BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

 

CAUSE No 4566

 

Entendue à Montréal, le 11 juillet 2017

 

Opposant

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

Et

 

LE SYNDICAT UNIFOR

 

LITIGE

 

            Imposition de 15 mauvais points remis le 25 mars 2015 au dossier disciplinaire de M. Jean-Robert Senosier, employé à la rampe Automobile à Montréal pour « ne pas avoir signalé à l’autorité compétente votre présumé accident du 27 novembre 2013 tel que stipulé par la procédure » et son congédiement le 25 mars 2015 pour accumulation de mauvais points.

 

DÉCLARATIONS CONJOINTES DES FAITS

 

            Le 16 mars 2015, M. Jean-Robert Senosier était rencontré dans le cadre d’une enquête officielle pour ne pas avoir informé immédiatement l’autorité compétente d’une présumée blessure le 27 septembre 2013. À la suite de cette enquête, il se voyait imposer 15 mauvais points : « Pour ne pas avoir signalé à l’autorité compétente votre présumé accident du 27 septembre 2013 tel que stipulé par la procédure ». L’addition de ces 15 mauvais points portait son total à 74 et par conséquent, entrainait son congédiement le 25 mars 2015 pour une accumulation de mauvais points.

            Le Syndicat soutient que M. Senosier était nouveau sur le poste et avait peur du jugement de la Compagnie s’il déclarait l’accident mais s’est ravisé en avisant la Compagnie de l’accident le 1er octobre 2013, soit quatre jours après l’accident. Le Syndicat maintient que la mesure est abusive et que le congédiement est déraisonnable étant donné les circonstances.

            Le Syndicat conteste le congédiement et demande le retrait des mauvais points au dossier de M. Senosier. De plus, le Syndicat demande la réintégration immédiate de M. Senosier avec remboursement de son salaire et les intérêts applicables et ce, sans perte de ses droits, avantages et privilèges.

            La Compagnie n’est pas d’accord avec la position du Syndicat et a rejeté le grief.  

 

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

TITRE :                                                             TITRE :

(SGN.) M. Germain                                       (SGN.) D. Laurendeau

 

Représentaient la Compagnie :

D. Laurendeau                                          – Directeur, Relations de travail, Montréal

F. Daignault                                               – Directeur, Relations de travail, Montréal

 

H. Genoway                                              – Directrice principale, Autoport,

                                                                    Région de l’Est, Montréal

P. Haineault                                              – Agent réclamations, Indemnités

                                                                    accidents du travail, Montréal

 

Et représentaient le Syndicat :

M. Germain                                               – Directrice, Locale Unifor, Montréal

M. Laroche                                                – Représentant régional, Montréal

B. Descoteaux                                          – Président, Local 5.1, Montréal

J.-R. Senosier                                          – Plaignant, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

            M. Senosier a été embauché par la Compagnie le 8 septembre 2008 comme représentant au service à la clientèle. Au moment d’être congédié, il occupait le poste d’adjoint – rampe des véhicules automobiles au terminal de Taschereau. Les employés à ce poste sont chargés de décharger les véhicules automobiles livrés par train.

 

            Au cours de ses quelque cinq années et neuf mois de service, le plaignant a été discipliné treize fois et a accumulé : une suspension, deux disqualifications, 59 mauvais points et une réprimande écrite. Le 3 juin 2013, à la suite d’une enquête pour ne pas avoir suivi les procédures de diversion d’un wagon, la Compagnie lui impose une suspension de neuf jours et le disqualifie de son poste. Cette mesure est choisie pour éviter le congédiement du plaignant qui avait alors atteint 59 mauvais points actifs.

 

            Suivant sa disqualification, à partir du 17 juin 2013, M. Senosier occupe le poste temporaire de type col bleu de préposé au pont Victoria jusqu’au 12 septembre 2013, date à laquelle il est transféré au poste d’adjoint à la rampe des véhicules automobiles.

 

            Le 13 septembre 2013, le plaignant commence sa formation et son intégration au poste d’adjoint – rampe des véhicules automobiles. La formation est d’une durée de deux semaines. Au cours de celle-ci, il apprend et effectue les mouvements et manœuvres de déchargement des automobiles des wagons. Il reçoit également une formation spécifique sur les situations d’urgence et la procédure à suivre en cas d’accident ou blessure professionnelle, incluant l’obligation d’aviser immédiatement l’autorité compétente.

 

            M. Senosier termine sa formation le 26 septembre 2013 et est affecté au quart d’après-midi de 14 h à 23 h. Il commence le lendemain.

