BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE No 4518

 

Entendue à Montréal, le 14 décembre 2016

 

Concernant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LA CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA

 

LITIGE :

 

            Réclamation en vertu de l’article 1.14 b) de la convention collective 1.1 refusée par la Compagnie à M. Luc Dutil pour des tâches effectuées lors de son tour de service du 13 janvier 2015.  

           

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

            Le 13 janvier 2015, M. Dutil travaillait comme mécanicien de locomotive sur le train L52021-13 en service de manœuvre de ligne. Lors de son passage au triage de Joffre, il a effectué à la demande de la Compagnie des manœuvres impliquant son groupe de cinq (5) locomotives et a réclamé une prime « LU » en vertu de l’article 1.14 B).

            La Compagnie a ajusté sa réclamation et lui a payé une prime « LC » en vertu de l’article 1.14 A) pour les manœuvres effectuées.

            Le Syndicat soutient que M. Dutil est en droit de recevoir le montant figurant à l’article 1.14 B) pour ces manœuvres et demande à ce qu’il soit compensé la différence entre le montant figurant à l’article 1.14 B) et celui de l’article 1.14 A).

            La Compagnie n’est pas d’accord et maintient que M. Dutil n’avait seulement droit au montant figurant à l’article 1.14 A) pour ces manœuvres.

            Les parties ne s’entendent pas sur l’application des articles 1.14 et 19 dans ces circonstances et désirent soumettre le litige à l’arbitrage.

 

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

Président général                                             Premier vice-président

(SGN.) J. M. Hallé                                         (SGN.) D. Larouche pour M. Fakouh

Représentaient la Compagnie :

D. Larouche                          – Directeur principal, Relations de travail, Montréal

A. Daigle                               – Directrice, Relations de travail, Montréal

O. Lavoie                              – Directeur, Relations de travail, Montréal

S. Roch                                – Directrice, Relations de travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

S. Beauchamp                     – Avocat, Montréal

J. M. Halle                            – Président général, Lévis

S. Savage                             – Vice-président général, Lévis

 

 

SENTENCE ARBITRALE

Introduction

 

1.            L’arbitre doit répondre à la question à savoir quelle prime ou indemnité s’applique au travail effectué le 13 janvier 2015 par le mécanicien de locomotive M. Luc Dutil.

 

2.            Le CN a demandé à M. Dutil d’effectuer plusieurs manœuvres afin de réduire son groupe de traction de 5 locomotives diesel à 4.

 

3.            L’arbitre a demandé en début d’audience s’il existait des différences entre les versions anglaise et française de la convention collective. Selon les parties, les deux versions étaient identiques.

 

4.            Pour les motifs suivants, l’arbitre interprète la convention collective dans le sens suggéré par le CN. Même si la position d’une locomotive dans un groupe de traction peut avoir un impact sur le travail nécessaire pour la stationner à l’écart d’un groupe de traction, l’indemnité applicable demeure la même. Une indemnité plus élevée ne s’applique que si un employé doit stationner ou ramasser plus d’une locomotive. Les termes « ramassage » et « stationnement » dans la convention collective se réfèrent aux locomotives ajoutées ou déduites du groupe de traction de l’ingénieur.

 

Faits

 

5.            Les parties ne contestent pas les manœuvres effectuées par M. Dutil.

 

6.            Cinq locomotives étaient attelées ensemble dans le groupe de traction de M. Dutil. Pour les fins de cette décision, nous pouvons énumérer les locomotives de 1 à 5. La locomotive 1 était la locomotive de tête; la locomotive 5 était la dernière dans le groupe de traction.

 

7.            Le CN a demandé à M. Dutil de sortir de son groupe de traction la locomotive 3 qui se trouvait au milieu du groupe.  Afin d’accomplir ce travail, M. Dutil a dû effectuer plusieurs manœuvres. Premièrement, il a découplé la locomotive 3 des locomotives 4 et 5. Ensuite, il a découplé la locomotive 3 des locomotives 1 et 2 et l’a stationnée à l’écart. Finalement, il a couplé les locomotives 1 et 2 aux locomotives 4 et 5 (Soumissions du syndicat (S-1); paragraphe 17; Soumissions de l’employeur (E-1); paragraphe 27).

 

8.            Après ces manœuvres, M. Dutil avait un groupe de traction de 4 locomotives (1, 2, 4 et 5). La locomotive 3 était stationnée à l’écart à la gare de Joffre.

