BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE No 4565

 

Entendue à Montréal, le 11 juillet 2017

 

Opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LE SYNDICAT DES METALLOS – LOCAL 2004

 

LITIGE :

 

            Suspension de 120 jours imposée au préposé itinérant à l’entretien, M. Michel Côté, en vigueur le 8 novembre 2016 pour : « Pour votre conduite inacceptable d’un employé relativement à l’altercation avec Martin Bilodeau le 7 novembre 2016, y compris avoir proféré des menaces envers cet employé et ne pas vous être conformé à la Politique du CN sur la prévention de la violence en milieu de travail ».

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

 

            Le 17 novembre 2016, M. Michel Côté était rencontré dans le cadre d’une enquête officielle pour obtenir sa version des faits au sujet d’allégations de conduite inacceptable relativement aux incidents qui se sont produits le 7 novembre 2016 y compris des alléguées menaces envers un collègue de travail. Suite aux résultats de l’enquête, M. Côté était suspendu pour 120 jours à compter du 8 novembre 2016.

            Les faits entourant le litige ne sont pas contestés, mais le Syndicat maintient que la mesure disciplinaire est excessive. Le Syndicat demande que la suspension de 120 jours soit retirée du dossier disciplinaire de M. Côté.

            La Compagnie n’est pas d’accord avec la position du Syndicat et rejette le grief.

 

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

TITRE : Délégué en chef                                   TITRE : Directeur, Relations de travail

(SGN.) J. F. Mignault                                    (SGN.) F. Daignault

 

Représentaient la Compagnie :

F. Daignault                                               – Directeur, Relations de travail, Montréal

S. Grou                                                     – Directrice principale, Relations de travail, Montréal

M. Lamarre                                               – Directeur, Équipment de travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

J. F. Mignault                                            – Délégué chef, Montréal

F. Beaudin                                                 – Pemanent Syndicat, Montréal

G. Brassard                                               – Président Unité 222, Lac Saint-Jean

M. Côté                                                     – Plaignant, Jonquière

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

M. Michel Côté travaille au sein de la Compagnie depuis le 7 mars 2007. Le 26 février 2010, il devient préposé itinérant à l’entretien. Au moment d’être suspendu, M. Côté a accumulé dix années d’ancienneté. Son dossier disciplinaire contient une réprimande écrite pour absence au travail imposée le 23 octobre 2008.

 

En l’espèce, le Syndicat prétend que la suspension de 120 jours imposée au plaignant à la suite d’une altercation survenue entre lui-même et un collègue de travail, M. Bilodeau, est excessive. En pareil cas, le fardeau d’établir la justesse de la mesure relève de l’Employeur.

 

Il est reconnu que tout acte de violence exercé en milieu de travail constitue une faute grave. Aux fins de l’appréciation de la mesure, les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin résument les principaux facteurs pris en considération par les arbitres : 

« Plusieurs facteurs sont pris en considération par les arbitres afin d’évaluer la sanction applicable à un cas d’agression physique :

 

·      La gravité intrinsèque de la faute;

·      La présence de provocation;

·      Les caractéristiques de l’agresseur et celles de sa victime;

·      L’ancienneté de l’agresseur;

·      Les conséquences économiques;

·      L’impact d’une réintégration de l’agresseur dans son milieu de travail;

·      L’obligation légale de l’employeur d’assurer un milieu de travail digne et sécuritaire. »[1]

 

Les mêmes facteurs sont pris en compte lors de l’appréciation de propos menaçants.

 

A priori, lors d’altercation entre employés, la sanction imposée devrait être la même pour les deux salariés, autrement, elle pourrait être considérée comme discriminatoire.[2] Néanmoins, l’instigateur de l’altercation de celle-ci devrait normalement recevoir une mesure plus sévère[3].

 

En l’espèce, dans le cadre de l’enquête menée le 17 novembre 2016, le plaignant décrit l’incident survenu le 7 novembre 2016 comme suit :

« Je me retrouvais sur les balais à faire de la mécanique sur les balais. Il était environ 14h50, Je me trouvais avec plusieurs employés qui étaient là. Je me changeais et Martin est arrivé. Il m’a pincé le sein droit. Là-dessus, j’ai essayé de l’esquiver avec mon bras et un coup de pied est parti en essayant d’esquiver tout ça. Sur le coup, j’ai surement dit quelque chose que je ne me souviens pas. Je lui avais déjà dit de ne plus faire ça, parce que je n’aime pas ça me faire pincer les seins. Je pense que personne aime ça. Ça s’est tellement passé vite. Martin est resté devant moi. Il est resté là deux minutes en se prenant la main. Je ne me suis pas excusé sur le coup. On ne s’est pas parlé, c’est resté muet. C’était la fin du shift, c’est resté comme ça. »

 

Durant l’enquête, le plaignant reconnait avoir prononcé des propos menaçants mais ne peut confirmer avoir dit « je vais prendre une barre de fer et te tuer ». Il admet aussi avoir blessé le pouce de M. Bilodeau en lui donnant un coup de pied, mais d’une manière non délibérée et maintient que M. Bilodeau lui a pincé le sein. Il souligne que M. Bilodeau avait déjà fait cela dans le passé et qu’il lui avait demandé d’arrêter.  

 

Quant à M. Bilodeau, sa version est sensiblement la même à celle de M. Côté. Toutefois, il affirme ne pas avoir pincé le sein de ce dernier et rapporte avec précision les propos menaçants, ces derniers étant corroborés par un témoin de l’incident. Il confirme que le plaignant a, par la suite, tenté de communiquer avec lui. Enfin, il admet avoir dans le passé, « juste poigné les seins, pas pincé » du plaignant et reconnait avoir été averti d’arrêter par ce dernier.

