BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE No 4515

 

Entendue à Montréal, le 13 décembre 2016

 

Concernant

 

VIA RAIL CANADA INC.

 

Et

 

UNIFOR

 

LITIGE :

 

1.    Monsieur Lavoie (le plaignant) occupe un emploi chez Via Rail depuis le 22 juillet 1987.

2.    Le plaignant a subi une enquête le 18 octobre 2015 pour obtenir la version des faits de Monsieur Lavoie quant à une possible fraude en lien avec des heures réclamées et les heures réelles travaillées.

3.    Monsieur Lavoie a subi une enquête supplémentaire le 26 octobre 2015 pour que la Société obtienne des éclaircissements à la suite de certaines réponses que le plaignant a fournies lors de l’enquête précédente et pour présumé vol de temps entre le 20 août 2015 et le 3 septembre 2015.

4.    Suite aux enquêtes, 60 points de pénalisation ont été donnés à Monsieur Lavoie.

5.    Avant les enquêtes, 5 points de pénalisation figuraient au dossier du plaignant.

6.    Le plaignant a été congédié le 9 novembre 2015 pour accumulation de mauvais points.

7.    Le Syndicat réclame la réintégration de Monsieur Lavoie au travail avec pleine compensation de façon rétroactive.

8.    La Société maintient le congédiement.

           

EXPOSÉ DES FAITS DU SYNDICAT :

1.    Le Syndicat soutient que la Société n’a pas respecté la convention collective quant aux délais de décision suite à une enquête.

2.    La Société prétend être en conformité avec l’article 24.2 de la convention collective no 1.

3.    Le plaignant mentionne avoir des problèmes de consommations et a demandé de l’aide à Société (sic). Le Syndicat considère la maladie de monsieur Lavoie comme un facteur atténuant et à être pris en considération par la Société.

4.    La Société rejette cet argument.

5.    Le Syndicat soulève qu’il existe des lacunes dans la gestion du temps dans le département. La mesure disciplinaire et abusive en l’absence de progression des sanctions.

6.    La Société rejette cet argument.

 

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

Directrice locale

(SGN.) M. Germain                                       (SGN.)

Représentaient la Compagnie :

W. Hlibchuk                          – Avocat, Norton Rose, Montréal

M. Boyer                               – Conseillère, Relations avec les employés, Montréal

C. Cadotte                            – Conseillère, Rémunération globale, Montréal

Et représentaient le Syndicat :

M. Germain                          – Directrice locale, Montréal

M. Laroche                           – Représentant régional, Conseil 4000, Montréal

K. Campeau                         – VP unité VIA, Local 4004, Montréal

J. S. Lavoie                          – Travailleur, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

Introduction

 

1.            À l’automne 2015, VIA a imposé 60 mauvais points et a congédié M. Jean-Sébastien Lavoie pour « fraude », incluant un prétendu vol de temps. VIA prétend que M. Lavoie a falsifié ses formulaires de pointage et, de plus, a réclamé du temps supplémentaire pour des heures qu’il n’a pas travaillées.

 

2.            Unifor a contesté le congédiement en soulevant, entre autres choses, une prétendue violation par VIA du délai de 21 jours prévu à l’article 24.2 de la convention collective, ainsi qu’un prétendu défaut de ne pas avoir fourni à M. Lavoie une mesure d’accommodement.

 

3.            Pour les motifs suivants, Unifor a réussi à démontrer qu’une suspension devrait remplacer le congédiement de M. Lavoie.

 

 

Faits pertinents

 

4.            VIA a engagé M. Lavoie le 22 juillet 1987. Avant la tenue des événements de 2015 qui nous concernent, M. Lavoie n’avait que 5 mauvais points à son actif dans son dossier personnel (Soumission du syndicat (S-1); Onglet 7).

 

5.            La preuve n’est pas contestée qu’entre le 20 août et le 6 octobre 2015, VIA a trouvé presque 20 anomalies reliées aux formulaires de pointage de M. Lavoie, y compris une demande de temps supplémentaire le 1er octobre. Par lettre en date du 15 octobre 2015, M. Lavoie a admis ses torts, s’est engagé à rembourser les sommes versées en trop et a soulevé un prétendu problème de drogue (Soumission de l’employeur (E-1); Onglet 7).

 

6.            Le 18 octobre 2015, l’enquête a procédé à la déclaration de M. Lavoie. Ce dernier a reconnu encore ses défauts (Déclaration; Q&R 11). M. Lavoie a aussi mentionné qu’il était dépendant des drogues depuis 4 ou 5 ans. En réponse à une question de l’enquêteur, M. Lavoie a indiqué qu’il n’y avait pas d’autres anomalies du même genre pour des périodes antérieures.

 

7.            Le 20 octobre 2015, VIA a envoyé un deuxième avis de convocation à une enquête à propos d’une période antérieure. Lors de cette rencontre en date du 26 octobre, M. Lavoie a reconnu avoir menti en ce qui concerne d’autres anomalies.