 

            Le vendredi 27 septembre 2013, alors qu’il travaille, pour la première fois, seul à titre d’adjoint - rampe des véhicules automobiles, le plaignant dit s’être blessé au dos au début de son quart de travail alors qu’il est en train de défaire des ancrages de véhicules à l’intérieur d’un wagon. Le plaignant affirme qu’en essayant de désancrer une voiture, il fait des efforts supplémentaires et ressent une vive douleur au dos. M. Senosier complète son quart de travail.

 

            M. Senosier n’avise pas son Employeur, car il se dit que la douleur sera passagère et qu’il s’en remettra avec des analgésiques et un bain chaud. De surcroit, il commence tout juste à son nouveau poste et ne veut pas ternir son image.

 

Le 28 septembre 2013, lors de sa deuxième journée de travail, le plaignant endommage un véhicule, dont il avait la responsabilité. Il reçoit une réprimande écrite pour cette faute.

 

Le 29 septembre, alors qu’il avait accepté de faire des heures supplémentaires, le plaignant se ravise et appelle l’Employeur pour lui dire qu’il ne peut travailler. Il ne rapporte toujours pas sa blessure dite survenue deux jours plus tôt.

 

Le mardi 1er octobre 2013, après ses deux jours de repos, le plaignant ne se sent toujours pas mieux et consulte son médecin. Ce dernier lui prescrit des travaux légers et des médicaments antidouleur. Le plaignant se présente au travail et informe le directeur des rampes automobiles qu’il s’est blessé le dos sans plus et lui remet le billet médical émis par son médecin. Le directeur l’assigne au stationnement des véhicules.

 

Le lendemain, M. Tucci et Mme Themis Taveira, superviseure à la rampe automobile, le convoquent à une rencontre. Il est question du billet médical remis la veille. Le plaignant rapporte pour la première fois qu’il s’est blessé au dos en enlevant un dispositif d’arrimage dans un wagon le 27 septembre et affirme avoir informé l’Employeur d’une blessure passée, ce que l’Employeur nie. Mme Taveira lui remet des formulaires de l’assureur Great West.

 

Le 4 octobre 2013, le plaignant dépose une réclamation auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ »), croyant que son mal de dos pouvait être associée à une récidive d’un accident d’automobile subit en 2004 et duquel il est resté avec les limitations permanentes suivantes :

 

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

·       Soulever, porter, pousser, tirer, des charges supérieures à environ 25 kg

·       Ramper

·       Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne vertébrale

·       Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (provoqués par un matériel roulant sans suspension par exemple) 

 

En plus des démarches à la Great West et à la SAAQ, il dépose une réclamation le ou vers le 15 octobre 2013 à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST »).

 

Le 7 novembre 2013, la SAAQ détermine qu’il n’y a pas de relation entre sa blessure lombaire et l’accident automobile de 2004.

 

De même, le 3 décembre 2013, la CSST refuse la réclamation du plaignant. Ce dernier demande une révision de la décision et, le 4 février 2014, la décision administrative est maintenue. Le 26 février, le plaignant conteste cette dernière décision. Son appel est accueilli le 27 octobre 2016 et la décision rendue par le Tribunal administratif du travail est en révision judiciaire. L’Employeur affirme avoir découvert les limitations fonctionnelles du plaignant au cours de cette dernière audition et ajoute que s’il avait été informé desdites limitations à l’embauche, il n’aurait pas assigné le plaignant à la dernière fonction qu’il a occupée avant son congédiement.

 

Le 17 décembre 2013, l’assureur Great West confirme l’admissibilité du plaignant aux prestations d’invalidité de courte durée.

 

Le 26 février 2015, M. Senosier rencontre le Syndicat, la Compagnie et l’agent d’indemnisation de cette dernière pour évaluer son emploi en fonction de ses restrictions permanentes.

 

Le 10 mars 2015, alors que le plaignant est apte à retourner au travail, il est suspendu à des fins d’enquêtes, et ce, à l’égard de son omission d’informer immédiatement l’autorité compétente de sa blessure survenue le 27 septembre 2013.

 

Lors de l’enquête, le plaignant reconnait qu’il savait qu’il devait informer l’Employeur le plus rapidement possible en cas d’accident et qu’il avait été formé en la matière. Lorsqu’interrogé à savoir comment il a été en mesure de compléter son quart de travail malgré la gravité de sa blessure, le plaignant répond qu’il ne s’agissait que d’une simple entorse lombaire et qu’il croyait qu’il irait mieux après quatre ou cinq jours de repos.

