SHP650

ARBITRAGE

 

OPPOSANT

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

et

 

SYNDICAT NATIONAL DE L'AUTOMOBILE, DE L'AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA)

 

GRIEF CONCERNANT LA SUSPENSION DE CÉDRYK LEVASSEUR

 

 

L’ARBITRE:                            MICHEL G. PICHER

 

 

 

Représentaient la Compagnie:

S. Grou                                           – Directrice, Relations du travail, Montréal

D. S. Fisher                                    – Premier directeur, Relations du travail, Montréal

M. D’Amico                                    – Directeur adjoint – Mécanicien régional de l’est

G. Bélanger                                    – Superviseur – Mécanique

R. Champagne                               – Surintendant adjoint, Mécanique

 

Et représentaient le Syndicat:

D. St-Louis                                     – Représentant national, Montréal

R. Brosseau                                   – Vice-président du local 100

J. Savard                                        – Représentant régional

 

 

La cause a été entendue à Montréal, le 7 décembre 2009.


SENTENCE ARBITRALE

 

LITIGE :

L’imposition d’une suspension à M. Cedryk Levasseur le 20 août 2009.

 

EXPOSÉ CONJOINT DU CAS :

Le Syndicat conteste l’imposition d’une suspension à M. Levasseur sans qu’il y ait eu une enquête impartiale, conformément à l’article 27.01 de la convention collective no. 12.

 

La Compagnie rejette les prétentions du Syndicat.

 

POUR LE SYNDICAT :                     POUR LA COMPAGNIE :

REPRÉSENTANT NATIONAL        DIRECTRICE, RELATIONS DU TRAVAIL

(SGN.) D. ST-LOUIS                         (SGN.) S. GROU

 

 

            Le point en litige concerne uniquement la suspension du plaignant, M. Cédryk Levasseur, en attendant la tenue d’une enquête disciplinaire. Il est convenu que le 20 août 2009 M. Levasseur à reçu deux convocations pour des enquêtes disciplinaires concernant son comportement envers deux superviseurs, ainsi que ses absences au travail dans la période du 14 mars au 19 août 2009. Face à cette nouvelle le plaignant s’est déclaré incapable de travailler et, nonobstant la demande de son superviseur qu’il attende pour le rencontrer à la cantine, il a quitté les lieus de travail. Quelques heures plus tard M. Levasseur a reçu un appel téléphonique du superviseur Gabriel Bélanger pour lui dire qu’il était suspendu de ses fonctions jusqu’à une enquête qui serait cédulée pour traiter de son départ de son travail, sans autorisation. Le plaignant devenait alors le sujet de trois enquêtes disciplinaires, les deux autres ayant été prévues pour le 26 août 2009.

 

            Il est convenu que M. Levasseur s’est présenté chez un médecin le même jour, le 20 août 2009. Le médecin lui a fourni une note à l’effet qu’il serait sous ses soins et absent du travail en raison d’un état médical d’anxiété, jusqu’au 20 septembre 2009, note qui à été donnée à la Compagnie le 21 août 2009. Un peu plus tard, vers le 27 août, le même médecin avisait la Compagnie que M. Levasseur souffrait de dépression majeure (“major depression”) ce qui prolongerait son absence. Il n’est pas contesté qu’en plus de médicaments, M. Levasseur a également reçu les soins d’un psychiatre. Il est devenu apte à revenir au travail vers le 21 octobre 2009.

 

            Pendant la période de son absence le plaignant a fait sa demande auprès de l’assureur pour recevoir les prestations de maladie. On lui a répondu qu’il n’était pas éligible aux prestations en autant qu’il était en suspension de service pendant la période de sa maladie.

 

            Le syndicat prétend que la compagnie a enfreint les dispositions de l’article 27.1 de la convention collective qui se lit comme suit :

 

27.1     Except as otherwise provided herein, no employees shall be disciplined or discharged until they have had a fair and impartial investigation and their responsibility established. When an employee is held out of service pending such investigation, the investigation shall not be unduly delayed.

 

            Selon le syndicat, la compagnie a effectivement bloqué l’accès de M. Levasseur à ses prestations de maladie jusqu’à son retour au travail le 14 novembre 2009, retour survenu seulement après la tenue des trois enquêtes disciplinaires enfin complétées le 30 octobre 2009. À l’avis du syndicat, ce qui s’est déroulé est une suspension déraisonnable entre le 20 août et le 14 novembre 2009, contrairement aux dispositions de l’article 27.1 de la convention collective.

 

            La compagnie soutient que le plaignant a subi un délai de quelques mois avant la fin de ses enquêtes, et que s’est en raison de sa maladie que sa suspension sans solde a été prolongée. Elle prétend que dans les faits elle n’a pas enfreint les dispositions de l’article 27.1 de la convention collective.