 

9.            Le CN prétend qu’un seul stationnement, celui de la locomotive 3, a eu lieu. Par contre, le CFTC argumente que M. Dutil a effectué une série de stationnements et de ramassages (Soumissions du syndicat (S-1); Onglet 7) qui justifient le paiement de la prime plus élevée.

 

Les articles 19.1 et 1.14 de la convention collective

 

10.         Le texte complet de ces articles se trouve à l’annexe 1 ci-jointe. L’article 19.1 indique dans quelle circonstance un mécanicien de locomotive comme M. Dutil aura droit à une indemnité :

19.1) Les ingénieurs de locomotive en service de ligne, qui sont tenus de ramasser ou stationner une ou des locomotives diesels (sic) faisant partie de la composition de leur groupe de traction se voient accorder l’indemnité prévue au paragraphe 1.14.

 

11.         Le texte anglais de l’article 19.1 se lit ainsi :

19.1) Locomotive engineers called for road service who are required to pick up or set out a diesel unit (or units) involving their locomotive consist will be paid the allowance specified in paragraph 1.14 of Article 1.

 

12.         L’article 19.3 indique que l’employeur ne paie aucune prime si « …des employés d’atelier sont en service et sont disponibles pour l’exécution des travaux exigés ».

 

13.         L’article 19.1 donne droit à l’une des deux primes pour un ingénieur qui est tenu de ramasser (« pick up ») ou de stationner (« set out ») une ou des locomotives (« a diesel unit or units »).

 

14.         Les parties ne contestent pas qu’en vertu de l’article 19.1, M. Dutil avait droit à une indemnité. Cela nous amène à l’article 1.14 qui décrit deux primes distinctes :

1.14 Les ingénieurs de locomotive en service de ligne, qui sont tenus de ramasser ou de stationner une ou des locomotives diesels (sic) faisant partie de la composition de leur groupe de traction se voient accorder une indemnité de :

 

a) Ramassage d’une ou de plusieurs locomotives déjà attelées ou stationnement d’une ou de plusieurs locomotives ensemble

 

b) Ramassage ou stationnement de plus d’une locomotive non déjà attelées ou stationnement de plus d’une locomotive lorsque celles-ci doivent être dételées

 

15.         L’article 1.14 en anglais se lit :

1.14 Locomotive engineers called for road service who are required to pick up or set out a diesel unit (or units) involving their locomotive consist will be paid an allowance of:

 

a) Picking up one or more than one unit already coupled or setting out one or more than one unit together

 

b) Picking up or setting out more than one unit not already coupled or setting out more than one unit where units must be uncoupled

 

16.         La prime payée pour l’article 1.14 (B) est plus élevée que celle de l’article 1.14 (A). Le CFTC prétend que le nombre de manœuvres effectuées par M. Dutil le 13 janvier 2015 justifie la prime plus élevée prévue par l’article 1.14 (B). Le CN, par contre, argumente que l’article 1.14 (A) s’applique à une situation où l’ingénieur est tenu de stationner une seule locomotive. Selon le CN, c’est seulement si un ingénieur est tenu de ramasser ou stationner plus d’une locomotive que la prime plus élevée doit être payée.

 

Sommaire des arguments des parties

 

17.         Le CFTC explique la différence entre les primes de cette façon : « …les parties ont simplement voulu consacrer l’idée simple que la prime serait plus élevée dans les situations où l’ingénieur de locomotive doit faire plus de manœuvres » (Soumission du syndicat (S-1), paragraphe 11).

 

18.         Au paragraphe 12 de leur mémoire (Soumission du syndicat (S-1)), le CFTC ajoute :

12. De l’avis du Syndicat, cette logique ressort manifestement du texte des articles 19.1 et 1.14 de la Convention collective, démontrant que le déclencher entre les primes de 1.14(A) et 1.14(B) réside dans une seule question : est-il nécessaire de faire plus d’une manœuvre de couplage ou de découplage pour stationner ou ramasser des locomotives diesel. Dans la négative, c’est la prime de 1.14(A) qui s’applique. Dans l’affirmative, c’est celle de 1.14(B) que trouve application : la prime la plus importante trouve application lorsque les ingénieurs de locomotive effectuent plus de tâches qui, historiquement, étaient effectuées par des employés d’atelier du CN.

