BUREAU D’ARBITRAGE ET MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO. 4465-B

 

Entendue à Edmonton, le 13 juillet 2016

 

Opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE :

            Sanction attribuée au dossier de monsieur Jean-Philippe Duchemin à compter du 14 septembre 2014.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Le 18 septembre 2014, monsieur Duchemin est tenu de produire une déclaration pour le « talonnage de l'aiguillage S257 nord alors que vous étiez agent de triage sur l'affectation YGS 60 le 14 septembre 2014 ». Suite à cette enquête, la Compagnie lui impose 20 mauvais points.

            Il est à remarquer que ce grief n'a pas fait l'objet d'un appel au stade 2 de la Procédure de règlement des griefs dans les délais prescrits en raison d'un manquement de la part du représentant syndical intérimaire, mais fut présenté par le président du Comité local d'ajustement à son retour en poste.

            Malgré les explications fournies par monsieur Duchemin lors de son investigation, le Syndicat soumet que la Compagnie n'a pas tenu compte de toutes les circonstances atténuantes entourant cet incident, que la sanction est trop rigoureuse et en demande la radiation. Le Syndicat demande respectueusement à l'Arbitre d'entendre la cause.

            La Compagnie rejette la demande du Syndicat.

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :

Président, Comité général d'ajustement         titre

(SGN.) D. Joannette                                           (SGN.)

 

Représentaient la Compagnie :

A.    Daigle                                       – Directrice Relations de Travail, Montréal

O. Lavoie                                        – Directeur Relation de Travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

S. Beauchamp                               – Avocat, Montréal

D. Joannette                                   – Président Général, Québec

J. P. Duchemin                              – Employé, Shawinigan

SENTENCE ARBITRALE

 

            Le 16 mai 2016, j’ai rejeté l’objection préliminaire relative au non-respect des délais prévus à la procédure d’arbitrage et la soussignée a donc compétence pour disposer du litige sur le fond[1].

 

            Le plaignant, employé depuis 2013, est chef de train et est affecté à la gare de triage de Garneau.

 

            Comme le décrit la Compagnie, l’incident est survenu le 14 septembre 2014. Le plaignant et M. Samuel Jacob travaillaient sur l’affectation YGUS60 au triage Garneau. Au moment des évènements, l’équipe effectuait des manœuvres au sud du triage. Ainsi, alors que l’équipe poussait un groupe de cinq wagons du sud vers le nord sur la voie S257, le talonnage s’est produit. La voie était presque bondée au moment de cette manœuvre et l’aiguillage au nord n’était pas orienté pour cette voie. Pour ajouter des wagons additionnels, l’équipe devait pousser sur les wagons déjà sur la voie. Le mouvement de pousse a fait en sorte que le dernier wagon au nord s’est déplacé au-delà de l’extrémité de la voie, talonnant par le fait même l’aiguillage mal orienté.

 

            La Compagnie conclut que le talonnage résulte du non-respect de la règle 15 qui édicte notamment :

« 115. POUSSE DU MATÉRIEL ROULANT

(a) Lorsqu’un matériel roulant est poussé par une locomotive ou qu’il est précédé d’une locomotive télécommandée sans personnel de cabine, un membre de l’équipe doit être posté sur le véhicule de tête ou au sol, de façon à pouvoir observer la voie à utiliser et donner les signaux ou les instructions nécessaires pour diriger le mouvement.

Exception : Un membre de l’équipe n’a pas besoin de se poster de la sorte lorsqu’il est confirmé que la portion de voie à utiliser est libre. […]

 

b) L’expression « lorsqu’il est confirmé que la voie est libre » désigne le fait d’observer la portion de voie à utiliser et de s’assurer qu’elle est, et restera, libre de matériel roulant et qu’elle offre assez de place pour accueillir le matériel roulant qu’on s’apprête à y pousser. Cette constatation doit être faite par un employé qualifié observant la voie et disposant d’un contact radio avec la personne chargée de diriger le mouvement. »

 

            Par ailleurs, à la lumière des explications fournies au cours de l’enquête, la Compagnie conclut que l’équipe constituée de M. Jacob et du plaignant ignorait si la voie pouvait accueillir les wagons qu’ils s’apprêtaient à y pousser et que celle-ci aurait dû faire protéger son mouvement requis par le chef de triage. La Compagnie ajoute que l’équipe aurait pu marcher jusqu’au nord pour s’assurer que le dernier wagon n’occuperait pas le point d’obstruction une fois le mouvement complété ou faire appel au chef de triage. Vingt points de démérite ont été imposés au plaignant et à son coéquipier, M. Jacob.