 

            L’Arbitre ne peut accueillir la position de la compagnie. L’obligation de la compagnie de ne pas prolongé indûment la période du retrait de service d’un employé sous enquête est convenue en reconnaissance de l’importance de ne pas privé un employé de la valeur de son salaire et de ses avantages sociaux pour une période qui dépasserait le délai raisonnable pour tenir et compléter une enquête disciplinaire.

 

            Normalement on s’attend à ce qu’une enquête soit tenu au-dedans d’une ou deux semaines de l’évènement qui suscite l’enquête. En l’espèce, l’absence pour maladie de M. Levasseur a effectivement retardé le déroulement des enquêtes et son retour éventuel au travail de quelques douze semaines. Pendant cette période, parce qu’il était suspendu, il n’avait aucun accès aux prestations de maladie qu’il aurait normalement touché.

 

            L’Arbitre doit en venir à la conclusion que cet état de chose est effectivement une contravention de l’article 27.1 de la convention collective. De prime abord, il est évidemment permis à la compagnie de mettre en suspens une enquête disciplinaire moyennant le retour au travail d’un employé en congé de maladie. Mais à l’avis de l’Arbitre  c’est tout autre chose que d’effectivement convertir une période d’absence pour maladie en période de suspension indéfinie.

 

            L’application de l’article 27.1, tel qu’interprétée par la compagnie, créerait une injustice, sinon une discrimination, contre l’employé qui est obligé de s’absenter en raison d’une maladie ou d'une blessure. En général, l’employé en santé qui est mis hors service en attendant le déroulement d’une enquête disciplinaire se voit privé de son salaire et de ses bénéfices pour une semaine ou deux. Mais l’employé suspendu dans les mêmes circonstances qui souffre d’une blessure ou d’une maladie qui l’empêche de travailler pourrait, selon la compagnie, subir une pénalité financière qui correspond à tout la période d’absence légitime causée par son incapacité médicale. S’il était nécessaire de se pencher sur cet aspect du litige, il est fort probable que le tribunal serait obligé de conclure qu’il y a là une discrimination contre un employé en raison de son état médical, contrairement à la Loi Canadienne sur les droits de la personne. L’idée d’une suspension sans solde dont la durée dépend seulement de la longueur d’une absence médicale est pour le moins répugnant aux notions les plus fondamentales de la discipline pour juste cause. Mais, pour les motifs qui suivent, l’Arbitre considère qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur l’application de la Loi Canadienne sure les droits de la personne, en l’espèce.

 

            Il me semble que ce grief peut être résolu tout simplement par l’interprétation de la convention collective. Au départ, il faut reconnaître que l’intention de la deuxième phrase de l’article 27.1 de la convention collective est d’assurer qu’un employé ne subisse pas la pénalité d’une suspension déraisonnable en raison du délai dans le processus d’une enquête disciplinaire. Mais, la politique de la compagnie de jumeler la période de suspension d’un employé avec la période de son absence pour maladie, en attendant une enquête, a comme effet de contrer l’intention et l’esprit de l’article 27.1 de la convention collective. Comme le suggère le représentant syndical, il serait complètement contraire à cet article si, par exemple, un employé qui subit une crise cardiaque ou un autre évènement médical grave qui entraine plusieurs mois d’absence se voit effectivement suspendu indéfiniment, sans même la protection des prestations de maladie. L’intention primaire de l’article 27.1 de la convention collective ne permet tout simplement pas un résultat si draconien.

 

            Pour ces motifs, l’Arbitre doit déclarer que la compagnie a enfreint les dispositions de l’article 27.1 de la convention collective en prolongeant la suspension de M. Levasseur jusqu’à la fin de son absence médicale, ce qui lui a valu la perte de ses prestations de maladie. À l’avis de l’Arbitre, si l’intention de la convention collective avait été respectée, et si M. Levasseur n’avait pas subi de maladie, sa suspension en attendant son enquête n’aurait probablement pas duré plus de deux semaines.

 

            Le grief est donc accueilli. L’Arbitre ordonne que le plaignant soit dédommagé pour la valeur des prestations de maladie qu’il aurait reçues s’il n’avait pas été suspendu, sauf pour la période des deux premières semaines suivant le 20 août 2009, jusqu’à son retour au travail le 14 novembre 2009. Je demeure saisi du dossier pour résoudre toute question concernant le calcul du dédommagement ou tout autre aspect de l’interprétation ou de l’exécution de cette sentence.

 

Le 21 décembre 2009                                                                       L’ARBITRE

 

                                                                                                      MICHEL G. PICHER