BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO 4447

 

Entendue à Montréal, le 9 février 2016

 

Concernant

 

VIA RAIL CANADA INC.

(Ci-après appelée la « Société »)

 

Et

 

UNIFOR CANADA
(Ci-après appelé le « Syndicat »)

 

LITIGE

 

            L’attribution des vingt points de pénalisation émis à M. Mario Quici et son licenciement ultérieur en raison de l’accumulation des points de pénalisation à son dossier.

 

            Le congédiement de M. Mario Quici pour violation de son entente de dernière chance et par cumul de points de démérite.

 

EXPOSÉ DU CAS PRÉSENTÉ PAR LE SYNDICAT

 

            Le 15 avril 2015, une enquête à l’endroit de M. Mario Quici a été menée pour cause qu’il n’a supposément pas révisé les procédures d’urgence en cas d’accident (PIU) durant la rencontre avant voyage du train 628, le 15 mars 2015, tel que décrit dans les attentes du poste de directeur des services et de la liste obligatoire de contrôle de la rencontre d’avant-départ et la coordination des activités de sécurité. Conséquemment, vingt points de pénalisation lui ont été infligés. Comme son dossier comptait cinquante points de pénalisation avant l’enquête, il a donc été licencié en raison du nombre de points de pénalisation accumulés.

            Le Syndicat affirme que la discipline était excessive, déloyale et injustifiée et que le processus d’enquête n’a pas été équitable et impartial. La Société a ignoré quatre déclarations faites par les employés travaillant sur le même équipage. Ces déclarations appuyaient les affirmations de M. Quici selon lesquelles celui-ci avait bel et bien suivi les procédures requises. De plus, le Syndicat affirme que M. Quici a subi un traitement différent de la part de la Société étant donné les circonstances antérieures et parallèles où le plaignant prétend subir du harcèlement de son superviseur. Le Syndicat suggère enfin que M. Quici est un employé comptant de nombreuses années de service.

            Le Syndicat demande que la mesure disciplinaire soit retirée de son dossier et que M. Quici soit réintégré dans son emploi à temps complet, sans perte d’ancienneté; qu’il soit remboursé pour tous les salaires perdus et les avantages sociaux, et qu’on lui accorde toute autre réparation juste et raisonnable.

            La Société affirme que le congédiement de M. Quici est justifié basé sur la preuve présentée et que M. Quici n’a pas suivi les procédures de la politique des procédures d’urgence de la Société. De plus, la Société soutient que M. Quici a été le sujet de plusieurs mesures disciplinaires dans le passé.

           

EXPOSÉ DU CAS PRÉSENTÉ PAR LA SOCIÉTÉ

 

            Le 8 mai 2015, la Société a congédié M. Mario Quici. L’entente de dernière chance, signée le 17 juillet 2013 était toujours en vigueur et l’entente constatait que : « The only matter that may be grieved and/or referred to arbitration will be the question of whether or not I adhered to the conditions of my continuing employment. »

            De plus, l’employé a atteint plus de 60 points de démérite, lesquels donnent automatiquement lieu à un congédiement. La discipline de vingt points de démérite lui a été imposée pour avoir omis de revoir les procédures d’urgence en cas d’accident (PIU) selon la liste de contrôle de la rencontre avant-départ et la coordination des activités de sécurité selon les attentes du poste de directeur de service. Lors de son congédiement, son dossier disciplinaire s’établissait à 50 points de démérite, pour un total de 70 points au moment de son congédiement.

            La Société affirme que la discipline imposée était pour le même type de violation des règles de sécurité qui a mené à son entente de dernière chance et sa rétrogradation du rôle de directeur des services en mai 2013, pour lequel il avait reçu 15 points de démérite. La Société affirme que la discipline était progressive et non démesurée.

            Pour ces raisons, la Société rejette les prétentions du Syndicat et demande que le congédiement soit maintenu.