 

            De son côté, le Syndicat explique que les membres de l’équipe se sont réparti les tâches avant le début de l’opération. Il a été alors convenu que le contremaitre, M. Jacob, ferait le mouvement de pousse et que pendant ce temps, le plaignant se dirigerait vers les aiguillages S252 et S253 afin d’effectuer d’autres manœuvres. Ainsi, pendant le mouvement de pousse effectué par M. Jacob, le plaignant ne pouvait voir l’opération, se dirigeant vers une direction opposée. Il ne pouvait donc intervenir, M. Jacob assumant, selon la répartition convenue, toute la responsabilité de l’opération. 

 

            Le Syndicat prétend que le plaignant a essentiellement été puni au même titre que M. Jacob pour la seule et unique raison qu’il faisait partie de la même équipe. À cela, la Compagnie réplique que le plaignant a été puni en raison de son inaction, il aurait dû prévenir ou réagir, étant membre de l’équipe.

 

            Dans une affaire comportant certains faits similaires, l’arbitre Picher a annulé la sanction imposée à un employé, jugeant qu’il n’avait commis aucune faute dans le cadre d’une opération de mouvement de wagons :

 « La preuve devant moi démontre que M. Bouthiller était situé loin du point de collision, d’où il envoyait des wagons à son confrère de travail, M. Bruno Fillion. Ce dernier était en mesure de s’assurer que les wagons qu’il plaçait dans les voies de triage étaient sécuritaires. Le fait que certains d’entre eux ont pu rouler et sortir de la voie AS 10 n’était nullement visible à M. Bouthillier et était clairement hors de son contrôle. Ces wagons étaient alors uniquement sous le contrôle de M. Fillion.

 

Je dois accueillir la position plaidée par le procureur syndical. Dans les faits, M. Bouthillier n’a commis aucune faute et n’a contribué au mouvement des wagons, ce qui a contribué à la collision. Les wagons en question étaient entièrement sous le contrôle de M. Fillion. »[2]

 

 

            Je retiens de la preuve que le plaignant a respecté la répartition de travail convenue, et qu’il était en conséquence impossible pour ce dernier d’intervenir comme membre de l’équipe au cours de l’opération de mouvement entièrement pilotée par M. Jacob. La preuve a démontré que le plaignant ne pouvait dans les faits agir, n’ayant aucune vue sur l’opération, et ce en raison de sa position dans la gare de triage conformément à la répartition de travail convenue. Dans ces circonstances, l’on ne peut faire partager la responsabilité de l’opération par un membre de l’équipe qui était dans l’impossibilité d’agir notamment en raison de la répartition de travail arrêtée.

 

            Pour tous ces motifs, j’estime que l’Employeur n’a pas démontré que le plaignant a dans les faits commis une faute et la sanction imposée doit être annulée et être retirée du dossier du plaignant, ce qui réduit le nombre de points de démérite à 55. Ainsi, l’annulation de cette mesure entraine la réintégration du plaignant, ce dernier ayant été congédié par l’effet cumulatif de points de démérite.

 

            Je réserve compétence en cas de difficulté dans la détermination du quantum ou de l’application de cette sentence, notamment à la lumière de la décision prise lors de la conférence téléphonique tenue en décembre 2015.

 

Le 20 juillet, 2016                                                                                                        L’ARBITRE

                                                                                                                        ________________

                                                                                                                         MAUREEN FLYNN

 



[1]   Voir CROA 4465.

[2]   CROA&DR 4301; Voir aussi CROA&DR 3905.