BUREAU D’ARBITRAGE ET MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO. 4465

 

Entendue à Edmonton, le 10 mai 2016

 

Opposant

 

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

 

 

LE LITIGE :

 

            La Compagnie prétend que trois griefs soumis au nom de Jean-Philippe Duchemin sous le couvert de trois exposés de faits distincts pour des sanctions disciplinaires émises relativement à des incidents survenus entre aout 2014 et janvier 2015 inclusivement sont prescrits.

            Le Syndicat soutient que l’arbitre de griefs doit prolonger les délais en vertu de l’article 60 (1.1) du Code canadien du travail.

 

LES REPRÉSENTANTS :

La Compagnie :

A.  Daigle                                        – Directrice en relations de travail, Montréal

D. Brodie                                        – Directeur en relations de travail, Edmonton

 

Le Syndicat :

S. Beauchamp                               – Avocat, Montréal

D. Joannette                                   – Président général, Québec

 

 

 

 

 

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE SUR OBJECTION PRÉLIMINAIRE

 

 

            En l’espèce, les faits sont simples et non contestés. Le Syndicat a omis d’agir à l’étape 2 de la procédure de règlement des griefs (article 84.2 b) de la convention collective). En pareil cas, le différend est alors considéré comme résolu et ne peut plus faire l’objet d’un appel (article 84.5 de la convention collective). Le Syndicat reconnait qu’il y a eu négligence de la part de l’un de ses commettants et lorsqu’il a découvert la situation, il a demandé au vice-président local alors responsable du dossier de M. Duchemin, de démissionner, ce qu’il a fait.

 

            Une plainte en vertu de l’article 37 du Code canadien du travail (ci-après appelé le « Code ») est déposée auprès du Conseil canadien des relations industrielles. Ledit Conseil décide le 7 janvier 2016 de reporter la décision en vertu de l’article 37 du Code, puisque le litige peut être réglé en arbitrage en vertu de l’article 60. (1.1) du Code. Cet article stipule :

« L’arbitre ou le conseil d’arbitrage peut prolonger tout délai – même expiré – applicable aux procédures de grief ou à l’arbitrage prévu par la convention collective s’il est d’avis que la prolongation est justifiée et ne porte pas atteinte indûment aux droits de l’autre partie. »[1]

 

            Dans une affaire très semblable à celle-ci, l’arbitre Piché a jugé que la gravité des effets du défaut de respecter les délais de rigueur, en l’occurrence la perte d’emploi, combinée à l’exercice d’un recours en vertu de l’article 37 du Code constituait en soi une justification au sens de l’article 60. (1.1) dudit Code :

"The Code does not, it should be stressed, require that the Union provide a reasonable explanation or a reasonable excuse for the delay so as to prompt an arbitrator to extend the time limits. The question for the arbitrator is whether overall there are « reasonable grounds » to grant such an extension, coupled with the question of whether an extension would prejudice the opposite party. In assessing the question of reasonable grounds, some weight must be given to the nature of the grievance, which in the instant case relates to the discharge of an employee. The substantial consequence of a discharge is of itself a consideration of some importance in assessing whether there are grounds for the extension of time limits. When the question is so framed, considering that a discharge is involved coupled with a CRIB complaint, I am compelled to conclude that on the facts of the instant case reasonable grounds for an extension of the time limits are made out."[2]

 

            Les trois griefs visés par la présente demande de prolongation concernent trois mesures disciplinaires imposées par l’Employeur à l’égard d’incidents survenus entre août 2014 et janvier 2015. La première mesure a entrainé l’imposition de 10 points, la deuxième, 20 points et la troisième, 10 points.

 

            Par la suite, selon le dossier disciplinaire mis en preuve, le salarié a été suspendu sans solde et a perdu 25 mauvais points pour une autre faute commise peu de temps avant la fin de son emploi. Enfin, le salarié est congédié notamment en raison du fait qu’il a accumulé plus de 60 mauvais points (75 points).

 

            Les mauvais points accumulés à la suite des incidents visés par la présente demande ont donc été considérés pour imposer un congédiement selon le système Brown. À cet effet, l’Employeur soutient toutefois que la présente instance ne peut prolonger les délais puisque les mesures ne conduisent pas de par leur nature à un congédiement et de surcroit qu’au moment de leur imposition, le congédiement n’était pas envisagé. Ainsi, en recourant au recours prévu par le Code, le Syndicat cherche à étendre la portée du congédiement.

 

            Il va sans dire que les mesures disciplinaires visées par la présente demande n’ont pas été sanctionnées par un congédiement, mais l’on doit à mon humble avis, en apprécier la portée ou la nature en tenant compte de leurs effets à l’intérieur du système disciplinaire applicable. Toutes et chacune de ces mesures s’inscrivant dans un continuum. Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que la validité présumée des mesures ou d’une combinaison de celles-ci a permis de passer au congédiement par le cumul des mauvais points.