                       

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA SOCIÉTÉ :

Directrice locale                                               Conseillère principale, Relations avec les employés

(SGN.) M. Germain                                       (SGN.) B. A. Blair

 

Représentaient la Société :

B. A. Blair                             – Conseillère Principale, Relations avec les  employés, Montréal

D. Rasinger                          – Chef principale, Expérience Client, Montréal

P. Hade                                – Chef, Expérience Client, Montréal

M. Boyer                                           – Conseiller Principale, Relations avec les employés, Montréal

C. Bergeron                          – Chef Principal, Expérience Client, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

M. Germain                          – Directrice locale, Montréal

A. Stephen                            – Représentant régional, Montréal

D. Andru                               – Secrétaire-trésorière, Toronto

K. Rioux                                – Observateur, Montréal

M. Quici                                – Plaignant, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

            Le présent grief se rapporte au congédiement de M. Mario Quici  (« le plaignant ») par la Société le 8 mai 2015. Au moment de son congédiement, le plaignant occupait le poste de directeur des services (« DS ») à bord des trains. Au moment des faits faisant l’objet du grief, et suite à une entente de dernière chance datée du 17 juillet 2013, le plaignant avait cumulé 50 points de démérite à son dossier disciplinaire. L’entente de dernière chance découlait des mêmes infractions pour lesquelles le plaignant a reçu 20 points de démérite dans l’affaire dont je suis saisie.

 

            Les faits pertinents au présent litige sont contestés. Le plaignant nie l’allégation de la Société selon laquelle il n’aurait pas révisé les procédures d’urgence en cas d’accident (PIU) durant la rencontre avant-départ du train 628, le 15 mars 2015, tel qu’il est décrit dans les attentes du poste de directeur des services et selon la liste obligatoire de contrôle de la rencontre avant-départ et la coordination des activités de sécurité.[1]

 

            Les parties s’accordent pour dire que le plaignant avait été avisé à l’avance de la tenue de la rencontre, que celle-ci devait avoir lieu à bord du train et que le superviseur, M. Patrice Hade (« M. Hade »), devait l’aviser lorsque celle-ci débuterait. C’est ce qu’a fait M. Hade et la rencontre a eu lieu. Les notes contemporaines faites par M. Hade suite à la rencontre sont reproduites ci-dessous :

Good briefing by Mario Q. He was in a good mood and at one point he noticed that some of the crew members were not paying attention so he made sure to get their focus back. Mario covered most of the topics on the checklist. However, he did not check the boxes on the list and because of this he forgot some elements. I told Mario that he should have used the pen that was right there on his sheet to avoid missing a topic. I also reminded him that this is now a mandatory document that he must provide with his trip reports. He told me "yes I know. I'm to staple it to my papers." The first element he forgot was the TERP validation with the crew. When I mentioned to him, he told me: "yes. You're right! I will pay special attention to this in the future." And he wrote something next to the item on the checklist. I told Mario that this was a safety failure and that he was putting me in an unpleasant situation because I needed to report that. I told him: "Come on Mario! You're better than this. How can you forget stuff like this?" He replied that it was "… a force of habit" that the alternate was Pierre (Vaillancourt) and that he knew what to do. I told Mario that even if this was true he still had to review the procedure with all the crew and that it was a mandatory safety item on the checklist. He said: "Ah! Come on, you're not going to start with that again!!" But then stated: "Okay. You know what? You're right. I'm not going to argue. I have learned my lesson." It is to be noted that Mario remained calm and polite.

 

He also forgot to review the "Key elements" of both the business class and economy class service.

 

Finally I mentioned to him that he did not talk about the behavioral standard of the day. Mario told me that he did tell his crew to make sure they smile and be nice to pax (and this is true). However, like I told Mario, (and since he was doing a briefing on board) he should take note of the behavioral standard before coming down on the train to ensure he is talking about the right thing. He did agree to do this in the future.

 

I got up and I told Mario to have a good trip and I reminded him that he would need to be met for the failure. I then thanked him for his help in OTTW a few days back (his crew and him were to come back DH on 52 but it was changed to bus service and they had to work) and I left the train.

 

 

            Pendant l’entrevue qui a eu lieu le 15 avril 2015 dans le cadre de l’enquête, le plaignant a nié catégoriquement n’avoir pas utilisé le document de contrôle obligatoire et avoir omis les éléments de sécurité et de service obligatoires dont M. Hade a fait mention. Le plaignant a accusé M. Hade d’avoir fait une fausse déclaration. Lorsqu’on lui a demandé où se trouvait son rapport de contrôle, le plaignant a dit l’avoir complété et l’avoir broché à ses autres documents, mais qu’il l’avait peut-être égaré, comme il y avait beaucoup de papiers, ou qu’il l’avait peut-être laissé sur le comptoir. Le plaignant s’est contredit tout de suite après, déclarant qu’il était absolument certain d’avoir remis les rapports égarés et que c’était la Société qui, comme par hasard, les avait perdus.

