BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO 4463

 

Entendue à Montréal, le xx avril 2016

 

Opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

Et

 

UNIFOR

LITIGE

 

            Appel concernant 25 mauvais points imposés au dossier disciplinaire de M. Éric Clément « pour [son] absence non autorisée et non justifiée du 8 janvier 2015, menant au congédiement de ce dernier pour accumulation de plus de 60 mauvais points ».

            Appel du congédiement de M. Éric Clément « pour avoir tenté de justifier [son] absence du 8 janvier 2015 à l’aide d’un papier médical falsifié, ce qui est considéré comme étant de la fraude ».

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS

           

            Le Syndicat soutient que les mesures disciplinaires imposées sont très excessives et réclame la réintégration avec salaire et bénéfices.

             Le Syndicat soutient que la Compagnie n’a pas respecté l’article 239.1 (1) de la section XIII du Code canadien du travail, puisque cette dernière n’a pas demandé à l’employé de justifier son absence par écrit, mais verbalement.

            Le Syndicat maintient qu’une condition médicale explique le comportement de M. Clément au moment des faits.

            La Compagnie n’est pas d’accord avec la position du Syndicat et a rejeté le grief.

           

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

Représentant régional                                      Conseillère principale, Relations de travail

(SGN.) M. Laroche                                        (SGN.) C. Gilbert  

Représentaient la Compagnie :

C. Gilbert                              – Directrice Relations de travail, Montréal

D. S. Fisher                          – Premier Directeur principal Relations de travail et Stratégie, Montréal

D. Labelle                             – Directeur Principal Intermodal, Montréal

Et représentaient le Syndicat :

M. Germain                          – Représentant régional, Montréal

M. Laroche                           – Representant Regional Quebec, Greenfield Park

A. St-Pierre                           – Vice-president syndical, Montréal

E. Clement                           – Plaignant, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

            Le présent grief se rapporte aux deux congédiements de M. Éric Clément (« le plaignant ») par la Compagnie le 5 février 2015. Au moment de ces congédiements, le plaignant occupait le poste de commis au terminal intermodal de Montréal et avait cumulé 45 points de démérite à son dossier disciplinaire. Toutes les mesures disciplinaires imposées au dossier du plaignant sont reliées à des problèmes d’absentéisme au travail. Dans le présent litige, il me faudrait ramener les sanctions imposées par la Compagnie à moins de 15 points de démérite pour réintégrer le plaignant en vertu du système disciplinaire Brown.

 

            Les faits pertinents au présent litige ne sont pas contestés.

 

            Le jeudi 8 janvier 2015, le plaignant ne s’est pas présenté au travail. À son retour, soit le vendredi 9 janvier 2015, il s’est rendu au bureau de sa supérieure immédiate pour lui remettre un billet médical justifiant son absence de la journée précédente. Celle-ci a conservé le document original et a remis une photocopie au plaignant. Par la suite, la superviseure a examiné de près le billet médical qui lui avait été remis, l’a comparé à des billets précédents et a noté que le billet remis était une photocopie.

           

 

            Pendant sa déclaration officielle du 27 janvier au sujet de son absence du 8 janvier 2015 et du document médical fourni le lendemain, le plaignant a réitéré que le billet médical remis était bien l’original fourni par le médecin le 8 janvier 2015. Le plaignant a expliqué que c’était son médecin qui avait inscrit les dates sur le billet à l'encre, mais que le reste du document était une photocopie. Le plaignant a dit qu’il ne savait pas pourquoi ni la signature du médecin, ni son nom n’avaient été inscrits à l’encre. Le plaignant ne pouvait pas expliquer non plus pourquoi son billet avait été coupé avec des ciseaux. Il a soutenu qu’il avait consulté son médecin le 8 janvier 2015 et a dit être même prêt à aller chercher un autre billet médical.

 

            En fin de compte, la clinique où travaillait le médecin du plaignant était fermée le 8 janvier 2015. Le médecin a confirmé que le plaignant ne s’était jamais présenté à la clinique et que celui-ci avait fourni à la Compagnie un billet médical falsifié pour justifier son absence au travail.

 

            Lors de sa déclaration supplémentaire donnée le 5 février 2015 et devant le témoignage incontestable de la Compagnie, le plaignant a admis avoir remis à son employeur, le 9 janvier 2015, un billet médical falsifié. Il a dit avoir fait cela en raison de « la pression » et qu’il avait « paniqué » quand il n’avait pu rencontrer un médecin le 8 janvier 2015. Il a soutenu qu’il s’était rendu à la clinique le 8 janvier 2015. Or, la clinique est fermée le jeudi.

 

            Si l’on tient compte de ce qui précède, il ne peut être mis en doute que le plaignant a commis l’acte délibéré et intentionnel de déclarer faussement que le billet médical fourni à la Compagnie était valide.

 

            Le Syndicat allègue que la Compagnie n’a pas respecté l’article 239.1 (1) de la section XIII du Code canadien du travail. Il a en effet soutenu que la Compagnie devait demander, par écrit, au plaignant, dans les 15 jours suivant son retour au travail, un certificat médical d’un médecin qualifié attestant qu’il était dans l’incapacité de se présenter au travail pour cause de maladie. D’après le Syndicat, comme les dispositions du Code canadien du travail n’ont pas été respectées, la Compagnie ne peut congédier le plaignant pour avoir fourni un billet médical falsifié.

