BUREAU D’ARBITRAGE ET MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE NO. 4465-C

 

Entendue à Edmonton, le 13 juillet 2016

 

Opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE :

            Sanction attribuée au dossier de monsieur Jean-Philippe Duchemin à compter du 13 janvier 2015.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

            Le 23 janvier 2015, soit dix (10) jours suivant l'incident, monsieur Duchemin est tenu de produire une déclaration pour sa « supposée violation de la règle 104 du REFC lorsque vous agissiez comme chef de train sur le YGUS30 le 13 janvier 2015 ». Suite à cette enquête, la Compagnie lui impose 10 mauvais points.

            Il est à remarquer que ce grief n'a pas fait l'objet d'un appel au stade 2 de la Procédure de règlement des griefs dans les délais prescrits en raison d'un manquement de la part du représentant syndical intérimaire, mais fur présenté par le président du Comité local d'ajustement à son retour en poste.

            Le Syndicat soumet que malgré la persistance avec acharnement de l'agent-enquêteur lors de la déclaration de monsieur Duchemin, les renseignements recueillis n'ont aucunement démontré sa culpabilité hors de tout doute.

            Le Syndicat demande l'annulation de la sanction de 10 mauvais points attribuée au dossier de monsieur Duchemin et demande respectueusement à l'Arbitre d'entendre la cause.  

            La Compagnie rejette la demande du Syndicat.

 

POUR LE SYNDICAT :                                       POUR LA COMPAGNIE :

Président, Comité général d'ajustement        

(SGN.) D. Joannette                                           (SGN.)

 

Représentaient la Compagnie :

A.    Daigle                                       – Directrice Relations de Travail, Montréal

O. Lavoie                                        – Directeur Relation de Travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

S. Beauchamp                               – Avocat, Montréal

D. Joannette                                   – Président Général, Québec

J. P. Duchemin                              – Employé, Shawinigan

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

            Le 16 mai 2016, l’objection préliminaire relative au non-respect des délais d’arbitrage a été rejetée et la soussignée a donc compétence pour disposer du litige[1].

 

            Le plaignant a peu d’expérience de travail accumulée, ayant débuté en 2013. Il est chef de train à la gare Garneau.

 

            La Compagnie juge que le 13 janvier 2015, le plaignant a omis d’observer les pointes de l’aiguillage en violation de la Règle 104. Dix points de démérite lui sont imposés et ces derniers s’ajoutent à trente points de démérite accumulés à son dossier. En particulier, la Compagnie affirme que le plaignant a enfreint le paragraphe b) de la règle 104 qui stipule :

 « Sauf pendant la manœuvre des ses aiguilles, chaque aiguillage doit être immobilisé au moyen d’un dispositif approuvé. Après avoir manœuvré un aiguillage, il faut en examiner les aiguilles et observer la cible, le réflecteur ou le feu, s’il y en a un, pour s’assurer que l’aiguillage est bien orienté pour l’itinéraire à suivre. »

 

 

            La décision prise par la Compagnie repose essentiellement sur la déclaration écrite suivante et soumise par le superviseur Houle et dans laquelle il relate :

 « J’ai observé M. Jean-Philippe Duchemin, lors de ces manœuvres dans le triage de Garneau.

     Lors de ces manœuvres, M. Duchemin a manœuvré des aiguillages à plusieurs reprises. M. Duchemin a respecté la règle 104 du REFC lors de ces manœuvres à l’exception d’une fois.

     M. Duchemin a manœuvré l’aiguillage du S257 sans vérifier les pointes des aiguilles pour s’assurer qu’elles étaient bien collées contre le rail. J’ai vu que M. Duchemin a légèrement tourné son regard vers les pointes par la suite, cependant un wagon avait déjà été envoyé par lancement vers cette aiguillage. Lorsque l’employé a tourné l’aiguillage S257, il était de dos à cette aiguillage.

     J’ai rencontré M. Duchemin pour avoir une discussion sur la sécurité. J’ai avisé M. Duchemin de l’importance de bien respecté la règle 104 et de l’observation que je venais de faire. M. Duchemin m’a démontré qu’il comprenait très bien l’importance de cette règle et il m’a dit qu’il portera d’avantage attention à cette règle à l’avenir pour éviter une distraction. M. Duchemin a très bien coopérer lors de notre conversation et n’a pas contrarié les faits.

