BUREAU D’ARBITRAGE ET DE MÉDIATION
DES CHEMINS DE FER DU CANADA

CAUSE NO 4587

 

Entendue à Montréal, le 11 octobre 2017

 

Concernant

 

VIA RAIL CANADA INC.

 

Et

 

UNIFOR

 

LITIGE :

 

            M. Steven Nair, agent de vente à la billetterie à Montréal, sans salaire du 14 novembre 2015 au 9 décembre 2015 et imposition de 60 mauvais points remis le 9 décembre 2015 au dossier disciplinaire de M. Steven Nair pour l’utilisation non autorisée des informations des passagers de Via Rail Canada pour des fins personnelles ayant atteint à la réputation de la Société, pour violation de la politique sur les renseignements personnels et pour violation de la loi sur les informations personnelles, comportements inappropriés lorsqu’il était en service comme agent de vente au comptoir le 7 novembre 2015 et violation des normes en matière de comportement et le code d’éthique de Via Rail Canada. Le litige concerne également le congédiement du 9 décembre 2015 pour accumulation de mauvais points.

           

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

M. Nair a été suspendu le 14 novembre 2015. Le plaignant subit une première enquête le 20 novembre. Il est convoqué pour donner sa version des faits pour son présumé comportement envers une passagère, qui s’est présentée à la billetterie de la gare centrale de Montréal, le samedi 7 novembre 2015.

Une enquête supplémentaire a lieu le 3 décembre 2015 pour clarifier la version des faits pour le même motif que l’enquête du 20 novembre.

M. Nair s’est vu imposer 60 mauvais points portant le total à 65 mauvais points et par conséquent, entrainant son congédiement.

Le Syndicat soutient que la suspension sans salaire est illégale. Le Syndicat soutient également que le congédiement est sans fondement et que la Société a failli à son fardeau en ne présentant pas les preuves suffisantes pour motiver un congédiement.  Le Syndicat plaide que la mesure est abusive et que le congédiement est déraisonnable étant donné les circonstances.

Le Syndicat demande le retrait des mauvais points au dossier de M. Nair. De plus, le Syndicat demande la réintégration immédiate de M. Nair avec remboursement de son salaire et les intérêts applicables, et ce, sans perte de ses droits, avantages et privilèges.

La Compagnie n’est pas d’accord avec la position du Syndicat.

POUR LE SYNDICAT :                                 POUR LA COMPAGNIE :

Directrice locale                                              

(SGN.) M. Lacroix                                         (SGN.)

Représentaient la Compagnie :

W. Hlibchuk                          – Avocat, Norton Rose Fullbright, Montréal

C. Sterie                               – Avocat, Norton Rose Fullbright, Montréal

B. Blair                                  – Partenaire d’affaires, R.H., Montréal

C. Laplante                           – Agente, Relations avec la clientèle, Montréal

P. Rewjakin                          – Chef, Expérience-client, Montréal

C. Bergeron                          – Chef principal, Expérience Client (Centre du Canada), Montréal     

 

Et représentaient le Syndicat :

M. Germain                          – Directrice locale, Montréal

M. Laroche                           – Représentant régional Conseil 4000, Montréal

S. Nair                                  – Plaignant, Montréal

 

 

SENTENCE ARBITRALE

Introduction

 

1.            En décembre 2015, VIA a congédié M. Steven Nair, un agent de vente au comptoir comptant 29 années de service, pour ses gestes envers une cliente. Selon VIA, M. Nair aurait tenu des propos vulgaires et inappropriés envers la cliente et de plus lui aurait envoyé une demande d’amitié sur Facebook.

 

2.            Pour sa part, M. Nair a nié les allégations et a suggéré que c’était plutôt la cliente qui lui aurait envoyé une demande d’amitié et qui se vengeait quand il a refusé de l’accepter.