 

            Par ailleurs, le Syndicat invoque le diagnostic de trouble obsessionnel-compulsif moyennement grave (« moderately severe obsessive compulsive disorder ») posé chez le plaignant en 2010 et pour lequel celui-ci avait été traité en 2010, pour faire valoir que les problèmes psychologiques du plaignant expliquent son comportement au moment des faits. Le trouble médical du plaignant, tel que présenté par le psychiatre, Dr Yves Chaput (la Compagnie a été autorisée par le plaignant à consulter son dossier médical en décembre 2015, soit onze mois après son congédiement), a été décrit comme étant « un trouble obsessionnel compulsif qui est relativement classique ».  

 

            Le psychologue que le plaignant a vu plusieurs fois en 2010 pour le traitement de son trouble obsessionnel-compulsif a écrit une lettre sans destinataire datée du 18 février 2015 et sur laquelle le Syndicat s’est fondé pour étayer sa position. Le psychologue n’avait ni vu ni traité le patient depuis 2010 quand il s’est exprimé en ces termes après avoir décrit la falsification du certificat médical par le plaignant comme un acte commis en désespoir de cause :

I believe Mr. Clement’s inability to go to work regularly, and the events related to his loss of employment, were directly related to his OCD. In retrospect he ought to have sought specialized help to address the increase in ruminations and obsessions before they became critical. 

 

            Pour que le grief soit accueilli au vu des faits non contestés, le Syndicat doit établir que le plaignant n’était pas coupable de l’inconduite en question. Le Syndicat accepte que les arbitres puissent exiger que la preuve médicale offerte atteste un lien entre l’inconduite en question et le trouble médical.

 

            La lettre du psychologue qu’avait consulté le plaignant en 2010 pour le traitement de son trouble obsessionnel-compulsif, en supposant, sans l’affirmer, que celui-ci avait les compétences nécessaires pour se prononcer sur un lien possible entre ce trouble et l’inconduite avouée par le plaignant, n’établit pas ce lien. La lettre ne décrit même pas les symptômes du trouble – la manifestation de gestes rituels tels que vérifier les robinets, les électroménagers, les lumières, etc. – qui seraient compatibles avec la falsification intentionnelle d’un billet médical. Par ailleurs, un diagnostic de trouble obsessionnel-compulsif n’explique aucunement que le plaignant ait menti au cours de la première enquête (qui a eu lieu plusieurs semaines après l’inconduite). Il ne me semble même pas évident que le psychologue a été mis au courant de la conduite du plaignant pendant le cours de l’enquête. Je ne suis simplement pas en mesure d’extrapoler à partir de la preuve qui m’a été présentée que l’inconduite grave du plaignant avait un lien causal avec son trouble obsessionnel-compulsif.

 

            Bien que le Syndicat soutienne que la Compagnie aurait dû envisager un accommodement au travail au lieu de congédier le plaignant, il ne l’a fait qu’après que le plaignant ait été congédié. Il n’y a rien dans le dossier qui m’a été présenté qui puisse donner à penser (même en tenant compte des sanctions disciplinaires qui sont clairement liées à des problèmes d’absentéisme au travail) que le plaignant avait jamais auparavant prétendu qu’il souffrait d’un trouble pour lequel il devait être accommodé. En fait, suite aux congés de maladie pris précédemment par le plaignant, celui-ci est revenu au travail sans qu’aucune restriction ne soit soulevée par son médecin. Ces faits ne font que confirmer dans mon esprit que la « défense médicale » du plaignant avait été soulevée uniquement pour l’exonérer de l’inconduite en cause.

 

            Le Syndicat ne peut alléguer une violation du Code canadien du travail puisque la Compagnie n’avait pas demandé par écrit que le plaignant fournisse un certificat médical d’un médecin qualifié dans les 15 jours suivant son retour au travail. Comme le plaignant avait fourni le certificat médical de son gré, la Compagnie n’a pas eu à le demander par écrit. Cependant, étant donné que ce qui a été soumis par le plaignant ne peut être considéré comme un billet médical, l’article 239 (1) de la section XII n’est pas pertinent ici. Compte tenu des faits de l’espèce, il n’y a pas de motif pour conclure qu’il y a eu infraction au Code canadien du travail.

 

            Le plaignant est un salarié ayant relativement peu d’ancienneté.  Compte tenu de tout ce qui précède, aucune substitution de peine n’est vraiment envisagée dans ce dossier.  Il ne m’appartient absolument pas d’envisager la réintégration du plaignant. Il a commis un acte frauduleux en falsifiant délibérément et intentionnellement un billet médical qu’il a fourni à la Compagnie. Au cours de la première enquête du 27 janvier 2015, quand le plaignant s’est vu donner l’occasion de justifier son absence du 8 janvier, il a préféré mentir à son employeur et continuer de soutenir qu’il avait consulté son médecin le 8 janvier 2015 et que le billet médical était légitime. Son inconduite porte atteinte aux relations employeur-employé.

 

            Ce qui me préoccupe particulièrement, c’est que le plaignant ne semble avoir aucun remord ni aucune idée de la gravité de son inconduite et qu’il a plutôt choisi de soutenir une invraisemblable « défense médicale » sans lien avec son inconduite. Cette défense n’est qu’une tentative malavisée d’éviter l’inexorable conclusion qu’il est responsable de sa grave inconduite. Il est donc impossible de concilier l’inconduite du plaignant avec sa réintégration au sein de la Compagnie.

 

            Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

 

 

Le 29 avril, 2016                                                                                L’ARBITRE

 

                                                                                                                                   

                                                                                                   CHRISTINE SCHMIDT