 

            Il est important de noter que durant l’enquête, le plaignant avait également déclaré qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire en juillet 2013 pour les mêmes infractions que celles dont il est question dans le présent litige. Il a fait cette déclaration bien qu’il ait signé son consentement à l’entente de dernière chance qui dit clairement qu’il comprend les conditions de l’entente qu’il a signée et les raisons de la mesure disciplinaire imposée.[2]

 

            À l’appui de la dénégation des allégations par le plaignant, le Syndicat fait remarquer que la Société a le fardeau de la preuve et que les quatre autres employés ont corroboré la version des faits selon laquelle le plaignant aurait révisé avec tout l’équipage les procédures d’urgence en cas d’accident en présence de M. Hade. À cette fin, les collègues du plaignant, à savoir M. Pierre Vaillancourt (« M. Vaillancourt »), M. Alexandre Eybalin (« M. Eybalin »), Mme Rebecca Rankin (« Mme Rankin ») et Mme Vesela Velichkova (« Mme Velichkova ») ont présenté de très brèves et vagues déclarations écrites avant que le plaignant n’ait fait sa propre déclaration dans le cadre de l’enquête. Dans les déclarations de M. Eybalin et de Mmes Velichkova et Rankin, chacun des témoins a affirmé qu’il y avait eu en fait deux rencontres avant-départ, la seconde ayant été avec M. Hade, et que M. Vaillancourt n’avait assisté qu’à la seconde rencontre.[3]

 

            La Société a eu un entretien avec les quatre employés le 6 mai 2015. J’ai lu attentivement les déclarations faites par chacun de ces employés. La Société a décrit en détail, dans son dossier, les problèmes soulevés dans chacune des déclarations faites par les collègues du plaignant. Et ces problèmes étaient nombreux. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de les passer en revue ici. J’accepte sans réserve le récit contemporain de M. Hade quant au déroulement de la rencontre avant-départ plutôt que les déclarations faites par le plaignant et ses collègues. En fait, le Syndicat avait admis, au moment de l’audience, qu’il ne pouvait contester l’affirmation de la Société selon laquelle les collègues du plaignant avaient eu d’importants trous de mémoire dans leur version des faits et des incohérences à l’intérieur de leur récit, et qu’ils se contredisaient les uns et les autres. En bref, la preuve corroborant fournie par les collègues du plaignant ne tient tout simplement pas.

 

            En revanche, on constate à l’examen de la déclaration de M. Hade que celle-ci est exhaustive et mesurée, et les déclarations attribuées au plaignant sont compatibles avec celles que l’on serait en droit de s’attendre compte tenu de la situation où se trouve le plaignant, de ses antécédents et de toutes les circonstances.[4] Par ailleurs, ni le plaignant ni le Syndicat n’ont pu expliquer pourquoi M. Hade aurait inventé le récit des faits reproduit plus haut.

 

            Qui plus est, après que le plaignant a eu un entretien concernant l’allégation avancée contre lui, et il savait au moment de l’incident que celle-ci serait obligatoirement signalée, il a fait une allégation de harcèlement contre M. Hade. Bien que la Société ait exigé des détails à ce sujet pour effectuer une enquête conformément à ses politiques, aucun détail n’a été fourni. Le moment qu’a choisi le plaignant pour avancer son allégation de harcèlement est important ici et j’estime qu’il était intéressé. Par ailleurs, la brève remarque inscrite par le médecin dans ses notes datées du 5 juin et du 11 août 2015 indiquant que le plaignant avait présenté des « symptômes évidents de stress sérieux reliés vraisemblablement à une situation de harcèlement au travail » et le référant « en psychologie » est également intéressée. De toute façon, les notes fournies n’ont aucune incidence sur le comportement du plaignant. À part d’appuyer la prétention de la Société à l’effet que ces billets médicaux seraient manipulateurs dans ce dossier, elles ne peuvent vraiment être prises en compte dans l’affaire qui nous intéresse.

 

            En ce qui concerne les remarques que j’ai faites plus haut, je suis convaincue que la Société a prouvé que le plaignant n’a pas révisé les procédures d’urgence en cas d’accident (PIU) durant la rencontre avant-départ du train 628, le 15 mars 2015, conformément aux attentes du poste de directeur des services et selon la liste obligatoire de contrôle de la rencontre avant-départ et la coordination des activités de sécurité.