 

19.         Les faits décrits ci-haut démontrent que M. Dutil a dû faire deux (2) découplages et un (1) couplage avec le groupe de traction original afin de stationner (« set out ») la locomotive 3.

 

20.         Le CN argumente que l’article 1.14 met l’accent sur le nombre de locomotives en question, plutôt que le nombre de découplages et couplages, afin de déterminer quelle prime s’applique : « [l]a tâche demandée au plaignant consistait à stationner uniquement la locomotive [3] du groupe de traction, de façon à ce qu’une fois la tâche accomplie, le groupe de traction du plaignant passe de cinq (5) à quatre (4) locomotives » (Soumission de l’employeur (E-1); paragraphe 26).

 

21.         Le CN a prétendu que les découplages et les couplages n’étaient que des travaux accessoires à la directive donnée à M. Dutil de stationner une locomotive. La position de la locomotive 3 dans le groupe de traction a nécessité ces travaux dits « accessoires ».

 

Analyse et décision

 

 

22.         L’Avenant signé le 20 mai 2004, qui a modifié et a renouvelé l’avenant du 7 janvier 1965 (et les modifications qui y ont été apportées par la suite) établissant le Bureau d’arbitrage des chemins de fer du Canada, indique au paragraphe 14 que les arbitres ne peuvent pas modifier les conventions collectives :

La décision de l’arbitre ne doit ajouter, supprimer, modifier ni annuler quoi que ce soit dans les dispositions de la convention collective applicable; elle doit aussi tenir compte de chacune d'elles.

 

23.         Comme exigé par les parties pendant l’audience, une disposition claire de la convention collective ne doit pas être interprétée, elle doit être appliquée.

 

24.         Les articles 19.1 et 1.14 visent des situations où une locomotive (ou plus d’une) sera ajoutée au, ou déduite d’un, groupe de traction de l’ingénieur. Le « ramassage » (« picking up ») ajoute une ou plusieurs locomotives au groupe de traction. Le « stationnement » (« setting out ») enlève une ou plusieurs locomotives du groupe en question.

 

25.         Les articles 19.1 et 1.14 ne visent pas les changements temporaires des autres locomotives qui demeurent une partie intégrante du groupe de traction. Seules les locomotives ajoutées ou retirées au groupe de traction ont été ramassées ou stationnées pour les fins de ces articles de la convention collective.

 

26.         Dans le cas de M. Dutil, il a dû réduire le nombre de locomotives dans son groupe de traction de 5 à 4. L’article 1.14 a été négocié afin d’identifier laquelle des deux primes serait payée pour ce genre de travail.

 

27.         Le langage sur lequel les parties se sont entendues distingue entre une locomotive ou plus d’une locomotive. Si un ingénieur doit ramasser ou stationner plus d’une locomotive, l’indemnité plus élevée s’applique.

 

28.         L’article 1.14 (A) traite du ramassage « d’une » locomotive. L’article indique que le ramassage de « plusieurs locomotives déjà attelées » (« more than one unit already coupled ») serait l’équivalent « d’une » locomotive. Un langage semblable s’applique pour le stationnement d’une locomotive ou « de plusieurs locomotives ensemble » (« more than one unit together »).

 

29.         Par contre, l’article 1.14 (B), qui donne droit à une indemnité plus élevée, ne fait plus référence au concept « d’une » locomotive ou l’équivalent. Cet article vise plutôt des situations de « plus d’une locomotive ». Cet article indique expressément qu’un employé a droit à la prime dans des situations impliquant « plus d’une locomotive non déjà attelées » (« more than one unit not already coupled »). Cette terminologie se distingue du concept dans l’article 1.14 (A) où plusieurs locomotives déjà attelées ensemble sont considérées comme une seule locomotive.

 

30.         L’article 1.14 (B) se poursuit en traitant de « stationnement de plus d’une locomotive » lorsque celles-ci « doivent être dételées » (« where units must be uncoupled »). La référence à la nécessité de dételer des locomotives sert à distinguer la situation dans 1.14 (A) où plusieurs locomotives sont considérées comme une seule, mais à la condition qu’elles restent ensemble pendant tout le processus de ramassage ou de stationnement.