 

3.            Pour les motifs expliqués ci-dessous, VIA s’est déchargé de son fardeau en ce qui a trait aux raisons sérieuses qu’il avait d’imposer des mesures disciplinaires à M. Nair. Toutefois, Unifor a convaincu l’arbitre que la discipline appropriée serait une suspension plutôt qu’un congédiement.

Faits

 

4.            Les versions des faits sont contradictoires entre VIA et M. Nair.

 

5.            VIA indique qu’il a reçu une plainte écrite d’une cliente à propos de la conduite de M. Nair. Lors de son achat d’un billet de train le 7 novembre 2015, la cliente prétend que M. Nair aurait tenu des propos vulgaires, notamment en disant « Vous voulez aller à St-Hyacinthe? Vraiment? J’aime beaucoup les filles de St-Hyacinthe! Dans le temps, j’allais souvent là-bas pour baiser ».

 

6.            M. Nair aurait dit qu’il aimerait revoir la cliente et le lendemain il lui aurait envoyé une demande d’amitié sur Facebook. La cliente a donné une copie de cette demande d’amitié de M. Nair à VIA.

 

7.            Lors de l’enquête de VIA, M. Nair a nié les allégations de la cliente à l’effet qu’il aurait utilisé des propos vulgaires et qu’il lui aurait envoyé une demande d’amitié sur Facebook. M. Nair indique que c’est plutôt la cliente qui lui a envoyé plusieurs demandes d’amitié, lesquelles il a rejetées chaque fois. Selon M. Nair, la plainte de la cliente n’était qu’une vengeance.

 

8.            Dans sa défense, M. Nair a produit des captures d’écran avec une demande d’amitié d’un compte portant le nom de la cliente.

 

9.            Après avoir considéré la preuve déposée, l’arbitre retient la version des faits soumise par VIA pour les motifs suivants. Premièrement, VIA a démontré que si une personne refuse une demande d’amitié, la personne refusée ne peut pas envoyer d’autres demandes. M. Nair n’aurait pas pu rejeter plusieurs demandes d’amitié de la part de la cliente.

 

10.         Deuxièmement, VIA a démontré qu’il est facile de créer un compte Facebook avec seulement un nom, une adresse courriel et une photo. Une demande d’amitié d’un compte portant le nom de la cliente ne démontre pas nécessairement que la cliente en question l’aurait envoyée.

 

11.         Troisièmement, M. Nair, par le biais de son syndicat, a offert de montrer à VIA la demande d’amitié de la cliente sur son compte Facebook personnel, une demande qu’il prétend avoir conservée. Toutefois, malgré plusieurs suivis de la part de VIA, M. Nair n’a jamais donné suite à cette offre.

 

12.         En somme, lors de la vente d’un billet à la cliente un samedi, M. Nair a obtenu suffisamment d’information de nature personnelle afin de lui envoyer une demande d’amitié. La cliente, qui au moment de l’achat avait ses deux jeunes enfants avec elle, a porté plainte après avoir reçu une demande d’amitié le lendemain.

 

13.         VIA a démontré qu’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire à l’égard de M. Nair pour ses gestes envers la cliente.

Analyse et Décision

 

14.         L’arbitre doit répondre à deux questions. La suspension sans solde de M. Nair pendant l’enquête était-elle illégale comme le suggère Unifor? La deuxième question est à savoir si l’arbitre devrait intervenir pour modifier la pénalité imposée à M. Nair.

 

La Suspension

15.         Unifor a contesté de façon générale le droit de VIA d’imposer une suspension sans solde pendant l’enquête. Il s’est appuyé sur la décision de la Cour suprême dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie, [2004] 3 RCS 195, 2004 CSC 55.

 

16.         La décision Cabiakman porte spécifiquement sur une situation du droit d’emploi plutôt que du droit de travail. La Cour a examiné le droit de suspendre un employé sans solde dans une cause liée au Code civil du Québec. La situation serait différente en droit de travail pour des causes gouvernées par le Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2. (Voir, par exemple, le paragraphe 69 dans la décision Cabiakman.)