 

            La Société soutient que le grief n’est pas recevable, le plaignant n’ayant pas respecté son engagement de se conformer à « toutes les dispositions des politiques de VIA » telles que mentionnées dans l’entente de dernière chance. Les motifs évoqués par la Société pour justifier le licenciement du plaignant reposent uniquement sur son évaluation de 20 points de démérite pour les infractions mentionnées ci-dessus, sans mention aucune de l’entente de dernière chance. Je n’ai pas ici à établir si le grief déposé dans l’affaire qui nous intéresse était recevable ou non. En supposant qu’il y avait bien là matière à grief, le plaignant ne peut avoir gain de cause.

 

            Au moment où l’incident est survenu, il y avait 50 points de démérite au dossier du plaignant, et ce en vertu du fait qu’il avait conclu une entente de dernière chance pour les mêmes infractions que je vois répétées dans l’affaire dont je suis saisie. Dans le présent litige, il me faudrait ramener les sanctions imposées par la Société à moins de 10 points de démérite pour réintégrer le plaignant en vertu du système disciplinaire Brown.

 

            Il est vrai que le plaignant est un employé de longue date. Cependant, comme il a été mentionné plus haut, il avait signé une entente de dernière chance pour les mêmes infractions. Il a un lourd dossier disciplinaire. Et, fait particulièrement significatif, le plaignant refuse de reconnaître quelque tort que ce soit. Ce qui me préoccupe tout particulièrement, c’est ce que je considère être de la malhonnêteté de la part du plaignant quand il dit avoir passé en revue les procédures d’urgence comme il devait le faire pendant la rencontre avant-départ, ce qu’il a maintenu malhonnêtement à l’audience, sans compter son effort apparent pour amener ses collègues à corroborer son récit de la rencontre avant-départ. En ce qui concerne ce que j’estime être la version délibérément déformée des faits qu’il a présentée à son employeur, il ne semble avoir aucun remord ni aucune idée de la gravité de ses erreurs. Le plaignant a même été jusqu’à laisser entendre qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait fait l’objet de mesures disciplinaires par le passé, quand ce qu’il avait alors reconnu être une mauvaise conduite avait donné lieu à l’entente de dernière chance. En dernier lieu, l’allégation de harcèlement contre M. Hade et la présentation des remarques du médecin dont il a été fait mention plus haut sont des exemples d’entreprises intéressées qui viennent exacerber ce que je pense de la pertinence d’envisager une modification de la sanction imposée dans cette affaire.  

 

            Compte tenu de toutes ces circonstances, il ne serait pas opportun d’envisager une réduction ou une modification de la sanction pour permettre la réintégration du plaignant dans son milieu de travail. Le plaignant a rompu, par son propre comportement, le lien de confiance avec son employeur et il a ainsi montré que ce lien ne peut être rétabli.

 

            Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

 

 

 

Le 24 février 2016                                                                              L’ARBITRE

                                                                                                               ___________

                                                                                                   CHRISTINE SCHMIDT



[1] Ces documents de sécurité sont vérifiés par Transports Canada lors de ses vérifications (« audits ») des procédures de sécurité sur le chemin de fer.

 

[2] Un examen minutieux de l’enquête qui avait mené à l’entente de dernière chance révèle une similarité frappante avec la façon dont le plaignant répond aux questions de la Société concernant son omission d’aborder tous les éléments de la liste obligatoire de contrôle pendant une rencontre avant-départ. Il a nié catégoriquement avoir fait cette omission et a avancé que le superviseur (pas M. Hade) ne l’aurait pas entendu couvrir tous les éléments de la liste conformément aux exigences. Dans le cadre de cette enquête, le plaignant avait également affirmé que quatre des autres membres de l’équipage corroboraient son récit.

[3] II s’est avéré que M. Eybalin avait envoyé sa déclaration écrite à M. Rankin et à Mme Velichkova avant que ceux-ci n’envoient la leur. Ils ont essentiellement copié la déclaration de M. Eybalin.

[4] Citons à titre d’exemple la réaction initiale du plaignant et le fait qu’il ait changé d’avis concernant sa discussion avec M. Hade, ce qui suggère qu’il avait alors en tête le scénario de 2013 qui avait donné lieu à l’entente de dernière chance. La « disparition » du rapport de contrôle dans les mains du plaignant est compatible avec ce dont M. Hade se souvient, à savoir que le plaignant avait écrit quelque chose à côté d’un élément qu’il avait oublié d’aborder sur la liste de contrôle.