     M. Duchemin a par la suite été observé à nouveau lors de ces manœuvres et a bien respecté la règle 104 du REFC. » [Reproduit tel quel]

 

 

            Par ailleurs, la Compagnie retient la version du superviseur au détriment de celle du plaignant quant au moment où il a confirmé l’itinéraire. Durant l’enquête, le  plaignant a contredit la version du superviseur, en déclarant avoir confirmé l’itinéraire avant que les wagons aient été lancés. Le plaignant s’est expliqué comme suit :

« R. Le mouvement était en marche avant, soit en direction Nord (vers moi), mais aucun wagon  n’a été lancé avant ma confirmation. »

 

 

            La Compagnie souligne que la version du plaignant fournie à l’enquête est invraisemblable, qu’il se contredit lui-même, en déclarant que les wagons étaient en mouvement vers lui tout en prétendant que lesdits wagons n’avaient pas été lancés. La séquence devant être inévitablement l’inverse. Le mouvement des wagons ne pouvant résulter que d’un lancement. Ainsi, selon la Compagnie, ce fait corrobore la version du superviseur. De son côté, le Syndicat prétend que le tribunal doit privilégier la version du plaignant fournie à l’audition au détriment de celle du superviseur qui n’est pas venu témoigner.

 

            Aux fins de l’appréciation de la preuve, en plus des critères habituels, il faut à mon humble avis, tenir compte des règles particulières entourant l’administration de la preuve et propres au secteur ferroviaire. Selon ces dernières, la preuve repose avant tout sur les déclarations fournies en cours d’enquête et tout autre document pertinent à cet effet et déposé par les deux parties. Il va sans dire que les parties peuvent inviter à l’audition des témoins qu’elles estiment incontournables, et ces derniers peuvent témoigner, mais ces derniers témoignages constituent un complément à la preuve déposée avec les prétentions des parties.

 

            Cela dit, à moins qu’il ne soit mis en preuve un fait démontrant d’une manière non équivoque la mauvaise foi du représentant de l’Employeur, la déclaration de ce dernier produite d’une manière concomitante à la survenance des évènements devrait être favorisée surtout dans les cas où celle-ci est dans son ensemble corroborée par la preuve. La collaboration et l’absence de contestation de la part du plaignant au moment de la survenance des évènements peuvent aussi servir d’indice de la véracité du rapport du représentant de l’Employeur et de sa valeur probante. Ce qui a été le cas en l’espèce.

 

            D’ailleurs, au cours de l’audition, le plaignant a mimé l’opération et a confirmé avoir regardé de biais les pointes comme l’a déclaré le superviseur « (il a) légèrement retourné sa tête par la suite vers les pointes, cependant un wagon avait déjà été envoyé par lancement vers cette aiguillage ». Je favorise donc la déclaration du superviseur au détriment de celle du plaignant qui avait manifestement, au cours de l’enquête, intérêt à se protéger, ayant à ce moment 40 points de démérite accumulés dans son dossier.    

     

            Enfin, le Syndicat a prétendu que le plaignant a été discipliné à deux reprises, une fois avec le dépôt de la déclaration du superviseur et une autre fois avec l’imposition des mauvais points. Avec respect, je ne peux souscrire à cet argument. Ladite déclaration n’a pas été émise à l’attention du plaignant et ne comporte aucunement les éléments usuels que l’on retrouve dans une lettre d’avertissement ou de réprimande. Il s’agit d’une démarche administrative interne qui a entrainé un processus disciplinaire.    

 

            Vu l’ensemble des circonstances propres à cette affaire et la valeur probante de la déclaration du superviseur et en l’absence de jurisprudence démontrant que ladite mesure retenue par la Compagnie se situe à l’extérieur des balises habituelles pour une telle sanction, la décision de la Compagnie est maintenue.

Le grief est donc rejeté.

 

Le 20 juillet, 2016                                                                                                        L’ARBITRE

                                                                                                                        ________________

                                                                                                                         MAUREEN FLYNN

 



[1]   Voir BAMCFC 4465.