 

À la suite du résultat de l’enquête, l’Employeur impose 15 mauvais points au plaignant le 25 mars 2015 pour « ne pas avoir signalé à l’autorité compétente [son] présumé accident du 27 septembre 2013 tel que stipulé par la procédure ». Ayant accumulé plus de 60 mauvais points, le plaignant est congédié pour accumulation de mauvais points.

 

Le Syndicat affirme que le congédiement est abusif et ne respecte pas le principe de la progression des sanctions. Le plaignant n’a pas eu de comportement déviant et a plutôt commis une erreur de bonne foi, son jugement étant altéré par la peur de perdre son emploi.

 

La Compagnie soutient qu’en omettant d’informer l’autorité compétente dans les plus brefs délais, le plaignant s’est exposé à une mesure disciplinaire soit, en l’occurrence, 15 mauvais points.

 

Après une étude minutieuse de la preuve, j’en conclus que M. Senosier a effectivement commis une faute en omettant d’informer la Compagnie le plus rapidement possible de sa blessure. Comme l’arbitre Picher dans l’affaire CROA 1920 l’a rappelé :

As a participant in the Workers' Compensation scheme the Company is entitled to expect from its employees prompt disclosure of the circumstances of a work-related injury. It is also entitled to expect confirmation, at the earliest possible time, of the employee's medical status, including the nature and extent of his injury, by means of a certificate of a duly qualified physician. These requirements should be obvious, as employees making claims for Workers' Compensation benefits are plainly not entitled to do so on the basis of self-diagnosis. 

 

En l’espèce, la preuve démontre que M. Senosier a manqué de se conformer à une procédure claire dont il avait connaissance. Sa justification selon laquelle il ne voulait pas ternir son image auprès de l’Employeur ne permet pas, à la lumière des circonstances, d’excuser sa faute. D’autant plus que ladite explication m’apparait peu crédible à la lumière des premières actions qu’il pose dans les jours suivant ledit incident, notamment en déposant une demande à la SAAQ.

La Compagnie a déposé plusieurs décisions de cette instance où, selon les circonstances, l’imposition de 10 à 30 mauvais points pour l’omission de rapporter une blessure a été estimée juste.[1]

 

Le Syndicat, pour sa part, a invoqué deux décisions : CROA 4347 et 3308. Or, ces deux décisions ne peuvent servir de comparable au cas en espèce. En effet, dans la première, l’employé n’avait pas de mauvais points actifs à son dossier et avait déclaré sa blessure deux heures seulement après sa survenance. Quant à la seconde, elle concerne un salarié ayant accumulé 24 années de service et qui avait déclaré sa blessure deux jours après son occurrence.

 

Vu le dossier disciplinaire du plaignant au moment de la commission de la faute, la dernière mesure imposée au plaignant doit être évaluée à la lumière de la théorie de l’incident culminant. Comme les auteurs Brown et Beatty la résume bien, celle-ci s’applique lorsque l’imposition de mesures disciplinaires antérieures n’a pas entrainé les effets escomptés :

A consistently bad employment record shows that an employee has been unable or unwilling to learn from his or her mistakes. The doctrine responds to an employer’s legitimate interest in being able to terminate the employment of someone who, but for such a doctrine, could with impunity commit repeated infractions of a variety of different rules and policies, and generally perform in an unsatisfactory manner, without fear of being discharged so long as he or she did not commit a very serious offence or did not engage in the same kind of misconduct over and over again. [2]

 

            M. Senosier a un lourd dossier disciplinaire qu’il a accumulé sur une courte période d’emploi. Il a enfreint une règle claire dont il avait connaissance, alors qu’il avait 59 mauvais points actifs à son dossier. En l’absence de facteurs atténuants, je ne puis que conclure que l’Employeur était justifié dans sa décision de lui imposer 15 mauvais points, entrainant alors son congédiement. Ladite mesure s’avère d’autant plus juste que, dans le cours du traitement de cette dernière faute, l’Employeur a découvert que derrière la commission de cette dernière omission, se dissimulait une autre omission fort significative que le plaignant aurait dû déclarer à son embauche.

 

Pour toutes les raisons susmentionnées, le grief est donc rejeté.

 

 

Le 27 juillet 2017                                                                               L’ARBITRE

 

                                                                                                          ______________

                                                                                                       MAUREEN FLYNN

 



[1]    Voir: AH584, CROA 1920, 3323 et 4484

[2]    Brown et Beatty, Section 7: 4310.