 

Quatre personnes sont témoins de l’incident. La version de tout un chacun diffère sur un ou plusieurs éléments de l’altercation. Les témoins ont interprété l’intervention de M. Bilodeau comme une blague.

 

Par ailleurs, deux jours après l’incident, soit le 9 novembre 2016, le plaignant dépose une plainte de harcèlement psychologique. Dans sa déclaration écrite, il explique ce qui suit:

« […] Cette personne [M. Bilodeau] m’a dit des paroles blessantes. Il me dit souvent que j’ai des gros seins et parfois il se fait un plaisir à venir me les pincer. Cette situation perdure depuis plusieurs mois. J’ai demandé à cette personne à quelques reprises d’arrêter ces gestes, car je trouve ses paroles très blessantes et physiquement douloureuse. Il n’est pas normal qu’un confrère de travail vous dise que vous avez de gros tetons et vienne vous les pincer. Pour ma part, je souffre d’une gynécomastie qui correspond à une hypertrophie des seins et je suis très complexé à ce niveau. J’ai longtemps souffert psychologiquement de cette malformation. J’ai même consulté étant plus jeune pour avoir une chirurgie, mais avec le temps, j’ai réussi à m’accepter comme je suis. Par contre, je reste irritable quand une personne me dit que j’ai des gros seins et me les touche. […] »

 

Bien que la plainte pour harcèlement psychologique ait été déposée deux jours après l’altercation, et que je n’en ai pas été saisie, celle-ci décrit la perspective du plaignant et m’apparait tout à fait pertinente aux fins du présent litige. Selon la jurisprudence, la perception de la personne qui s’estime victime de harcèlement psychologique doit être appréciée selon un test objectif-subjectif, c’est-à-dire du point de vue d’une personne raisonnable qui partage les mêmes caractéristiques personnelles que la victime de harcèlement[4].

 

Quant à la justesse de la mesure imposée au plaignant, soit quatre mois de suspension, l’Employeur soutient que le plaignant a enfreint la politique sur la prévention de la violence en milieu de travail, en agressant physiquement M. Bilodeau et en lui proférant des menaces de mort. Pour l’Employeur, le plaignant a commis une conduite grave et à l’égard de laquelle il n’a jamais présenté d’excuses ou exprimé des remords.

 

Le Syndicat estime que l’Employeur aurait dû tenir compte du dossier disciplinaire exemplaire du plaignant et du caractère impulsif et défensif de la réaction du plaignant à une agression physique. Il ajoute qu’il s’agit d’un incident isolé et que rien ne permet de croire que le plaignant est une personne violente, au contraire, la preuve démontre d’une manière manifeste qu’il a réagi afin de se protéger.

 

Après une étude minutieuse de la preuve, je retiens que M. Bilodeau a, le 7 novembre 2016, agressé M. Côté en cherchant à « pincer ou poigner son sein », alors qu’il se changeait devant ses pairs. Le plaignant a réagi en donnant un coup de pied afin de protéger son intégrité physique et, ce faisant, il a non intentionnellement blessé le pouce (entorse) de M. Bilodeau, tout en lui proférant des propos menaçants. Le plaignant a réagi à une agression physique qui le blesse particulièrement, celle-ci visant une caractéristique physique qui le complexe, et avec laquelle il doit composer, tel qu’en fait foi sa plainte de harcèlement déposée dans les jours suivants.

 

Il va de soi qu’une mesure disciplinaire s’impose pour les deux protagonistes. Toutefois, l’Employeur a infligé une suspension de 120 jours au plaignant et une de 90 jours à M. Bilodeau, alors que ce dernier est l’instigateur de l’altercation, et qu’il a provoqué le plaignant en répétant une agression sur sa personne physique tout en sachant que cela était non désiré. Par ailleurs, le plaignant a réagi avec un certain degré de violence, ce qui milite en faveur d’une mesure disciplinaire équivalente, et ce, en tenant compte de son très bon dossier disciplinaire et qu’il s’agit manifestement d’un comportement isolé.

Pour tous ces motifs, le grief est partiellement accueilli et la suspension de 120 jours est réduite à 90 jours, l’Employeur doit indemniser le plaignant en conséquence.

 

 Je demeure saisie du litige en cas de difficultés résultant de l’application de la présente sentence.

 

 

Le 18 juillet 2017                                                                               L’ARBITRE

                                                                                                                 ______

                                                                                                       MAUREEN FLYNN  

 



[1]    Linda BERNIER, Guy BLANCHET, Lukasz GRANOSIK et Éric SÉGUIN, Les mesures disciplinaires ou non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e édition, volume 1, Montréal, Éditions Yvon‑Blais, mise à jour du mois de mars 2016, Partie II, Chapitre 8, p. 181.

[2]    Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 (FTQ) et Écolait ltée, [2006] D.T.E. 2006T-325, par 21 à 24.

[3]    Linda BERNIER, Guy BLANCHET, Lukasz GRANOSIK et Éric SÉGUIN, Les mesures disciplinaires ou non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, préc. Note 1, p. 241.

[4]    Champlain Regional College St-Lawrence Campus Teacher’s Union c. Cégep Champlain Campus St‑Lawrence (Champlain Regional College St-Lawrence Campus), S.A.E. 7958, Me Rodrigue Blouin, 31 août 2006, p. 3. Et Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon Saint-Joseph) et Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières, [2006] R.J.D.T. 337, 5 janvier 2006.