 

8.            VIA affirme que, dès le 26 octobre 2015, il a imposé 60 mauvais points et a congédié M. Lavoie (Soumission de l’employeur (E-1); paragraphe 31). Unifor prétend toutefois que M. Lavoie a été congédié le 9 novembre 2015. La date du congédiement devient importante étant donné l’argument d’Unifor à propos du délai de 21 jours dans la convention collective.

 

VIA a-t-il respecté le délai obligatoire dans l’article 24.2 de la convention collective?

 

9.            Unifor est d’avis que VIA n’a pas respecté le délai de 21 jours civils contenu dans la convention collective. Le délai aurait expiré le 8 novembre 2015. M. Lavoie a rempli sa première déclaration le 18 octobre 2015 et aucune mesure disciplinaire n’a été imposée dans les 21 jours civils suivants. Selon Unifor, VIA n’a congédié M. Lavoie que le 9 novembre 2015.

 

10.         L’article 24.2 de la convention collective exige qu’une décision soit rendue « dans les vingt et un (21) jours civils qui suivent la date à laquelle l’employé a fait sa déclaration ». Une mesure disciplinaire serait « sans objet » si elle n’est pas imposée dans les 21 jours de la date à laquelle a été faite la déclaration de l’employé.

 

11.         L’extrait pertinent de l’article 24.2 se lit ainsi en français et en anglais :

La décision est rendue dans les vingt et un (21) jours civils qui suivent la date à laquelle l’employé a fait sa déclaration. Toute mesure disciplinaire est sans objet si elle n’est pas imposée dans les 21 jours de la date à laquelle a été faite la déclaration de l’employé.

 

The decision will be rendered within 21 calendar days from the date the statement is taken from the employee being investigated. No discipline will apply if discipline is not assessed within 21 days from the date the statement is taken.

 

12.         L’arbitre accepte la position d’Unifor que M. Lavoie n’a pas été congédié avant le 9 novembre 2015.  Le document de VIA intitulé « Mesure Disciplinaire » (Soumission du syndicat (S-1); Onglet 7) n’a été préparé que le 9 novembre 2015. Ce document indique que le congédiement de M. Lavoie est entré en vigueur le 26 octobre 2015.

 

13.         Toutefois, l’arbitre n’a pas trouvé de preuve à l’effet que VIA aurait informé M. Lavoie de son congédiement avant le 9 novembre 2015.

 

14.         Pendant l’audience, l’arbitre, en faisant référence à une autre décision, aurait demandé des soumissions supplémentaires à propos du délai en question. Le 16 décembre 2016, VIA a ajouté les commentaires suivants :

Étant donné ce fait, nous n’avons pas de représentations à faire quant à CROA 4500, autre que de répéter les arguments que nous vous avons présentés mardi dernier, soit qu’il faudrait prendre une analyse contextuelle de l’article 24.2 afin d’arriver à une conclusion logique, soit que les 21 jours devraient commencer à la fin de l’enquête de l’employeur. Si dans ce cas-ci, il y a eu une déclaration supplémentaire due aux réponses données par l’employé pendant la première déclaration, les 21 jours devraient commencer suivant la fin de la dernière déclaration de l’employé, laquelle dans ce cas-ci était le 26 octobre 2015. Suivant cette logique, l’argument du syndicat que la discipline devrait être sans objet est elle-même sans objet.

 

15.         Unifor n’a pas ajouté à ses arguments déjà bien détaillés dans son mémoire (Soumission du syndicat (S-1)).

 

16.         Pour les fins du calcul des 21 jours dans l’article 24.2, il est évident qu’une mesure disciplinaire ne peut être imposée à l’insu de l’employé et de son syndicat. L’arbitre accepte donc la position d’Unifor que M. Lavoie, à leur connaissance, a été congédié le 9 novembre.

 

17.         La question se pose donc : Comment appliquer l’article 24.2 quand les réponses de l’employé nécessitent une enquête et une déclaration supplémentaire? Dans SHP 563, l’arbitre Picher a dit ceci :

This Arbitrator does not dispute anything said by Arbitrator Weatherill in SHP 139. It is evident, however, that Arbitrator Weatherill acknowledged that there might well be circumstances where the Company is entitled to properly convene a supplemental examination. That is precisely what occurred in the case at hand. The fundamental defence raised by Mr. Harrison at the continuation of the investigation on May 31, 2002 was to the effect that supervisors had in past given him permission to leave the work premises, and that they had done so at least on one occasion involving the need to return his friend’s van keys. It is on that basis that further information was obtained from the seven supervisors, and the investigation was re-convened on June 11, 2002, at which time the grievor was given the opportunity to rebut the statements of the supervisors.