 

17.         Dans leur convention collective à l’article 24, les parties ont inclus du texte à propos d’une suspension pendant l’enquête. Toutefois, Unifor n’a pas offert de commentaires spécifiques ou de jurisprudence à propos de l’interprétation de cet article. Ce n’est pas le rôle d’un arbitre de formuler des arguments pour Unifor basés sur le texte de l’article 24 de la convention collective. Cela étant dit, l’interprétation de l’article 24 pourrait être revue dans un cas futur.

 

La Sanction

18.         Dans les cas disciplinaires, deux questions fondamentales se posent. Tout d’abord, l’employeur avait-il raison d’imposer une mesure disciplinaire? En l’occurrence, VIA a démontré qu’il était en droit de prendre des mesures à l’égard de M. Nair.

 

19.         Ensuite, les parties doivent examiner la deuxième question à savoir si l’arbitre devrait modifier la pénalité imposée par l’employeur. Par exemple, le vol de la part d’un employé mérite une sanction sévère. Toutefois, même si une présomption existe à l’effet qu’un vol justifie un congédiement, le congédiement ne suit pas automatiquement. (Voir à cet effet la décision CROA&DR 4500 entre ces mêmes parties.)

 

20.         VIA indique que M. Nair avait cinq (5) points de pénalisation avant l’incident sous l’étude. VIA a aussi fait référence à un incident similaire en 1998 et pour lequel M. Nair avait reçu quinze (15) points de pénalisation. Unifor y a fait référence également dans sa soumission.

 

21.         Malgré les gestes de M. Nair et son manque d’honnêteté lors de l’enquête, l’arbitre est d’avis qu’une suspension est plus appropriée dans les circonstances.

 

22.         Unifor a fait référence aux décisions CROA&DR 2984 et CROA&DR 4333 à l’appui de sa demande à l’arbitre de réduire la pénalité imposée. VIA a fait référence à CROA&DR 4540 pour des questions de crédibilité, mais la réintégration de l’employé par l’arbitre Hornung dans cette décision est également pertinente pour le cas présent.

 

23.         Dans CROA&DR 4333, l’arbitre Schmidt faisait face à une situation où un employé a agi d’une façon inappropriée envers un client de l’employeur :

A careful review of the grievor’s responses to the detailed allegations leads me to believe that, on a balance of probabilities, which is the standard of proof in this case, the grievor displayed highly inappropriate conduct towards the client – behaviour that warranted a significant disciplinary response.  It seems highly unlikely to me that the customer simply fabricated the complaint.  Customers do not usually complain for the purpose of making mischief.  I do not believe the grievor’s denials.

 

24.         L’arbitre Schmidt a décidé d’intervenir, malgré la conduite tout à fait inacceptable de l’employé :

Finally, with respect to the customer complaint, since I have determined that the grievor displayed highly inappropriate conduct towards the client – one which the grievor must understand is completely at odds with the expectation of a driver whose interactions with clients are an integral part of his regular duties – a significant disciplinary response was warranted. Moreover, the grievor’s supervisor had spoken to him previously about its concern about his “lack of professionalism” in dealing with customers.

 

25.         La conduite de M. Nair est également inacceptable. Cette conduite devient encore plus grave quand M. Nair essaie d’inventer une explication peu convaincante. Toutefois, étant donné ses 29 années de service et le fait que son dossier actif ne contenait que 5 points de pénalisation, le congédiement sera remplacé par une suspension sévère.

 

26.         L’arbitre ordonne la réintégration de M. Nair, sans compensation, mais sans perte d’ancienneté. Il serait sage que M. Nair considère sa réintégration comme étant une dernière chance de garder son emploi chez VIA si jamais un incident semblable se reproduisait.

 

27.         L’arbitre réserve sa juridiction pour toute question reliée à cette décision.

 

 

Le 31 octobre 2017                                                                            L’ARBITRE

 

 

                                                                                                    _____________________________

                                                                                                    GRAHAM J. CLARKE