 

31.         Le travail demandé à M. Dutil exigeait le stationnement (« setting out ») d’une locomotive de son groupe de traction. Parfois, d’après le placement de la locomotive dans le groupe de traction, ce travail peut impliquer plus de manœuvres. Par exemple, le stationnement d’une locomotive au début ou à la fin d’un groupe de traction ne prendra pas le même nombre de manœuvres comparativement à une locomotive qui se trouve au milieu du groupe.

 

32.         Mais les parties n’ont pas rédigé l’article 1.14 afin d’octroyer les primes basées sur le nombre de manœuvres effectuées. Le langage qu’ils ont négocié sert à distinguer plutôt la situation d’une locomotive par rapport à celle impliquant de multiples locomotives.

 

33.         L’arbitre doit appliquer le langage négocié par les parties.

 

34.         Par conséquent, l’arbitre est tenu de rejeter le grief.

 

 

Le 17 janvier 2017                                                                             L’ARBITRE

 

 

 

 

                                                                                                    _____________________________

                                                                                                          GRAHAM J. CLARKE

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 1

 

Article 1.14

Ramassage et stationnement des locomotives diesels

Les ingénieurs de locomotive en service de ligne, qui sont tenus de ramasser ou de stationner une ou des locomotives diesels faisant partie de la composition de leur groupe de traction se voient accorder une indemnité de :

 

a) Ramassage d’une ou de plusieurs locomotives déjà attelées ou stationnement d’une ou de plusieurs locomotives ensemble

Entrée en Vigueur

1er janv.2015

$
10,64

1er janv.2016

$
10,96

1et janv. 2017

$
11,29

 

b) Ramassage ou stationnement de plus d’une locomotive non déjà attelées ou stationnement de plus d’une locomotive lorsque celles-ci doivent être dételées

Entrée en Vigueur

1er janv.2015

$
17,64

1er janv.2016

$
18,17

1er janv.2017

$
18,72

 

Les modalités de paiement de cette indemnité sont précisées à l’article 19.

 

Article 19

Ramassage et stationnement des locomotives diesels en service de ligne

19.1) Les ingénieurs de locomotive en service de ligne, qui sont tenus de ramasser ou stationner une ou des locomotives diesels faisant partie de la composition de leur groupe de traction se voient accorder l’indemnité prévue au paragraphe 1.14.

 

19.3) Aucune demande d’indemnité présentée en vertu du présent article n’est consentie si le travail est effectué sur les voies de dépôt de même qu’à tout autre endroit où des employés d’atelier sont en service et sont disponibles pour l’exécution des travaux exigés.

 

NOTA : En application du présent article, l’ingénieur de locomotive qui doit ramasser ou stationner une ou des locomotives diesels utilisées en service de manœuvre, qui ne peuvent être couplées à des locomotives de ligne, a droit à l’indemnité prévue par les présentes dispositions s’il doit préparer lesdites locomotives de manœuvre pour le mouvement haut le pied ou s’il doit s’assurer qu’elles sont bien assujetties au moment du stationnement.

Article 1.14

Picking Up and Setting Out Diesel Units

Locomotive engineers called for road service who are required to pick up or set out a diesel unit (or units) involving their locomotive consist will be paid an allowance of:

 

a) Picking up one or more than one unit already coupled or setting out one or more than one unit together.

Effective

Jan 1, 2015

$
10.64

Jan 1, 2016

$
10.96

Jan 1, 2017

$
11.29

 

b) Picking up or setting out more than one unit not already coupled or setting out more than one unit where units must be uncoupled

Effective

Jan 1, 2015

$
17.64

Jan 1, 2016

$
18.17

Jan 1, 2017

$
18.72

 

The conditions attached to the payment of this allowance are as set out in Article 19.

 

Article 19

Picking Up and Setting Out Diesel Units in Road Service

 

19.1) Locomotive engineers called for road service who are required to pick up or set out a diesel unit (or units) involving their locomotive consist will be paid the allowance specified in paragraph 1.14 of Article 1.

 

19.3) Payments claimed pursuant to this article will not be allowed on shop tracks and/or at other locations where shop staff are on duty and available to perform the work required.

 

Note: In the application of this article, a locomotive engineer who is required to pick up or set out a diesel unit(s) utilized in yard service, which cannot be multiplied with the road unit(s), and who is required to ensure that such unit(s) is prepared for deadhaul or is properly secured when setting out, will be paid the allowance provided herein.