle. Malgré l’imposition d’une mesure disciplinaire progressive destinée à faire comprendre au plaignant à quel point il est important d’être toujours vigilant et attentif dans l’exercice de ses fonctions, le  message n’a pas été entendu, comme en témoigne la plus récente transgression du plaignant.

 

            L’infraction majeure qui nous occupe, aggravée par le fait que le plaignant a communiqué avec le CCF plutôt que de lancer lui-même un appel d’urgence sur le canal de la subdivision, et vue à la lumière de son dossier disciplinaire, me porte à conclure que le plaignant a irrémédiablement porté préjudice à la confiance qu’avait la Compagnie dans sa capacité d’exercer ses fonctions de façon sécuritaire.

 

            Pour tous ces motifs, j’estime que la Compagnie avait de bonnes raisons de licencier le plaignant. Le grief est donc rejeté.           

 

        

 

Le 10 novembre, 2014                                                                                               L’ARBITRE

 

                                                                                                                 ___________________

                                                                                                                   CHRISTINE SCHMIDT