 

            Ainsi, il est en l’espèce, manifeste que le refus de prolonger les délais prescrits à la convention collective équivaudrait à priver un salarié de présenter une défense pleine et entière à l’égard d’une mesure significative, soit un congédiement.

 

            Toutefois, et avec raison, l’Employeur rappelle que les délais prescrits dans la convention collective sont de rigueur et la simple négligence d’un représentant syndical ne constitue pas une raison valable ou une explication raisonnable pour être exempté des paramètres clairs édictés à l’article 84.5 de la convention collective et qui ont été de surcroit amplement reconnus par la jurisprudence.[3] Ainsi, selon ces dispositions, les conséquences de la négligence du Syndicat sont claires et fatales, les mesures doivent être considérées comme résolues, ce qui est le cas en l’espèce.

 

            Toutefois, tout en reconnaissant que le respect des délais de rigueur de la procédure de règlement des griefs constitue une composante déterminante du processus retenu par les parties, le présent tribunal doit aussi tenir compte du libellé de l’article 60. (1.1) du Code et de la jurisprudence rendue à ce jour. Comme l’arbitre Picher l’a souligné[4], au soutien d’une demande de prolongation effectuée en vertu de cette disposition, le législateur n’exige pas dans tous les cas une explication ou une excuse raisonnable du comportement du Syndicat, il suffit de démontrer un motif raisonnable au soutien de la justification et que celle-ci ne porte pas indûment préjudice à l’autre partie.

 

            Quant au préjudice, l’Employeur soulève essentiellement les effets habituels de l’écoulement du temps, en l’occurrence cinq à dix mois. Il soutient qu’il ne peut plus présenter une défense pleine et entière, la mémoire étant une faculté qui oublie avec le temps. Il souligne aussi que l’un de ses principaux témoins est depuis parti à la retraite et l’autre a quitté l’entreprise.

 

            Il est bien reconnu que la justice est mieux desservie lorsque l’enquête ou l’audition a lieu à un moment rapproché des évènements donnant naissance au litige. Par ailleurs, il n’est pas toujours possible d’agir avec célérité et il existe des moyens permettant de pallier à cette réalité, dont la tenue d’une enquête interne. En l’espèce, il a été démontré que l’Employeur a effectué une enquête avant d’imposer les mesures disciplinaires visées par la présente demande et même que cette enquête a été utilisée par le Syndicat dans son appréciation des mesures disciplinaires imposées par l’Employeur. Ce dernier a donc déjà recueilli l’essentiel des faits et le préjudice résultant du défaut du Syndicat est donc en partie réduit. 

 

            Aussi, il n’est pas inhabituel qu’à l’étape de l’audition, une partie soit obligée d’appeler comme témoin une personne ayant quitté l’entreprise. Ce dernier préjudice résultant du départ de témoins clés m’apparait peu significatif puisque l’Employeur se serait retrouvé dans la même situation si le cours normal de la procédure de règlement de griefs avait été intégralement respecté. L’écoulement du temps entraine donc inévitablement un préjudice pour l’Employeur mais celui-ci est en l’espèce peu significatif surtout lorsque ce dernier est comparé au préjudice que le salarié subirait du refus intégral de la présente demande.

 

            En somme, vu l’importance de la portée des griefs sur le processus disciplinaire et surtout sur l’appréciation de la mesure ultime qu’est le congédiement, vu le préjudice minime que l’Employeur subira d’une prolongation de délais et de l’issue probable du recours suspendu (article 37 du Code) auprès du Conseil canadien des relations industrielles (retour à l’arbitrage desdits griefs), j’estime que la demande de prolongation est, compte tenu des circonstances exceptionnelles et propres à cette affaire, justifiée.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

REJETTE l’objection préliminaire de la Compagnie;

 

PROLONGE les délais relativement aux trois griefs visés par la présente sentence en vertu de l’article 60. (1.1) du Code;

 

ORDONNE que lesdits griefs soient entendus en même temps que le grief contestant le congédiement au cours du mois de juillet 2016.

 

May 16, 2016                                                                                                               L’ARBITRE

                                                                                                                                                 _____

                                                                                                                         MAUREEN FLYNN

 



[1]   Jean-Philippe Duchemin et Conférence Ferroviaire de Teamsters Canada et Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada, 2016 CCRI 805.

[2]   Voir affaire CROA&DR 4017.

[3]    Voir notamment CROA&DR 1233, 1799, 3788, 3789, 3790.

[4]   Voir CROA&DR 4017.