 

The case at hand discloses a course of event in which the Company learned different information at various stages of the investigation process and, quite properly, made efforts to obtain information and to give the grievor the opportunity to respond to that information at a supplementary investigation. Unfortunately, the truth emerged only from beneath successive layers of falsehood. In essence, therefore, there was a single continuous investigation caused in no small measure by the grievor’s initial failure to tell the truth, a fact evident from his own admission. In the circumstances the Arbitrator is satisfied that the Company did not violate the spirit or the letter of rule 28.3 by extending the investigation process. This is not a case in which the investigation process was prolonged arbitrarily or abusively for the purposes of a fishing expedition. On the contrary, at each step it was extended because of the nature of the information provided to the Company by the grievor himself. In the result, the fifty-five demerits assessed against Mr. Harrison which issued on July 4, 2002 did come some twenty-three days after the conclusion of the investigation of his conduct surrounding the events of April 21, 2002. No violation of the provisions of rule 28.3 is disclosed in these circumstances.

 

 

18.         L'arbitre est d’avis que l’enquête supplémentaire de VIA était légitime. Elle n’a pas été utilisée pour éviter les conséquences claires découlant du délai de 21 jours ni pour, dans les mots de l’arbitre Picher, un « fishing expedition ». Un arbitre est parfois obligé de déterminer quand une enquête se termine : Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers, 2001 CanLII 8616. Dans ce dossier, l’arbitre est satisfait du fait que le délai de 21 jours ait recommencé après la déclaration supplémentaire de M. Lavoie le 26 octobre 2015.

 

19.         Ce sont les réponses de M. Lavoie qui ont nécessité une enquête supplémentaire afin de vérifier l’information donnée pendant sa déclaration originale. La date de la déclaration de M. Lavoie pour le calcul du délai de 21 jours à l’article 24.2 a donc été le 26 octobre 2015.

 

20.         Par conséquent, la mesure disciplinaire imposée le 9 novembre 2015 respectait le délai de 21 jours à l’article 24.2 de la convention collective.

 

L’arbitre devrait-il modifier la mesure disciplinaire imposée?

 

 

21.         L’arbitre accepte l’argument de VIA que les gestes de M. Lavoie sont très graves. Le vol de temps peut justifier le congédiement, comme indiqué par l’arbitre Moreau dans SHP 654 :

In the end, after a careful review of the evidence, I have come to the conclusion that these two long-term employees were submitting improper time claims. There are legions of cases which support the proposition that dishonest conduct breaks the bond of trust and causes irreparable harm to an employment relationship. The fact that the grievors are long-term employees with years of dedicated service is an insufficient basis to consider reinstatement under the circumstances.

 

22.         L’arbitre est d’accord avec les commentaires de l’arbitre Moreau qui avait devant lui des plaignants qui ont essayé de cacher (« cover up ») leurs défauts. Mais le congédiement n’est pas une sanction automatique dans les causes de ce genre : CROA&DR 4500. Tout comme l’arbitre Moreau l’a fait, l’arbitre doit examiner le contexte.

 

23.         Les nombreuses années de service de M. Lavoie depuis 1987 ne justifient pas, sans autres choses, l’intervention de l’arbitre, mais elles sont un facteur à prendre en considération. L’arbitre constate de plus que M. Lavoie n’avait que 5 mauvais points à son actif aux moments où les événements se sont produits.

 

24.         M. Lavoie a aussi, d’une certaine façon, reconnu ses fautes et il a offert de rembourser les sommes payées en trop.

 

25.         Les événements semblent suggérer également qu’un autre facteur pourrait avoir incité M. Lavoie à agir d’une manière inacceptable pendant une courte période de temps. M. Lavoie aurait pu fournir plus de preuves à VIA à propos d’un prétendu problème de drogues. Mais M. Lavoie a quand même soulevé ce prétendu problème, a demandé de l’aide du Programme d’aide aux employés (PAE) et a suivi certains traitements.

 

26.         Même si ces gestes n’auraient pas été suffisants pour aider Unifor à prouver une discrimination prima facie (voir CROA&DR 4497), ils font partie quand même du contexte devant l’arbitre.

 

27.         Dans ce contexte global, l’arbitre a décidé de donner une dernière chance à M. Lavoie en remplaçant son congédiement par une suspension. Le but de cette suspension est d’indiquer sans équivoque à M. Lavoie qu’il risque de perdre son emploi s’il répète les gestes qui ont eu lieu dans ce dossier.

 

28.         M. Lavoie sera réintégré dans ses fonctions, mais sans compensation pour la période entre son congédiement et la date de cette décision. Compte tenu de sa réintégration, M. Lavoie gardera son ancienneté. M. Lavoie, comme il l’a offert pendant l’enquête de VIA, sera également tenu de rembourser les sommes que VIA lui a versées en trop pendant les deux périodes en question.

 

29.         L’arbitre demeure saisi de ce grief pour régler toute question qui y est reliée.

 

 

Le 17 janvier 2017                                                                             L’ARBITRE

 

 

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                                                                                                    GRAHAM J. CLARKE